Chapitre 8 : Glace écarlate

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Lucie gardait son regard de glace bien planté dans celui de son interlocuteur. Les yeux bicolores de celui-ci ne trahissait aucune once de plaisanterie. Il était sérieux.

Assis à leur petite table, ils mangeaient un plat exotique (du moins il l'était pour Lucie) qu'un employé de l'établissement leur avait servi depuis quelques minutes. Le jeune homme finit par prendre la parole :

  • Je me nomme Razab. Et il se trouve qu'étant l'apprenti de la sorcière Mélodie, j'ai déjà rencontré en certaines occasions celle que tu recherches. Je peux donc t'aider à la trouver.

Lucie battit des cils. Comme si subitement, un obstacle invisible disparaissait devant elle, et qu'il lui fallait quelques secondes avant de commencer à avancer. Décidément, elle n'en revenait pas.

  • Mais je t'en prie... fit-elle enfin d'un ton hésitant. Dis moi ce qui pourrait m'aider.

Razab croisa ses bras sur la table, ses longs cheveux noirs tombant avec raideur sur ses épaules.

  • Mélopée vit dans les montagnes qui s'étendent après l'auberge. Il s'agit de territoires très dangereux où moi-même j'ai du mal à trouver mon chemin. Cela risque d'être compliqué d'aller la chercher là bas.

Lucie s'apprêtait à répliquer mais il ne lui en laissa pas le temps :

  • Cependant, la sorcière n'a pas d'apprenti. Elle doit donc envoyer des sbires lorsqu'elle veut récupérer des produits qu'elle ne peut trouver dans ses montagnes...

Il laissait sa phrase en suspens, comme se plongeant dans des réflexions intérieures.

  • Et donc ? l'incita Lucie.

Il reporta son attention sur elle, son oeil rouge semblait plus intense qu'en début de soirée, et cela mettait la jeune femme quelque peu mal à l'aise.

  • Tu vois, moi je suis un apprenti, expliqua-t-il. C'est à dire que lorsque Mélodie a une course à faire quelque part, elle m'envoie. Et en échange d'être à son service, j'ai accès à une partie de son savoir. Mais Mélopée, elle, n'a pas d'apprenti. Elle doit donc envoyer des sbires faire certaines tâches ; or les sbires sont assez simples à tracer, tu peux en trouver un et le suivre facilement jusqu'au repère de la sorcière qu'il sert. Ce serait déjà beaucoup plus compliqué avec un apprenti, qui possède en général des pouvoirs et des sorts qui lui permettent de ne pas être suivi.
  • Donc il faut trouver l'un des sbires de Mélopée, et le suivre jusqu'à elle.
  • C'est ça.

Lucie fit la moue.

  • Et comment on en trouve ?

Razab se remit à manger, il semblait sortir de ses réflexions et paraissait assez sûr de lui à présent.

  • Rien de plus simple, dit-il. Tu n'as jamais vu de sbires ? Ce sont des hommes totalement corrompus et soumis par le pouvoir d'une sorcière. Ils sont un peu comme des marionnettes, privés d'âme et de volonté. En tout cas, il ne s'agit plus d'êtres humains. Seule une puissante magie noire permet de s'en créer, mais cela fait partie des méthodes de Mélopée. En général, ils dégagent une aura maléfique assez reconnaissable et une démarche ou une attitude légérement inhumaine ; moi je peux les repérer facilement donc je te les indiquerais.

Lucie hocha la tête en silence. Elle se remémora des deux hommes qu'elle avait tranché dans les ruines de l'amphithéâtre, et songea alors qu'il devait certainement s'agir de sbires. Il lui semblait à présent que sa quête arrivait bientôt à son terme, mais elle ne pouvait s'empêcher de ressentir une sorte d'apréhension. Il lui restait un point à éclaircir.

  • C'est très gentil de ta part de me dire tout ça, j'apprécie beaucoup ton aide. Mais... je me demande, pourquoi me rends-tu service ainsi ?

