Chapitre 5 : L'auberge au pied de la montagne

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La forêt avait laissé place à des paysages bien plus vastes, parsemés de buissons à baies et de cèdres secs. Les montagnes s'étendaient au loin dans toutes les directions, et il n'y avait déjà plus aucune trace de civilisation à la ronde. Ce monde dangereusement délaissé était à la merci d'une nature méconnue qui rendait tout voyage périlleux.

Lucie avait dépassé les quelques villages de frontière qui délimitait le monde de Capitale-ville avec les territoire sauvages d'au delà : désormais elle était seule avec elle même. Mais elle ne se décourageait pas encore, et lorsqu'elle s'asseyait sur une souche ou sur une pierre pour faire une pause dans son périple, la jeune femme regardait les pics enneigés qui disparaissaient dans un brouillard blanc ; elle savait que quelque part dans ces régions abruptes se trouvait la sorcière Mélopée, celle qui était la cause de sa malédiction et qu'elle rêvait de rencontrer pour conjurer son sort.

Mais le voyage était tout de même long, et Lucie vivait des jackalopes que Moz chassait et des baies qu'elle cueillait chaque jour. Le pelage ardent du renard lui permettait de cuire sa viande en toutes circonstances, ce qu'elle s'avouait être un atout majeur dans son expédition. Mais elle devait bien reconnaître que l'ennui et la fatigue pointaient souvent le bout de leur nez, au terme de ces longues journées de marche monotones : le paysage se ressemblait toujours et peu d'abris lui épargnaient la morsure lancinante du soleil. Parfois elle se demandait si le fait d'entreprendre seule une si grande aventure avait été une bonne idée, et qu'elle n'aurait pas mieux fait d'écouter son père adoptif quand il lui disait de ne pas partir. Après tout, elle était encore jeune et peu expérimentée dans l'exploration et la survie en milieu sauvage ; elle n'en savait d'ailleurs que peu sur les régions qu'elle parcourait et était facile à surprendre par tout ce qu'elle découvrait : les jackalopes sauvages l'avaient notamment fort étonné, car de tels animaux étaient très rares à Capitale-ville et étaient considérés comme presque merveilleux. Pas toujours sûre d'elle, ni de son objectif à mesure que les jours passaient, Lucie voyait sa détermination fondre ; alors même qu'elle se souvenait de la flamme qui l'avait animée, au tout début, à entreprendre un tel voyage.

Pourtant, un soir alors que le jour tombait sur les landes et faisait rougeoyer le ciel d'un feu chatoyant, Lucie parvint au pied des montagnes qu'elle désirait tant atteindre. De là, elle n'en voyait plus les sommets et se sentait toute petite face à leur immensité, pour autant, elle ne s'était jamais sentie si près du but.

Lucie respira d'une grande bouffée, l'air frais du soir la regorgea pleinement. L'odeur de la nature au crépuscule la fit frémir de plaisir. Le chatouillis des ombres sur son visage et son bras droit lui donnèrent le sourire. La musique lointaine qui se jouait à ses oreilles suffirent à la détendre finalement.

Mais non ! Quel était ce son qui lui parvenait ?

Elle fit circuler son regard autour d'elle sans ne rien distinguer ; c'était peut être un produit de son imagination après tout. À moins que... Elle s'accroupit à côté de Moz.

  • Trouve ce qui produit cette musique.

Le renard dressa ses oreilles de feu, et fila aussitôt. Lucie le regarda partir en souriant, et s'engagea à sa suite ; elle n'allait pas tarder à connaître la cause de cette mélodie.

En courant au pied de la montagne, elle distingua très vite une forme inhabituelle à l'horizon, qui semblait être une habitation. La musique s'intensifia à mesure qu'ils approchaient et Lucie distingua mieux ce qu'elle voyait : un petit chalet de rondins, lumineux et décoré. Plusieurs silhouettes semblaient aller et venir dans toutes les directions et Lucie plissa les yeux : elle était étonnée de voir de l'activité aussi loin de toute civilisation. Elle finit par apercevoir un immense écriteau à l'entrée du chalet : AUBERGE. Lucie en revenait encore moins ; une auberge perdue comme elle l'était au milieu de nulle part lui semblait totalement invraisemblable.

Mais elle dut écarquiller ses yeux bleus encore d'avantage lorsqu'elle perçut les gens qui peuplaient l'endroit. Ils étaient anormaux, sortaient totalement des standars qu'elle connaissait : leurs formes, leurs couleurs, leur existence, tout la troublaient au plus haut point !

