Premier jour de fac

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Ugo entra dans le parc de la faculté des sciences pour la première fois depuis son inscription et se dirigea vers l'entrée d'un des nombreux bâtiments du campus qui s’élevaient, gris, cubiques et sans fantaisie, tout autour d’une esplanade centrale. L’atmosphère lui semblait légère en cette rentrée de septembre, alors qu’il marchait avec assurance sur l’allée bordée de grands cèdres et chênes centenaires étendant leurs branches au dessus de vastes pelouse couvertes de jeunes garçons et filles encore timides. Une pluie de fin d'été venait de tomber, bien agréable après une saison de canicules et des semaines de sécheresse.

C'était sa première année à l'université, le début d'une nouvelle vie. Fini le lycée et son bachotage, cet entraînement débile au bac, sans exigence véritable de consolidation des connaissances. Combien de fois la mère d’Ugo, professeure agrégée de géographie, lui avait-elle énuméré les quelques techniques gagne-point dans sa matière ? « Ugo, apprends au moins à remplir les cartes ! Si tu remplis la carte, tu es assuré d'avoir la moitié des points. ». Mais Ugo refusait d'apprendre bêtement ces techniques infaillibles, effort inconsidéré pour un bac qui ne se dérobait plus qu’aux bonnes buses de fond de classe. Les parents ne semblaient pas se rendre compte que suivre le lycée en dilettante n’était plus une entrave à la réussite de leurs enfants, fussent-ils dénués de facilités. Les parents vivaient toujours dans le mythe de leur bac, terrible, difficile, exigeant et laborieux, aux inaccessibles mentions qui, vingt ans plus tard, hantait toujours leurs cauchemars. Quelle dédain quand l’élève très moyen rentrait chez lui, brandissant fièrement au nez de ses parents une mention assez-bien, assez facilement acquise ! Ses parents étaient-ils si inférieurs pour avoir décroché un bac sans mention au prix d’efforts insensés ?

Ugo n'était pas vraiment un bon élève. Toujours adepte du strict minimum, il n'avait retenu de son cours de physique que ce principe universel du moindre effort qui sous-tend la physique universelle. Il excellait depuis dans sa mise en œuvre. Sans espoir dans l'avenir, il était persuadé que les générations précédentes avaient oblitéré ses chances de vivre dans un monde meilleur. Pour lui, mieux valait jouir du temps qu'il restait sans se soucier de cet avenir trop incertain. C'était une solution de facilité, mais en cela, il appliquait bien son principe du moindre effort.

Pourquoi alors aller à la fac, plutôt que de chercher à s'intégrer dans une communauté d'oisifs et réfléchir au sens de la vie ? Oh non sûrement pas. Ugo avait toujours eu une image très stéréotypée des marginaux de ce genre. C'était un garçon bien propre sur lui et les marginaux désœuvrés lui avaient toujours semblé un peu sales sur eux, un peu négligés, faisant plus de cas de leur vie intérieur que de leur apparence extérieure. Des va-nu-pieds exhibant leurs pieds sales comme symbole du retour à la nature, du contact avec la terre nourricière, avec Gaïa.

Bien que sans espoir dans l'avenir du monde, Ugo voulait tout de même s'assurer un avenir décent. Quel paradoxe ! Peut être avait-il trop conscience de ses propres failles de raisonnement pour faire confiance aveuglément à ses propres certitudes. Si jamais il avait tort, au moins, il se serait préparé à une vie bien rangée et conventionnelle. Diplôme en poche, premier emploi, rencontre amoureuse, mariage, enfants, maisons, chiens, dimanche en famille... Un petit monde bien structuré où s'épanouir sans se poser de questions, sous le regard bienveillant et satisfait de sa mère. Un bonheur clé-en-main.

Il entra dans le bâtiment principal, d’une longueur invraisemblable, alignant ses façades interminables et sans relief, dénué d’intérêt architectural et purement fonctionnel. Une construction de la fin des années 1960, un rejeton des Universités nouvelles, construit à la va-vite par des méthodes efficaces, simplement industrielles. Les facs ne ressemblaient décidément pas aux lycées. L'université, c'était un autre monde. Tous ces étudiants de toutes origines et de tous âges ! Quelle diversité ! Ugo marchait dans un couloir dont il ne voyait pas la fin, une démonstration enfin concrète de la perspective avec les quatre arêtes du couloir pour lignes de fuite. Il était si long que lorsque Ugo marchait, il pouvait observer le point de fuite décrire un mouvement vertical alternatif quasiment sinusoïdale de même période temporelle que son pas. Ugo avait cette fâcheuse habitude de voir les mathématiques ou la physique un peu partout autour de lui.

Il se sentait un peu perdu au milieu de ce couloir aux murs percés de nombreuses portes donnant sur des salles de classe, des laboratoires, des locaux associatifs, des bureaux de secrétaire… Cheminant, il recevait un flot continu d'informations, des bribes de cours, de discours d'accueil, de discussions de chercheurs, des dialogues en arabe, en chinois, en hindi, en français bien sûr. C'était génial de se retrouver dans ce milieu universitaire, temple des connaissances, grouillant d'étudiants du monde entier. Il sentait que ses années de fac allaient être enrichissantes, qu'il avait fait le bon choix, comme il sentait qu’enfin il était devenu grand.

Après une infinie déambulation dans ce couloir au sol couvert de petits carreaux de faïence aux allures de beurre fondu, plusieurs retours en arrière et passages par des raccourcis qui s'avérèrent être des impasses, après maints errements dans les différents bâtiments, après avoir demandé dix fois son chemin à des étudiants qui semblaient plus âgés que lui et plus aguerris aux expéditions dans ce dédale universitaire, Ugo arriva devant le tableau d'affichage réservé aux étudiants de première année de la licence de physique. Le corps fixe devant le tableau vitré, le pied droit près du mur et le pied gauche légèrement en arrière reposant sur sa pointe, seule la tête d'Ugo bougeait scrutant chaque feuille affichée à la recherche de son emploi du temps de la semaine. Il le trouva enfin. Emploi du temps du groupe C, licence de physique... il n'y avait rien pour aujourd'hui. Il regarda de nouveau, vérifiant le numéro de la semaine. Non, il n'avait pas cours aujourd'hui. Après un long souffle, les joues gonflées, il s'écria :

- Mais non j'ai pas cours... Ah le seum... Je me suis levé pour rien ! C'est la fin du monde !

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