Début de soirée

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Un jeudi d'octobre.

  • Tu fais quoi ce soir ? demanda Lowan à Ugo.
  • J'ai rien de prévu. :-( répondit-il
  • Mais on est jeudi soir, y'a tonus ce soir ! Tu vas pas rester tout seul chez toi. Tu viens avec nous ?
  • C'est où ce soir ?
  • C'est dans un pub près de l'hippodrome. Ça peut être cool, y'aura du monde normalement. Ils ont fait deux-cents préventes.
  • C'est organisé par qui ?
  • Oh mais t'en poses des questions ! Tu peux pas t'laisser aller un peu ? ^^
  • Oui, bah t'as vu ce que ça a donné la dernière fois que j'me suis laissé allé ? (°~°) dit Ugo en riant.
  • Ah ah oui, ptdr, tu m'as pas raconté comme c'était ta soirée au dessus de la cuvette des toilettes, se moqua Lowan
  • Noooon, je ne me vante pas de ce genre de choses. Non mais c'est organisé par qui ?
  • Pharma.
  • Y'aura qui ?
  • Bah nous déjà ? On s'en tape de qui y'aura. On peut faire de nouvelles connaissances. Et peut être que demain matin tu s'ras plus puceau, frérot.
  • Très drôle. Merci de te préoccuper de mon épanouissement sexuel.
  • Je te rassure, je ne participerai pas. 8=> ((
  • Dommage. Lol. ;-)
  • Pfff t'es con. :-/
  • Ah ah c'est toi qui veux jouer.
  • Ça répond pas à ma question. Tu viens ou pas ?
  • Ok. Tu viens me chercher à quelle heure ?
  • Ah mais... j'ai pas de voiture ce soir. :-D
  • Qui c'est qui nous emmène ?
  • Bah... toi... :-* <3 <3 <3

Ugo arriva chez Lowan vers 19h. Des copains étaient déjà arrivés et ils avaient commencé à boire. L'un d'entre eux était déjà rouge et avait son compte. Il buvait depuis seulement une demi-heure mais avait déjà ingurgité un litre de bière sur le parking, de la Maximator au fort degré d'alcool. Il buvait la bière comme de l'eau. Ugo espéra qu'il s'endorme avant de partir. Sa voiture était neuve et il n'avait pas envie de la voir remplie de vomi, ni même de devoir rouler au pas les fenêtres grand ouvertes alors qu'il pleuvait des cordes. Ugo n'aimait pas ces excès de boisson dont ses camarades étaient coutumiers. Ils buvaient sans raison pour se mettre la tête à l'envers. Ugo, lui, savait être raisonnable. Il buvait très peu et savait doser les effets de l'alcool… sauf la dernière fois où il avait fini sur la tête dans la cuvette des toilettes. Il faut dire que dans son entourage direct, il avait un très mauvais exemple qu'il s'était toujours refusé à suivre.

Son frère aîné, Mattéo, son aîné de cinq ans, était tombé dans l'alcool à son arrivée à l'Université. Déjà au lycée, il sortait avec ses copains à chaque pause pour aller s'enfiler une canette de bière caché derrière le coffre relevé d'une voiture. Il retournait ensuite en cours, l'esprit détendu mais les idées sombres. Il avait l'alcool méchant. Il n'avait retiré aucun bénéfice de ses années à l'université, puisque ses excès l'avaient mené sur des chemins qui l'avaient détourné du vrai but de ses études supérieures. Mattéo avait enchaîné les redoublements dans diverses formations sans jamais obtenir aucun diplôme. Pour lui, université rimait plus avec vie étudiante qu'avec partiels. En cinq années, il avait écumé les bars et les boîtes de nuit de la région, plus qu'il n'avait assisté aux amphis, et ce, sans jamais éveiller les soupçons de sa mère ou de son frère. Son secret était bien gardé et il avait attribué sa prise de poids d'une trentaine de kilos à un travail acharné qui ne lui laissait que peu de temps pour faire du sport et à la nourriture grasse et sucrée du restaurant universitaire. Sa famille l'avait cru les yeux fermés. Il était l'aîné et elle l’avait toujours placé sur un piédestal pour des raisons qui ne tenaient en rien à ses réussites scolaires ni même à une attitude de fils idéal. Ugo ne comprenait pas les raisons de cette adulation. Elle ne tenait qu'à sa personnalité bien affirmée et autoritaire qui laissait augurer d'une grande carrière de patron.

Mattéo avait élaboré tout un stratagème pour mener clandestinement cette vie de fêtard en organisant deux vies parallèles. Il avait doublé tous ses comptes sur les divers réseaux sociaux, ce qui l'obligea à s'équiper de deux smartphones. Un officiel et un clandestin. Il publiait peu sur le compte officiel, le strict minimum pour laisser penser que le compte était tout de même actif et que ses études ne lui laissaient que peu de temps pour se consacrer à son image virtuelle. Sa mère faisait partie de ses followers et amis comme elle l'avait toujours exigé de ses enfants depuis qu'elle les avait autorisés à accéder aux réseaux sociaux au début de leurs années de collège. Ses dark pseudos étaient introuvables pour sa mère car ils ne faisaient d'aucune manière référence à son prénom, ni à son nom. Cependant, vivre dans le mensonge est difficile et oblige à s'inventer des souvenirs, par essence fictifs. Or, ces souvenirs ne nous imprègnent pas, alors que la réalité s'immisce en nous et nous pénètre au plus profond pour créer des souvenirs complets et précis. Même si nous ne nous souvenons pas de tous les événements de notre vie, nous en gardons un sentiment général, nous nous souvenons des ambiances, des odeurs de ces jours, du temps qu'il faisait, de sensations diverses dont notre corps s'est chargé en ces moments. Au contraire, les souvenirs inventés sont basiques et ne contiennent pas la richesse des souvenirs réels. Il n'est pas possible à notre esprit de reconstituer complètement une scène et d'en décrire les moindres détails lorsque cette scène n'a pas été vécue. Le frère d'Ugo était peu loquace d'une manière générale sur ses journées passées à l'université et lorsqu'il en parlait, son discours manquait de relief. Il était d'une platitude propre au mensonge. Par ailleurs, d'une fois sur l'autre, le même événement ne comportait pas les mêmes éléments, car il lui était difficile de se souvenir dans les moindres détails des mensonges qu'il avait racontés les fois précédentes. Il marchait en permanence sur un fil. Ce genre de situation ne peut durer indéfiniment.

