Chapitre 2

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Sandre faisait partie des volontaires Laurussis pour escorter le prêtre du meurtre jusqu'à chez Tornquist. Ou quelque chose comme ça. Le terme volontaire était peut-être un peu poussif, tout comme l'argumentaire développé pour la convaincre de se joindre à l'expédition. Il leur fallait quelques voyageurs aguerris pour pouvoir faire traverser sans encombre les montagnes à un convoi d'elfes empanachés. Elle avait beaucoup de respect pour les peuples du désert, car c'était un environnement rude, mais ça n'avait rien à voir avec les montagnes. Surtout les montagnes Laurussies. Sandre connaissait bien le terrain, et tout ce qu'il fallait pour survivre, et même un peu plus. Ça permettrait peut-être d'éviter que des gens de la plaine ne se tuent par ignorance. Leur petite troupe comportait avait aussi des voyageurs un peu moins aguerris, mais un peu plus commerçants, religieux ou parleurs. Sandre aurait bien voulu rester dans les montagnes. Elle était en train de faire des expérimentations avec des plantes comestibles dont elle avait laissé traîner des graines ça et là. Elle aurait bien voulu pouvoir suivre ce qui allait se passer dans les prochaines semaines ou mois. Mais on lui avait vendu du voyage, de l'aventure, du savoir, et aussi un certain sens du devoir. On lui avait également bien brossé l'ego dans le sens du poil en disant qu'elle seule, avec les huit autres évidemment, pouvaient faire en sorte que cette expédition se passe bien. C'est vrai qu'elle était en forme, très compétente, ni trop jeune ni trop âgée et n'avait personne à sa charge. Sandre avait aussi pas mal voyagé hors des montagnes par le passé et avait donc l'habitude d'interagir avec des étrangers, mais si elle n'était pas forcément très sociable. Ça faisait longtemps qu'elle n'avait plus vu le reste du monde, et cette mission pouvait ressembler à la chance d'une vie, regardée de manière optimiste.

Après, même si la perspective du voyage lui plaisait, elle n'en n'avait pas trop bien saisi les raisons et enjeux. Pas qu'elle soit stupide, non, c'est juste qu'elle avait beaucoup de peine à écouter quand les gens commençaient à parler beaucoup pour ne pas dire grand-chose. C'était en général ennuyeux et il manquait toujours les vraies informations de fond. De ce qu'elle avait compris, un peu tout dans cette histoire lui paraissait tiré par les cheveux. Une alliance politique entre son peuple et ce Tornquist. Dans un pays lointain et inconnu. Soutenir un projet d'assassinat politique dans ledit pays lointain et inconnu. Escorter une bande d'elfes du désert pour traverser leurs montagnes, alors qu'un autre itinéraire beaucoup plus sécurisé et pas beaucoup plus long existait. Un prêtre du meurtre. Rien que ça. Elle ne pouvait pas s'empêcher de pouffer en évoquant l'idée. Elle en avait beaucoup ri avec certains des siens, et n'était tout simplement pas capable de prendre ce concept au sérieux. Non mais vraiment : escorter un prêtre du meurtre elfe qui fait un détour par leurs montagnes pour aller donner sa bénédiction à un assassinat politique organisé en grandes pompes depuis des mois dans un pays inconnu et à l'autre bout du monde? Et tout le monde avait l'air de trouver ça parfaitement normal. Elle ne savait pas si elle devait rire ou avoir peur. Du coup elle faisait un peu des deux. Elle était résolue à bien garder l'oeil ouvert et ne pas se laisser piéger quand ça se passerait mal. Et protéger les siens. Et peut-être, ensuite, protéger ce prêtre elfe, vu que c'était censé être son travail.

Et elle était un peu curieuse aussi, elle n'avait jamais vu d'elfe.

