Chapitre 10 : Le premier gel

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Plusieurs heures de marche séparaient désormais Lucie de l'auberge de bois, et elle devait bien admettre que ce lieu ne lui manquait pas beaucoup. Razab, lui, était un guide très silencieux dans ces montagnes : marchant toujours en tête, il était concentré sur la filature qu'il exécutait. Lucie ne voyait par ailleurs jamais ce fameux sbire qu'ils devaient suivre ; elle préférait donc rester en retrait avec Moz, dont la compagnie était plus chaleureuse.

Toujours est-il que les paysages lui coupaient le souffle. La jeune femme voyait partout autour d'elle des pics enneigés, des monts rocailleux, quelques lacs occasionnels, mais qui n'en n'étaient que plus impressionnants ; tant de paysages qu'elle avait observé de loin pendant tout son voyage, mais qu'elle ne savourait que maintenant. Et voir Moz courir sur les talus de pierres ou se rouler dans les lupins colorés ne manquait pas de la faire rire intérieurement : elle devait cependant rester silencieuse pour ne pas se compromettre.

Devant eux se profilaient les monts froids et orageux vers lesquels ils se dirigeaient, là où Mélopée résidait. À chaque fois que Lucie regardait dans cette direction, elle serrait son poing écarlate comme s'il était lui-même désireux d'en découdre.

Au fur et à mesure de leur avancée, le ciel se fit moins clément, et les sentiers moins pratiquables ; jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de sentier du tout. La nuit approchait déjà quand Razab s'arrêta sur un petit plateau de roche.

  • Que se passe-t-il ? lui demanda Lucie en chuchotant quand elle arriva à son niveau.

Le jeune homme avait marché sans s'arrêter durant toute la journée, il paraissait maintenant soucieux.

  • Le sbire s'est arrêté, on va rester à distance jusqu'à ce qu'il reparte.

Lucie haussa un sourcil en observant son air sérieux.

  • Peut être qu'il s'est juste arrêté pour dormir, tu ne crois pas ?

Elle ajoutait un sourire amusé à sa phrase, ne comprenant pas l'inquiétude de son compagnon. Celui-ci, cependant, lui rendit un regard sévère :

  • Les sbires n'ont pas besoin de dormir, s'il s'arrête c'est qu'il soupçonne quelque chose.

Cette fois, Lucie écarquilla les yeux.

  • Alors il va se mettre à fouiller les environs pour nous trouver ? Mais ça veut dire qu'on va devoir faire des veillées à tour de rôle !

Razab afficha une expression consternée.

  • Je crois que tu n'as pas bien compris. Les sbires ne dorment pas : cela veut dire que de toute façon pour le suivre, nous non plus, on ne va pas dormir.

La jeune femme en restait médusée, et Razab secouait la tête en signe de désapprobation :

  • Tu pensais que trouver une sorcière qui ne veut pas qu'on la trouve allait être une promenade de santé ? Je t'avais pourtant prévenu : ça va être dur. Tu peux encore faire demi-tour si tu veux, moi je dois continuer pour rejoindre Mélodie de toute façon.
  • Pas question, répondit Lucie à brûle pourpoint. J'irais jusqu'au bout ! Tant pis si c'est difficile.
  • Bien. Alors on va attendre ici que le sbire se convainque qu'il n'y a personne, et on repartira ; quelle que soit l'heure.

 La jeune femme hocha la tête en guise d'aquiescement, puis elle s'assit en tailleur sur la pierre lisse du plateau, fixant l'air concentré de Razab qui guettait au loin. Elle n'était pas tranquille : la situation semblait dépendre entièrement du jeune homme ; seul à voir le sbire et à pouvoir le suivre discrètement, il était en plus beaucoup plus informé qu'elle. Lucie lui était en définitive complètement tributaire, et l'air toujours froid qu'il arborait ainsi que son silence assez perturbant la rendait inquiète sur la suite de sa quête.