Des hommes à la peau sombre comme l'ébène, ou nacrée comme le marbre ; des femmes aux longs cheveux argentés et aux yeux oranges ; des petites créatures couvertes de cheveux ; des animaux bipèdes et parlants ; des fées aux aîles agiles ; et tant d'autres être que Lucie ne pouvait tous les distinguer, ou tous les comprendre. Ils parlaient des langues différentes, se déplaçaient de diverses façons, et étaient vêtus de façons si variées que le chalet prenait mille couleurs. Et tout cela au rythme de la musique hypnotique qui flânait dans tous les environs. Quelques regards curieux suivirent Lucie et Moz à leur arrivée. Le renard ardent, sans attendre que sa maîtresse retrouve ses esprits, tenta d'entrer à l'intérieur de l'auberge. Mais il fut immédiatement soulevé dans les airs par un homme affublé d'une longue toge mauve et d'un large haut-de-forme de la même couleur. Lucie le regarda d'un air absent : un homme... ou une femme ? Impossible à dire car l'individu ne possédait pas de corps. Seuls ses habits permettaient d'être sûr sa présence, et Moz semblait voler à ses côtés, ce que Lucie trouva burlesque. Cependant les jappements du renard tirèrent la jeune femme de sa stupeur.

  • Lâchez Moz tout de suite ! gronda-t-elle d'une voix menaçante : personne ne touchait à son compagnon.

L'étrange être tourna sa tête vers elle : sous son chapeau il portait un masque de carnaval mauve qui permettait de situer ses yeux.

  • Les renards de feu ne sont pas autorisés dans l'établissement, pour des raisons évidentes je crois.

Sa voix était métallique et résonnante, mais portait en elle un timbre moqueur qui énerva immédiatement Lucie. Elle se dirigea droit sur lui.

  • Lâchez-le, c'est la dernière fois que je vous le dis.

Elle tira son épée en guise d'ultime mise en garde. L'individu leva son bras libre, ou plutôt sa manche libre, comme pour calmer Lucie.

  • L'animal est à moi, j'en ferais ce que je voudrais. Tu n'avais qu'a ne pas l'amener ici, si tu voulais le garder.

Sa voix fluette et railleuse acheva de mettre Lucie hors d'elle. Ce lieu étrange, les japements de Moz, la complaisance de cet homme invisible, tout cela la mettait en rage. Elle n'attendit pas plus et fendit l'air de sa lame ambrée, tranchant nette la toge qui s'aplatit sur le sol. Cependant, Moz resta dans les airs, se débattant et jappant à tout va. La foule s'était réunie autour d'eux, à présent, et la voix métallique reprit de son air moqueur :

  • Toi, tu ne peux pas me toucher. Mais puisque tu es là pour te battre, ici il ne va rien t'arriver de bon.

Lucie afficha un air de surprise en entendant l'homme qu'elle avait tranché lui parler de nouveau, mais aussitôt une intense vague de chaleur la frappa de plein fouet. Par reflexe, elle plaça son bras gauche devant son visage, et vit avec stupéfaction sa manche et son gant se carboniser, laissant son avant-bras complètement nu. La vague devint ensuite trop forte et la souffla sur plusieurs mètres en arrière, où elle retomba brutalement sur le sol en hoquetant. Moz grondait et essayait de mordre celui qui le tenait, mais rien n'y faisait.

  • Tu as déchiré ma toge, reprit la voix rieuse. Alors ne te vexe pas si j'ai brûlé une partie de ton haut en retour. Il ne fallait pas me chercher. Maintenant, puisque tu as l'air robuste, laisse moi m'amuser encore un peu avec toi !

Lucie, étendue sur le sol, voyait à l'envers les regards plus étranges les uns que les autres penchés sur elle. Elle se releva en pestant et retira sa cape en la faisant voler de manière spectaculaire derrière elle. Ce type s'en prenait à Moz, et ensuite à elle, il était temps qu'elle lui montre ce qu'il en coûtait de les attaquer.

Elle leva son bras écarlate et serra le poing en direction de l'homme invisible, d'un geste de défi. Cependant, tous les observateurs eurent un mouvement de recul en voyant la main rouge se contracter, et plusieurs exclamations s'ensuivirent. L'être qui tenait Moz émit lui-même un son de surprise en fixant la peau craquelée, puis il partit d'un rire aigu :

  • Toi ! Ma parole tu es la fille de Franck Lavallière !

Lucie blêmit en entendant le nom de son père, elle qui espérait ne plus jamais en entendre parler.

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