Chapitre XXIII

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« Par la grâce du ciel, au nom de l’Empire et pour le salut de l’humanité moi, Shilam premier du nom, Saint Souverain du Saint Empire, protecteur de la foi et guide du genre humain, nomme, en ce jour, Filbenar Talmin premier consul. Puisse-t-il gouverner avec sagesse et discernement. »

Edit impérial de l’an 139

Falia assistait jour après jour aux altercations de plus en plus violentes entre généraux et consuls. La décade qui venait de s’écouler avait été éprouvante même pour elle qui n’était que spectatrice de tous ces débats aussi ne pouvait-elle que s’imaginer la tension que devait ressentir les principaux protagonistes. Le premier consul Prario ne cessait d’attaquer les militaires sur leur prétendue déloyauté tandis que le connétable répondait en pointant la perfidie de son opposant. Au milieu de tout cela la colère et, plus encore, la déception de l’Empereur allaient croissant. Il semblât à la jeune fille qu’il découvrait en même temps qu’elle le désamour profond qui liait les deux administrations censées servir et défendre son Empire. Si Falia n’avait appris qu’une chose de son séjour à la cour c’était bien que l’Empereur ne décidait de rien. Or voilà qu’il était dans la désagréable situation de devoir arbitrer un conflit qu’il n’avait pas vu venir et qui laisser supposer que son pays était bien davantage gouverné par les émotions de quelques dirigeants que par une saine raison ayant pour horizon le bien commun.

Les jours de la Fitale se suivaient et se ressemblaient : le matin c’est tout enjouée qu’elle se parait de ses plus beaux atours en vue de potentiellement revoir la princesse Ashmalla, elle assistait ensuite aux déluges de coup bas et d’insultes de part et d’autre pendant des heures, ce qui ne manquait pas de l’affecter malgré son envie de s’en détacher. Suite à cela l’Empereur, toujours aussi morose, congédiait tout le monde et c’est systématiquement déçue que l’apprentie racontait la journée à son maître qui l’écoutait attentivement se contentant de poser une ou deux questions de temps en temps.

C’est donc sans grand espoir que Falia accompagna de nouveau la délégation en cette onzième journée de tractations. La mauvaise humeur était naturellement générale mais la raison n’en était pas partagée. Tandis que les uns se demandaient comment évincer les autres la jeune fille souhaitait simplement revoir une amie. Pourtant ce jour ne fut pas semblable aux précédents. Comme d’habitude civils et militaires se tenaient en chien de faïence mais cette fois-ci, avant que quiconque n’ait pu ouvrir la bouche le connétable s’avança fort de toute sa prestance. Pour une fois son ton était calme et l’on sentait qu’en place d’une improvisation pleine d’affect, ici chaque mot avait été pesé et sous pesé.

« Sire. Je ne puis subir jour après jour les calomnies dont on m’accable ! Monsieur le premier consul estime que je ne suis pas fiable, que ma foi n’est pas sincère et qu’en lieu et place de servir l’Empire je le dessers. Fort bien ! N’ayant en tête que l’intérêt supérieur de la nation et prenant acte du fait que cette dispute cause plus de tort à notre cause qu’aucun gouvernement uni pourrait le faire, je quitte mes fonctions et laisse loisir au premier consul de nommer qui bon lui semblera au poste de connétable ! Puisse-t-il rétablir la situation et si mon retrait permet au premier consul ou à qui que ce de relever l’Empire de la situation où il se trouve alors je serai pleinement satisfait et estimerai avoir rempli mon devoir ! »

A ces mots, il laissa choir sa cape et son écharpe de connétable, toute deux de velours violet, s’inclina respectueusement devant le Saint souverain et s’en alla. Aussitôt tous les généraux qui l’accompagnaient firent de même et suivirent leur maître qui, s’il ne l’était plus officiellement, venait visiblement d’acquérir une autorité nouvelle dans leur cœur. Falia ne put rester indifférente à ce geste et il lui apparut d’une noblesse extrême. Le connétable venait de se draper d’une dignité nouvelle qui faisait largement défaut au premier consul. Il germa même en elle une forme de reconnaissance à l’égard de celui qui lui avait fait échapper à un énième spectacle aussi désagréable qu’affligeant.