Lucie n'avait pas l'habitude des gens qui se montraient aussi généreux avec elle, surtout en connaissance de sa malédiction. Et elle ne pouvait faire taire la petite voix au fond de sa tête qui lui disait qu'il y avait quelque chose de louche dans tout cela. Razab semblait s'attendre à la question. Il finit sa bouchée et sortit une amulette circulaire accrochée autour de son cou. Il la posa sur la table, et Lucie put en observer les gravures minutieuses, constellant les bordures en bois millénaire de l'oeil peint au centre.

  • C'est un objet magique que je porte constamment sur moi, explica-t-il. Il favorise mon destin : grâce à lui, tout ce qui m'arrive est utile et favorable à ma propre vie. Tout à l'heure j'étais dans l'auberge lorsque j'ai vu plusieurs personnes se diriger vers la sortie. Cela m'a rappelé que je devais aussi sortir pour profiter du clair de lune : elle est pleine ce soir et je sors toujours l'observer quelques instants quand elle est ainsi. Et dehors, je t'ai trouvé aux prises avec ce mage. Tu vois, nos destins se sont croisés et au final je ne me suis pas trompé quand je t'ai sauvé car je peux aussi t'aider dans ta quête. Rien n'est dû au hasard, et je crois qu'il faut agir lorsqu'on le peut.

Lucie hocha la tête une fois de plus. Toute cette magie la dépassait un peu mais elle comprenait l'essentiel de ce qu'il lui disait, sans pouvoir s'empêcher de trouver ça un peu absurde également. Elle même ne croyant pas à ce principe.

  • Mais il y a une seconde raison à ce que je sois si enclin à t'aider, reprit-il. C'est que j'ai souvent une certaine compassion pour les gens comme toi, qui me pousse à les aider quand je le peux.

Lucie haussa un sourcil. Les gens comme elle ?

  • Il y a quelque chose d'autre que j'aimerais savoir à ton sujet, enchaîna Razab sans lui laisser le temps de poser des questions. Tu m'as dit que tu n'étais l'apprentie de personne ; pourtant je t'ai vu utiliser de la sorcellerie contre l'autre mage. Et ce que tu as utilisé, c'était même de la magie noire. Alors comment une jeune femme ordinaire aurait-elle pu apprendre une chose pareille sans aucun maître ?

La question résonna à ses oreilles, tandis qu'une foule d'images défila subitement devant les yeux de Lucie : une petite fille blonde jouant autour d'une grande maison de briques ; un grand homme au sommet du crâne chauve, vêtu d'une longue toge sombre et arborant un sourire rassurant ; un vieux livre poussiéreux aux écritures mystérieuses ; une grande salle sombre, lugubre et étouffante ; des cris abominables dans les ténèbres ; des larmes salées ; et enfin des gouttes de sang écarlate.

Lucie lança un regard glacial malgré elle au jeune homme.

  • Je ne préfère pas en parler.

Celui-ci lui rendit un regard ardent de son oeil rouge, indifférent de son oeil brun.

  • Comme tu veux ; après tout, chacun possède son passé trouble. Demain, je t'aiderais à trouver un sbire et je t'accompagnerais dans les montagnes jusqu'à un certain point. Mais ne compte pas trop sur moi non plus. C'est ta propre route et s'il doit t'arriver quelque chose, j'estimerais que c'est ton destin et je ne ferais rien pour te secourir. Je travailles avant tout pour Mélodie et ne gaspillerais pas beaucoup de mes forces pour toi. Tu n'as qu'à me voir comme un guide neutre qui te montre la voie. Si tu dois mourir en essayant, je ne tenterais pas de l'empêcher.

Lucie haussa les sourcils. Elle était toujours contente d'être avertie, mais moins rassurée. Les gens ici lui paraissaient de plus en plus étranges et difficiles à cerner, et elle commençait sérieusement à douter de réussir à survivre très longtemps. Mais une nuit de sommeil s'imposait avant tout : le lendemain donnerait raison ou tort à ses inquiétudes.

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