Chapitre 11 : Des créatures dans le blizzard

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Moz gisait dans la neige, et de plus en plus de flocons venaient s'évaporer sur son pelage encore chaud : une tempête se levait.

  • Qu'est ce qui t'arrive, Moz ?! s'écria Lucie agenouillée, des larmes gelées plein les yeux.

À mesure que l'aura chaleureuse du renard s'estompait, le froid venait la mordre avec de plus en plus d'ardeur. Mais elle s'en fichait, seul comptait pour elle l'état de son compagnon. Encerclée par le brouillard, avec Moz haletant à une allure inquiétante, Lucie se sentait plus seule que jamais. Elle avait l'impression qu'en très peu de temps, tous ses rêves venaient de se briser sur le glacier.

Le vent sifflant berçait de lointains hurlements jusqu'à ses oreilles, mais elle n'y prêta pas attention tant elle était occupée à se lamenter sur son sort. Sa main écarlate caressait la fourrure de feu de Moz avec toute la tendresse dont elle pouvait faire preuve ; elle aurait aimé pouvoir transmettre sa propre chaleur au renard pour le raviver. Mais rien à faire : le pauvre animal dépérissait à vue d'oeil, le froid surpassant de trop loin son incandescence. Et plus son état empirait, plus le brouillard se rapprochait dangereusement de les embrasser complètement, pour ne les laisser qu'à l'état de statues gelées. Lucie regarda tant bien que mal autour d'elle à travers le givre sur ses cils : plus aucune trace de Razab, mais ce n'était pas étonnant puisqu'il avait prévenu la jeune femme qu'il l'abandonnerait si la situation devenait trop critique. Et critique, elle l'était. Comprenant que tout était fini, Lucie enfoui son visage dans le pelage de Moz : il n'était même plus brûlant.

Deux yeux translucides apparurent soudainement au dessus d'eux sans qu'ils ne s'en aperçoivent. Puis une autre paire arriva ; et une autre, encore une, si bien qu'ils furent bientôt cernés par des globes luminescents aux allures menaçantes. Alors un cri bestial à glacer le sang retentit et fit sursauter Lucie, elle leva les yeux : des créatures des neiges les encerclaient, et apparemment, celles-ci étaient bien décidées à dévorer la chair tiède qui leur était servie. L'une d'elle s'avança : une sorte de singe à fourrure, dont les yeux projetaient de la lumière et la gueule bavait abondamment. Mais la bête n'eut pas le temps de s'approcher davantage : une lame affutée fendit les airs pour se loger dans son crâne, projetant du sang chaud dans la neige immaculée. Lucie en reçut une goutte sur le visage, ce qui la tira de sa béatitude. Autour d'elle, les monstres à fourrure s'écroulaient les uns après les autres sur le sol, quelqu'un semblant les faucher sans ménagement. Lorsque le dernier fut abattu, une silhouette se délimita dans le brouillard : Razab apparut, essoufflé, une boule de flammes vertes voltigeant à ses côtés et tenant une dague ensanglantée dans la main.

  • Qu'est ce que tu fais ? demanda-t-il agacé en appercevant Lucie étendue dans la neige. On a pas le temps de s'arrêter, en plus le sbire a continué sa route à travers le blizzard, il faut repartir au plus vite !

La jeune femme leva vers lui ses yeux bleus, du sang sur la joue. Il eut un choc en apercevant son expression ravagée, mais continua :

  • Aller ! En avant ! On ne peut pas rester ici, d'autres sasquatchs vont sûrement arriver.
  • Moz va mourir ! s'écria-t-elle dans la tempête, la voix pleine de sanglots.

Razab se contenta de soupirer, comme s'il en avait marre de perdre du temps, et s'accroupit auprès du renard ; l'animal était en effet à l'agonie.

  • Il n'y a qu'une solution, déclara-t-il après inspection.

Lucie tourna vers lui une face pleine d'espoir, tandis qu'il débouchait son petit flacon blanc. La fumée qui s'en échappa s'infiltra rapidement dans la truffe de Moz, et celui-ci fut une fois de plus happé par le récipient magique, jusqu'à disparaître totalement dedans. Razab referma le flacon et le tendit à la jeune femme en larmes.