Prario Talmin était quant à lui à la fois satisfait et décontenancé. Il s’était visiblement préparé à une lutte de longue haleine qui aurait encore bien pu durer des semaines si ce n’était des mois. Aussi le soulagement et la satisfaction étaient quelque peu perturbés par une incrédulité de laquelle il se remit toutefois bien vite.

« Sire, en cet instant je ne ferai pas mine d’éprouver de la sympathie pour Makor Rakarth, cependant je ne puis m’empêcher de ressentir un profond respect à son égard et, s’il ne demeure pas exempt de reproche à mes yeux, son geste en cet instant le rachète au moins en partie et nul doute que l’Histoire saura lui en être reconnaissante. »

L’Empereur Shilam, trop heureux d’être enfin débarrassé de cette corvée, qui plus est sans avoir eu à statuer, ne trouva rien à redire et congédia les notables et ministres présents après avoir ordonné au premier consul de lui présenter au plus vite un remplaçant digne de ce nom au connétable. Un sourire naquit alors sur le visage du Bilberin qui se retourna aussitôt :

« Puisque vous évoquez le sujet et afin de ne pas laisser la vacance s’éterniser trop longtemps, il me semble connaître le candidat idéal. »

Le Saint souverain, interloqué, haussa le sourcil en signe de surprise et de curiosité.

« Mon fils, Firmarin, que vous connaissez déjà, étudie de longue date la chose militaire et, de l’avis général, a l’étoffe d’un grand chef de guerre. »

A peine eut-il finit sa phrase que les notables qui suivaient le premier consul hochèrent la tête presque en rythme manifestant ainsi une approbation dont la sincérité était difficile à évaluer.

« Il est jeune, a de l’énergie à revendre et se fait fort de réformer l’armée et notamment le haut commandement afin que toutes les races y aient leur place. Notre puissance en sera ainsi renforcée et les préceptes de notre foi mieux appliqués ! »

L’Empereur se tourna vers les prêtres qui l’assistaient qui ne trouvèrent rien à redire. Jamais ils n’auraient émis ne serait-ce que la moindre réserve à une possibilité de mélanger encore davantage les peuples de l’Empire et donc d’étendre les principes auxquels ils avaient dédié leur vie. L’inexpérience et la méconnaissance du futur connétable ne pesait pas grand-chose face à cette promesse d’étendre jusqu’aux hautes sphères de l’armée les enseignements de la foi véritable. Comme pour achever de convaincre son auditoire le premier consul renchérit sur ses propres propos :

« Et, afin de s’assurer de la clémence du ciel et de la salvation des âmes de ceux qui tueront et mourront pour nous défendre, mon fils m’a d’ores et déjà assuré que davantage de prêtres seront incorporés et auront qui plus est un droit de regard sur chaque décision et ce jusqu’au sommet de la hiérarchie s’il venait à entrer en fonction ! Si vous avalisez mon choix alors je ne crains pas d’affirmer devant l’Histoire que ce jour sera celui de la renaissance du Saint Empire et de son armée ! »

D’un seul élan la cohorte de religieux, très vite suivie de celle des consuls, se mit à applaudir frénétiquement à tel point que Shilam II ne put que se soumettre au choix unanime et manifeste de l’assemblée. Cela lui évitait une fois de plus d’avoir à trancher d’autant plus que lui non plus n’avait pas été insensible aux arguments avancés.

Il congédia peu après les civils et prêtres. Falia, déçue mais finalement habituée, était sur le pont de suivre les autres lorsque surgit le chambellan. Ce dernier lui sourit et lui dit de l’accompagner. Peu furent ceux qui remarquèrent cette prise à partie mais il suffisait qu’un seul en soit témoins pour que tous soient au courant dans l’heure. Cela importait toutefois peu à Falia car cette invitation à demeurer au palais ne signifiait qu’une chose à ses yeux : elle allait pouvoir revoir Ashmalla !

Le chambellan l’escorta donc à travers les méandres du palais, aussi grand que vide, jusqu’à une petite porte en bois qui ne dénotait pas avec la sobriété, si ce n’est la vétusté, de l’édifice. Il semblait qu’il y avait deux espaces différends dans cette pyramide. Un destiné au piblique, richement décorée et parée d’or que constituaient la façade extérieure ainsi que les salles de réception ; et une partie privée, cachée à la population comme si le Saint Souverain craignait qu’on découvre que sa famille et lui vivait dans la plus humble demeure de la capitale.

