Chapitre 4 : La malédiction rouge

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  • Qu'est ce que tu caches, sous ce gant ? demanda Marie d'un ton implacable.

Lucie afficha un air résigné, après tout, c'était leur droit de savoir. Elle ôta le gant de soie blanche qui couvrait sa main gauche, et releva sa manche, dévoilant ainsi son bras rouge vif, à la peau désséchée et couverte de craquelures. Une cicatrice lui barrait horizontalement le dessus de la main. Marie se couvrit la bouche d'un air épouvanté, et Alpert ouvrit de grands yeux ronds. La jeune femme serra et desserra le poing pour montrer que son bras avait une fonctionnalité normale en dépit de son apparence.

  • C'est une malédiction, explica Lucie qui anticipait déjà les questions. Ce n'est pas contagieux, et je n'ai pas non plus attiré le malheur dans votre maison. Les malédictions ne concernent que ceux sur qui elles sont lancées.

Toute la famille avait quand même les yeux braqués sur elle, comme s'il s'agissait d'un monstre ignoble porteur des pires maladies. Lucie était désolée, ces gens avaient l'air si gentils qu'elle ne voulait pas les effrayer, mais elle savait qu'elle allait devoir partir.

  • Les gens comme toi attirent toujours le malheur, déclara Alpert comme s'il énonçait une vérité tragique. C'est sûrement de ta faute si des démons sont apparus sur nos collines, tu entraînes les calamités, même si c'est malgré toi.

Lucie regardait le sol avec déférence, à ce stade elle ne pouvait plus rien répondre.

  • Tu as l'air d'une jeune femme très gentille, déclara Marie. Et on te remercie d'avoir pris le temps de nous ramener notre fille ; mais tu ne peux pas rester ici, pour notre propre sécurité, tu comprends ?
  • Je comprends, répliqua sèchement Lucie qui prenait déjà sa cape et son épée. Merci pour le repas.

C'était toujours la même chose. Tout le monde réagissait sans cesse de cette manière là.

Elle sortit de la maison sans se retourner, n'adressant qu'un bref au revoir, et refermant la porte derrière elle, sans attendre qu'on la raccompagne au portillon.

L'air frais de la nuit la saisit dès qu'elle fut dehors : il faisait plus froid qu'elle ne le pensait. Elle remonta sa manche jusqu'à son poignet et descendit l'allée.

  • Allez, viens Moz. On n'a plus rien à faire ici.

Le renard de feu qui s'était roulé en boule au centre du jardin se releva en trombe et gambada jusqu'à sa maîtresse. Il l'éclairait dans la nuit sans étoiles qui se profilait, et la guidait dans le chemin qu'ils ne pouvaient parcourir que seuls tous les deux.

Ils quittèrent le petit jardin, et marchèrent silencieusement dans la forêt sauvage qui bordait la colline. A la lueur fantômatique des flammes de Moz, des arbres entortillés se dessinaient, des branches aux doigts crochus se mouvaient sinistrement, et les ombres sinueuses s'écartaient à leur passage en leur ouvrant un chemin lugubre. Au loin, ils entendaient les esprits des bois dansants s'enfuir à leur approche, et le vent leur murmurer de ne pas marcher seuls dans la nuit ; mais ils n'avaient que faire du danger de ce monde, ils étaient deux être malmenés par la vie qui ne craignaient plus les épreuves.

Au bout d'une heure de marche, Lucie s'assit sur une souche, croisa ses bras sur ses genoux et posa sa tête par-dessus. Une larme salée roula sur sa joue. Elle en avait marre d'être traitée comme un monstre à cause de son bras. Petite, elle avait toujours été crainte et traitée différemment, et cette malédiction l'avait poursuivi toute sa vie. Elle s'y était habituée mais le manque de contact humain lui pesait sur la longueur. D'autant plus qu'Alpert et sa femme avaient raison : les malédictions attiraient les êtres mal intentionnés, des créatures qui lui voulaient du mal à elle. Elle était destinée au malheur. Moz se roula en boule non loin de ses pieds ; il connaissait les crises de chagrin de sa maîtresse et savait qu'il n'y avait rien à y faire, si ce n'est de rester présent.

Et même si elle le voulait et y avait songé dans ses plus grands moments de tristesse, Lucie ne pouvait pas se trancher le bras. Son père adoptif lui avait expliqué que la malédiction était liée à sa vie : si le bras disparaissait, elle mourrait. Qui plus est, chaque goutte de sang perdue par son membre maudit équivalait à des mois d'éspérance de vie qui s'envolaient en poussière. Elle devait donc faire très attention à ne jamais se blesser ; mais c'était d'autant plus difficile que son bras était privé de toute sensation, ce qui l'empêchait de se rendre compte de ses blessures. Elle soupira. Les malédictions étaient un dur fardeau, et elle n'avait rien fait pour mériter cela.

Elle devait son triste sort à l'une des sorcières qui vivaient dans les montagnes aux pics de glace profilées dans le lointain : la sorcière du nom de Mélopée. D'aussi loin que remontent ses souvenirs, Lucie avait toujours eu l'unique rêve de rencontrer cette femme et de tout faire pour conjurer son sortilège. Mais les sorcières étaient les êtres les plus insaisissables qui soient, et même les pouvoirs de Moz ne suffisaient pas à la débusquer. Lucie était à sa recherche depuis bientôt un an, et son unique piste était désormais de se rendre dans les montagnes pour la rechercher là bas. C'était une quête presque irréalisable : ces monts étaient très vastes et réputés trop dangereux pour les humains ; mais Lucie n'avait plus rien à perdre de toute façon, il lui fallait tenter sa chance.

Elle regarda tristement la profonde cicatrice qui barrait le dessus de sa main et soupira ; elle ne pouvait décidément pas faire marche arrière. Elle reporta finalement son attention sur Moz endormi à ses pieds et sourit tendrement. Le seul avantage de son bras maudit, c'était qu'elle pouvait carresser son renard sans ressentir la morsure ardente du feu.

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