  • Il va falloir se passer de lui tant que nous sommes dans la neige, annonça-t-il. Mais n'oublie pas qu'il ne se rétablit pas à l'intérieur, il est juste conservé comme il est actuellement. Quand tu le libèreras, tu auras intérêt à avoir de quoi le soigner dans la foulée, sinon il y passera quand même.

Lucie acquiesça, la gorge serrée. Razab lui tendit alors la boule de feu verte qui l'accompagnait :

  • Mange-la, sinon tu te retrouveras congelée par le froid. C'est une flamme de vie donc elle ne produit pas assez de chaleur pour te protéger si tu restes seulement à côté : il faut l'avaler.

Lucie voulut répondre quelque chose, mais aussitôt qu'elle ouvrit la bouche, la boule de feu magique s'y engouffra en arrachant à la jeune femme une crise de toux. Cependant, celle-ci dût reconnaître qu'elle n'avait pas la gorge brûlée, et que maintenant son corps irradiait une aura chaleureuse et lumineuse, comme si elle était devenue une flamme à part entière. Elle songea que ce devait être comme ça, d'être Moz. Elle se releva finalement et essuya le sang sur sa joue, non sans une pointe de tristesse.

  • Merci, dit-elle franchement en retrouvant ses esprits.

Elle avait désormais une très lourde dette envers Razab.

  • En route, répondit-il simplement.

Mais ils n'eurent le temps de faire que quelques pas avant d'entendre des hurlements familiers. Au loin, de nouveaux yeux luminescents les fixaient, prêts à venger leurs comparses.

  • Dépêchons nous, déclara Razab de son calme glacial. Il ne faudrait pas qu'on se retrouve encerclés par une horde.

Ils firent ce qu'ils pouvaient pour accélérer, mais leurs pieds s'enfonçaient dans la neige et le vent battait contre eux, les ralentissant malgré tous leurs efforts. Très vite un sasquatch, suivi de plusieurs autres arrivèrent en trombe vers eux ; ils n'auraient pas le temps de les semer. D'un tintement métallique, Razab sortit sa dague tâchée de sang.

  • Attends, l'interrompit Lucie en le voyant se préparer à abattre les créatures qui arrivaient.
  • Qu'est ce qu'il y a ?
  • Laisse moi m'occuper d'eux.

Elle était résolue, et fit quelques pas en demi-tour pour être la première à faire face aux bêtes approchant.

  • Pardon ?

La jeune femme produisit un nuage de buée en expirant de l'air ; et elle garda le regard fixé sur les sasquatchs lorsqu'elle répondit :

  • Même pour se défendre, je n'aime pas qu'on tue les animaux. Je préfère me charger d'eux moi même.

Sous le regard médusé de Razab, elle dégaina son épée d'ambre en projetant des reflets scintillants dans la neige. C'était du suicide.

Mais depuis qu'elle était petite, Lucie avait une importante proximité avec les animaux : sa relation particulière avec un renard de feu y était pour beaucoup. En effet, si elle considérait Moz comme son meilleur ami alors elle devait bien reconnaître les animaux comme des êtres sensibles et importants. Elle les aimait si bien qu'elle était prête à risquer gros pour protéger la faune : pour elle chaque vie comptait à égalité. Et même lors de ses voyages, c'était toujours Moz qui chassait : elle se contentait de cueillir des fruits ou de ramasser des légumes. Recevoir le sang d'un sasquatch sur la joue l'avait profondément marquée ; au point qu'elle avait décidé de ne plus jamais laisser le massacre de créatures sauvages se dérouler sous ses yeux : car renier la vie d'un animal pour sauver la sienne serait revenu à penser que son renard aussi valait moins qu'elle, et c'est pour cela qu'elle devait s'occuper personnellement d'affronter ces bêtes. Son épée ne pourrait pas les tuer, mais les assommerait afin qu'elle puisse continuer son périple sans gâcher des vies innocentes.

Dans la tempête, la horde lui fonçait dessus. Lucie, cape au vent, irradiante de lumière et de chaleur, et armée de son épée bénie, semblait d'une volonté de fer ; pour elle il n'était plus question de désespérer : elle allait vaincre les sasquatchs, retrouver Mélopée et sauver Moz. Il le fallait.

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