Les Laurussis étaient arrivés en premier au lieu de rendez-vous, la veille au soir. Ils ont établi un campement, et profité d'une soirée bien agréable en basse altitude, là où l'air est plus doux. Les elfes devaient arriver le lendemain matin et furent ponctuels. Sandre se sentait plutôt indifférente vis-à-vis du convoi d'elfes, mais lorsqu'ils apparurent dans leur champ de vision, une certaine curiosité l'emporta et elle ne put s'empêcher de les observer jusqu'à ce qu'ils arrivent au point de rendez-vous. Heureusement ce n'était pas à elle de parler avec eux, car elle n'était pas bien douée pour les longs discours et les échanges polis en général. Elle réussi plutôt bien à le masquer son étonnement sous un air renfrogné, mais le convoi qui s'avançait vers eux n'avait aucun sens à ses yeux. Déjà, ils étaient nombreux, beaucoup plus nombreux qu'eux. Ils avaient d'innombrables montures, des animaux du désert qui ressemblaient à des oiseaux géants qui risquaient de s'adapter assez mal aux montagnes. Ils avaient des chariots, des bannières, des habits qui n'avaient pas l'air très chauds, et... non, ce n'était pas possible. Un détail attira l'attention de Sandre, qui se frotta les yeux et cligna plusieurs fois pour être bien sûre de ce qu'elle voyait. Ha si, oui, il y avait vraiment un palanquin. Pour de vrai, avec des rideaux, des porteurs et tout. Et le prêtre dedans probablement. Pour passer une montagne. Elle regarda ses voisins, tout le monde avait les yeux écarquillés, avec une incrédulité à mi-chemin entre l'admiration et la moquerie. Elle voulait dire quelque chose pour faire rire les gens, mais rien ne lui venait tellement ce qu'elle voyait lui paraissait absurde. Le parleur de leur groupe jeta un regard amusé assorti d'un clin d'oeil à Sandre et aux autres voyageurs, puis s'élança au devant des elfes en ouvrant grand ses bras et en se mettant à parler. Sandre ne prêtait pas trop attention à ce que le parleur disait, mais observait les elfes à la dérobée avec intérêt, tout en faisant mine de s'occuper d'un de leurs deux ânes. La première chose qui la frappa était les couleurs. Quand on lui disait elfe rouge, elle s'attendait à des rouquins. Mais c'était des elfes, pas des humains. Leurs cheveux étaient réellement rouges. Différents tons de rouges bien sûr, de l'écarlate le plus lumineux au carmin le plus sombre. Leurs peaux présentaient des carnations allant du clair au foncé, mais elles étaient cuivrées, pas orange ou rouge comme un coup de soleil... cuivrées. C'était très étrange. Ils étaient beaucoup plus grands que les Laurussis, et plutôt fins, et avaient tous un peu le même visage, avec peu de traits caractéristiques pour les différencier. Ils ressemblaient à des humains, mais sans en être vraiment, cette ressemblance incomplète était légèrement dérangeante. Ils portaient des tenues très élaborées, qui se ressemblaient toutes mais avaient chacune des ornementations et des symboles différents, hormis un symbole qui se retrouvait sur tous leurs drapeaux, habits et même sur leurs objets.

Elle était absorbée par l'observation de leurs habits qui, bien que pompeux et d'aspect peu pratiques, étaient d'une beauté remarquable. Lorsque soudain elle aperçu fugacement une tête sortir du palanquin, qui attira immédiatement son regard. Une grande elfe avec beaucoup d'armes lui posa aussitôt sa main dessus pour le repousser à l'intérieur, tandis que deux ou trois autres soldats se massaient devant le palanquin en scrutant d'un air menaçant, pour voir si quelqu'un avait vu leur précieux prêtre. Sandre baissa immédiatement les yeux en s'affairant sur son âne. Elle ne put réprimer le fin sourire qui se dessina sur ses lèvres. Le visage du prêtre, qu'ils cherchaient tant à préserver du regard du monde, était désormais gravé sur ses rétines. Il avait une chevelure d'un rouge sombre très riche, de grands yeux rouge sang brillants, une peau pâle, des traits élégants, avec un peu plus de personnalité que ceux des autres elfes. Très jeune. Une expression de curiosité un peu affolée. Quel terrifiant prêtre du meurtre...

Après que le parleur Laurussi et les parleurs elfes aient fait leur travail, tout le convoi se remis en route. Oui, avec le palanquin, les drapeaux, les montures exotiques, tout le cortège. Apparemment leur parleur n'avait même pas essayé de leur suggérer d'alléger un peu tout ça. Sandre s'imaginait que des musiciens allaient se mettre à jouer d'une minute à l'autre... avant de tomber dans une crevasse et mourir. Elle tenta encore de réprimer un sourire à cette idée, sans y arriver. Oui, toute cette histoire puait le drame à plein nez, mais elle se sentait de bonne humeur.

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