Son petit compagnon flamboyant semblait avoir lui aussi flairé l'atmosphère pesante de la situation car il s'enroula à ses côtés. Elle ôta machinalement son gant et le caressa de sa main insensible, sans quitter des yeux ce que faisait Razab. Elle ne devait pas oublier que le jeune homme s'était dit prêt à l'abandonner si les choses se compliquaient trop, et qu'elle ne pouvait donc que partiellement compter sur lui. Il lui fallait en somme d'autres plans au cas où tout ne se passait pas comme prévu.

Pendant qu'elle réfléchissait à cela, le jeune homme sortit de sa chemise une petite fiole de cuivre qu'il déboucha et dont il déversa le contenu : une poudre smaragdine s'envola au gré des vents avant de s'estomper dans les airs. Quelques instants passèrent, Lucie se demandait à quoi cela pouvait bien servir ; puis Razab sembla satisfait.

  • On peut y aller, déclara-t-il.

Ils se remirent doucement en route, mais Lucie restait perplexe :

  • C'était quoi cette poudre que tu viens de disperser ?

Le jeune homme lui jeta un regard exaspéré :

  • Mais tu ne sais vraiment rien ! Quel genre de magie maîtrises-tu à la fin ?

Elle se renfrogna et détourna le regard.

  • Pas la peine d'être malpoli, marmonait elle.

Le soleil couché, et par cette nuit sans lune, la marche devenait bien plus difficile : Moz était la seule source de lumière, mais c'était Razab qui marchait en tête car il était le seul à pouvoir suivre le sbire. Et celui-ci refusait curieusement de se mettre dans la lueur du renard, Lucie devait donc avancer à l'aveuglette, sans discerner son guide. Heureusement, Moz ne se perdait pas car il pouvait toujours trouver Razab, et donc le suivre même dans la nuit. Cependant ils n'avançaient pas vite, et les irrégularités rocheuses du sol n'arrangeaient rien.

Puis soudain, comme pour s'ajouter à leurs difficultés, un brouillard se leva. Il était épais et de petites étoiles semblaient y briller ; très vite il les cerna de toutes parts. Tandis qu'une vague de froid montait dans le fond de l'air, la voix de Razab sonna dans les ténèbres :

  • Fais attention, dit-il à Lucie. Cette brume gèle tout ce qu'elle chatouille en un rien de temps. Reste bien proche de ton renard si tu ne veux pas finir en statue de glace.

La jeune femme se rapprocha immédiatement de Moz, horrifiée par ce qu'elle venait d'entendre. Elle n'avait jamais entendu parler de tels phénomènes métérologiques. Mais elle constata en effet que ses dents claquaient et que son souffle produisait de la buée. Razab quant à lui ne semblait absolument pas concerné par l'avertissement qu'il venait de donner : il était en plein milieu du brouillard mais ne montrait aucun signe de congélation, et bien que Lucie ne l'apercevait pas à travers l'obscurité et le froid, elle devinait au son de ses pas qu'il avançait toujours. Mais quelque chose l'interpella avec ce bruit... Il ne s'agissait plus des claquements secs de la roche. Jetant un oeil vers ses propres pieds, elle comprit immédiatement pourquoi : le sol était désormais couvert d'une neige cristaline ; ils approchaient du sommet.

Puis sentant un mouvement anormal, elle regarda Moz à ses côtés, et constata avec terreur que son compagnon ne semblait pas bien du tout. Ses flammes perdaient progressivement de leur intensité, il gardait ses oreilles plaquées contre sa tête et sa queue réfugiée entre ses pattes arrières : le froid le faisait souffrir, et il perdait inexorablement ses forces.

  • Hey, fit Lucie d'une toute petite voix étouffée. Qu'est ce qui t'arrive mon grand ?

Elle avait du mal à dissimuler ses émotions, et lorsque Moz se mit subitement à trembler elle se jeta à genoux pour déposer sa main écarlate contre lui ; jamais elle n'avait vu son renard dans un tel état et pour la première fois, elle regrettait de s'être lancée dans ce voyage. Plus loin, Razab qui n'avait pas remarqué la situation s'arrêta :

  • À partir de maintenant les choses vont se compliquer, dit-il d'un ton où pointait une incertitude inhabituelle.

Mais Lucie n'écoutait pas ce qu'il disait : Moz, ne tenant plus sur ses pattes, s'était écroulé dans la neige.

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