A peine Falia fut elle arrivée devant la porte que cette dernière s’ouvrit et qu’Ashmalla se jeta dans ses bras. La jeune Fitale avait beau avoir beaucoup apprécié la princesse cette fulgurante démonstration d’affection la surprit. Elle se rappela toutefois qu’elle devait être une de ses rares, si ce n’était sa seule amie. Cette pensée lui causa un léger pincement au cœur et elle répondit paisiblement à son étreinte. Le chambellan regarda les deux enfants un instant, puis s’en alla après s’être incliné visiblement satisfait.

« Comment vas-tu Falia ? Cela fait si longtemps ! Raconte-moi tout ! As-tu fait de nouvelles représentations ? Est-ce que la nourriture au palais du premier consul est aussi bonne que ce que l’on raconte ? »

Le temps lui avait fait oublier les traits si étranges de la princesse. Le teint légèrement verdâtre, l’œil gauche rouge et le droit plus proche de l’orange, des cheveux noirs, les traits anguleux le tout combiné de façon déroutante pour quiconque n’était pas habitué et Falia ne l’était pas. Cependant ses manières d’enfant, débordantes d’entrain et de naïveté étaient encore plus stupéfiantes que son physique. La Fitale avait cessé de se comporter de la sorte vers six ans et la fille qui lui faisait face en avait plus du double. Elle était une véritable enfant et, lorsque l’on voyait son père, on se disait que ce n’était pas ce dernier qui allait la changer. Cependant Falia ne pouvait pas lui en vouloir, comment le pourrait-on à une enfant, quelle que soit son âge ? Quelque part elle enviait cette innocence préservée par les murs de cette pyramide. Était-elle seulement au courant des problèmes de son pays, des souffrances de son peuple chaque jour croissantes et des soubresauts qui en résultaient ? Sans doute en avait-elle entendu parler comme on entend parler d’une tempête sévissant dans un lieu lointain.

Falia répondit à chacune des questions de son amie et chacun de ses dires mettait des étoiles dans ses yeux provoquait un émerveillement sans cesse renouvelé même pour les choses les plus banales. Elle se souvint subitement de ce qui l’avait charmé chez Ashmalla ; la joie qui émanait d’elle était des plus communicatives et le simple fait de la rendre heureuse suffisait à son propre bonheur et à celui de n’importe qui sans aucun doute. Il était tout bonnement impossible d’être mauvais à côté de pareille personne.

Qui sait combien de temps dura cette discussion ? Guère très longtemps dans l’esprit des deux jeunes filles tant elles étaient transportées l’une par l’autre. Lorsque la parole finit par laisser place au silence Ashmalla sortit timidement une roche de sa poche.

« - Tando m’a autorisé à te confier une pierre de vie… Elle n’est pas très grosse mais est-ce que tu pourrais l’utiliser pour faire un tour ou deux ?

- Bien sûr avec plaisir, mais n’es-tu pas la princesse ? Comment se fait-il que tu aies besoin de l’autorisation de quelqu’un ?

- Tando est le chambellan, c’est lui qui m’a éduqué et son père a jadis éduqué le mien. Il est strict mais agit pour notre bien. Il ne cesse de dire qu’une future impératrice se doit d’avoir un mode de vie humble, de garder un cœur bon et d’aimer ses sujets et tout homme de ce monde sans réserve. Mon père a été éduqué ainsi, comme je le suis et comme mes enfants le seront. Jamais je n’oserai remettre en cause son autorité, il est presque comme un troisième parent pour moi. »

Le chambellan avait bien fait son travail lorsqu’on voyait la bonté qui émanait d’Ashmalla. Ceci expliquait en partie la gêne de l’Empreur lors des débats de ces derniers jours, trop bon qu’il était pour arbitrer les querelles d’autrui. Lui qui ne demandait vraisemblablement qu’à vivre en paix auprès des siens n’était pas prêt à affronter la discorde. Pareille éducation, si elle créait manifestement de bonnes personnes, était-elle adaptée à celles destinées à devenir les personnages les plus importantes de ce monde ? se demanda Falia. Elle balaya cependant vite cette pensée pour se consacrer à son amitié. Elle prit la pierre que lui tendait la princesse et, tout en lui adressant un sourire des plus sincères, fit apparaître un chiot miniature qui couru autour d’Ashmalla qui s’épanchait en rires tout en essayant de l’attraper.

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