Un soir, Mattéo tomba en panne sur le bord de la route et ne sachant pas comment gérer la situation, notamment ne sachant pas quel rôle devait jouer son assurance automobile dans cette affaire, il appela sa mère. Malheureusement pour lui, il se trompa de téléphone. À sa mère étonné, Mattéo dit qu'il appelait avec le téléphone d'un ami, ce qui n'éveilla pas les soupçons. Celle-ci enregistra cependant le numéro dans ses contacts au cas où elle aurait besoin de contacter son fils. Quelques jours plus tard, l'appli Facebook de la mère d'Ugo et Mattéo lui proposa un nouvel ami puisqu'elle avait ajouté un nouveau numéro. Elle cliqua et tomba alors sur le profil Facebook non officiel de son fils chéri. Bien sûr, ce dernier avait pris la précaution de masquer la liste de ses amis et les publications de son mur, mais il avait placé en photo de profil un usie1 pris lors d'une soirée de beuverie. Il apparaissait sur la photo en même temps que plusieurs de ses amis non officiels qui s'étaient tous identifiés sur la photo. Commença alors pour la mère d'Ugo une chasse au trésor qui lui permit de découvrir la véritable vie de son fils et le niveau de déchéance auquel il était tombé. En allant sur les profils des personnes identifiées sur la photo de profil, et dont certaines étaient moins précautionneuses que Mattéo, elle tomba sur leurs murs Facebook qui regorgeaient de photos de son fils dans des situations normales et quelquefois plus insolites. Mais aucune des situations dans lesquelles son fils s'était illustré, n'avait jamais filtré dans les conversations familiales du week-end. La mère d'Ugo venait de tomber sur un trésor, la part sombre de son fils qui expliquait pourquoi toutes ces années à l'université s'étaient soldées par de cuisants échecs. Sa mère lui coupa les vivres après un week-end complet de discussions. Mattéo s'en alla et décida de ne plus jamais revenir. Ugo le croisa un soir de janvier dans une rue sombre. Mattéo était totalement saoul, dormant sur le trottoir, la bouche dégoulinant des restes de son repas, la tête posée dans une mare de liquide nauséabonde dont s'échappait de légers filets de vapeur d'eau. Ugo n'osa pas le secourir malgré le froid intense de ce jour d'hiver, ce qui lui laissa pour toujours un sentiment profond de lâcheté. Son frère l'avait tellement dégoûté ce soir-là. Il se jura de ne jamais tombé dans les filets de l'alcool ou de tout autre drogue d'ailleurs. L'état de son camarade qui venait de s'enfiler en trois gorgées une nouvelle pinte de bière lui fit repenser à son frère.

Ugo revint à ses pensées lorsque son camarade alcoolique courut en titubant vers les toilettes. On entendit un son qui ne laissait que peu de doutes sur les raisons de son départ. Au bout de deux minutes, il n'était toujours pas revenu. Lowan alla le voir.

  • Ça va ? lui demanda-t-il
  • Bluuurrpp, fut sa seule réponse
  • On va te ramener chez toi je crois.
  • Non je vais venir. Bluuurrrppp.
  • Non, non, ça vaut mieux pas.

Ils le ramenèrent dans sa chambre d'étudiant qui était situé au même étage que la chambre de Lowan, à quelques portes de là. Il ne s'y opposa pas car de toutes façons, il s'était endormi suffisamment profondément et dormirait jusqu'au lendemain matin. Ils le déshabillèrent et le couchèrent, puis sortirent doucement de la chambre, sans faire de bruit pour ne pas l'éveiller et se le taper toute la soirée. Il était trop lourd quand il avait bu. D'ailleurs, il était évident que ses copains ne l'avaient pas empêché de boire et avaient organisé son effondrement justement pour s'éviter des embrouilles avec les filles au cours de la soirée, et immanquablement avec les petits copains de celles-ci. Pour assurer son succès, il faut quelquefois savoir se débarrasser des branches pourries, qui finissent toujours par nous tomber sur la tête.

Les quatre étudiants retournèrent dans la chambre de Lowan et se dirigèrent dans la salle de bain, seule pièce équipée d'un miroir. Ils vérifièrent que tout était nickel sur leur visage et en profitèrent pour vaporiser un peu de déodorant sous leurs aisselles. L'un d'entre eux tira sur la ceinture de son jean et en vaporisa dans son caleçon. Les autres éclatèrent de rire, les yeux légèrement plissés par les légers effets de l'alcool de ce début de soirée.

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