Chapitre XVI

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« Les Babikaras survécurent au premier assombrissement, cachés sous les montagnes d’Ingole aux côtés des Fitales et des Ganashs. Lorsque ces derniers quittèrent l’alliances les deux autres peuples renforcèrent la leur au point de fonder la double monarchie d’Ingolia. Le Divin Balmir devint le premier roi et proclama une amitié éternelle entre les deux races, jamais démentie jusque-là. Préférant la diplomatie et les arrangements aux guerre ils survécurent et agrandirent même leur royaume aux dépends des Yntaïs, des Rachnirs et des Ganashs faisant de la race des Babikaras les grands architectes de la puissance d’Ingole, davantage du fait de la plume et de la langue que du métal et de l’acier.

Oh Babikara qui lit ces lignes, n’oublie jamais que tout Fitale est ton frère et ta force trouve sa source dans ton esprit car telle est la voix que tes ancêtres ont tracée pour toi ! »

Chroniques des ancêtres.

La cour d’Ingolia n’échappait pas à l’agitation secouant celles des autres pays. Elle y était simplement plus diffuse mais un œil averti pouvait déceler les soubresauts des tractations et machinations à l’œuvre. Cette sourde sensation de dissension ne cessa pas de croître jusqu’à l’arrivée du comte Childeric de Damiale, négociateur plénipotentiaire du royaume d’Amadre, envoyé afin de discuter de la suite à donner quant à l’assassinat du roi Amand V. Depuis la non intervention du royaume d’Ingolia lors de la dernière guerre les relations entre ces deux royaumes n’étaient pas au beau fixe mais sans autre alternative les partisans de la guerre s’étaient tournés, de mauvaise grâce, vers la seule puissance capable de les appuyer efficacement et y avaient envoyé leur meilleur négociateur.

Le palais au cœur de la montagne compensait son rustre logis par un étalage de soieries et de richesses ainsi que par l’existence de deux énormes trous, nommés les yeux d’Ingole, qui permettaient au Soleil d’abreuver de sa lumière la salle du trône ainsi que ses occupants. Au sein de cette gigantesque pièce parsemée de piliers prenaient place des représentants de tous les fiefs et régions du royaume ainsi que toutes les personnes jugées utiles ou agréables par l’un ou l’autre des monarques qui régnaient sur ce pays.

En vue de recevoir l’ambassadeur qui allait tenter de rallier leur nation à sa cause les deux souverains étaient présents. Balmir XXXXIX, comme s’appelait chacun des rois Babikaras d’Ingolia depuis sa création, était juché sur son trône d’or incrusté de rubis et vêtu d’une robe verte et argentée, parsemée d’émeraudes et de saphirs. Sirana VIII, la reine Fitale, était pour sa part assise sur un modeste fauteuil en bois recouvert de coussins d’autant de couleurs que l’œil était capable de distinguer dans le spectre du visible. L’émissaire s’inclina devant les deux royales personnes et, après qu’elles l’aient invité à se relever, commença à faire part de ses doléances :

« Majestés, je vous prie en premier lieu d’accepter ces modestes présents en gage d’amitié et de bonne foi. »

A ces mots deux serviteurs apportèrent deux coffres. Le premier était empli de joailleries et d’habits de petite taille à l’élégance incomparable. Le second coffre, évidemment destiné à la reine, contenait des tableaux représentant les montagnes d’Ingole ainsi que deux douzaines de tonneaux des meilleurs crûs d’Amadre.

Les courtisans eurent du mal à cacher leur émerveillement devant ces trésors et leurs chuchotements raisonnaient à travers la pièce, jusqu’à provoquer une cacophonie qui rassura Childeric quant aux choix qu’il avait fait. Sirana tapa deux fois des mains afin de faire cesser ces bavardages et exprima sa gratitude avant d’inviter son invité à s’exprimer quant à la raison de sa venue :

« Souverains d’Ingolia, comme vous le savez notre bon roi a été lâchement assassiné par les agents du prétendu saint Empire. Pareil crime ne saurait rester impuni. Si jamais il le demeurait alors nos nations n’existeraient plus que sur les cartes. L’Empereur pourrait agirs à sa guise au sein de nos frontières et sa loi se répandrait comme si nos pays n’étaient que des provinces parmi les innombrables qu’il possède déjà. Je comprends vos réticences à intervenir toutefois vous connaissez leur fanatisme. Vous savez ce à quoi leurs prêtres aspirent pour nous tous et ce qu’ils font à ceux qui leur résiste. Ils ont un projet pour l’humanité et ce dernier est fait de sang et de larmes ! A notre grand malheur nous sommes de la même espèce qu’eux et dès lors rien ne les fera reculer. Ils tueront nos pères, nos mères et nos enfants tout en arguant que c’est là que réside leur salut ! Vous voyez ce qu’il se passe en Orme. Vous avez été témoins des innombrables atrocités qu’ils ont commises sur nos terres. L’ignorance n’est plus une excuse et si jamais notre royaume tombe le vôtre ne saurait tarder. Ils ne rêvent que d’éradiquer notre foi et de nous réduire dans une éternelle servitude. Je comprends que vous ne rentriez pas en guerre pour nous mais je vous conjure de penser à votre intérêt car, si nous ne faisons rien, les hordes impériales déferlerons bientôt sur le monde et rien ne les arrêtera. »

Les deux monarques écoutèrent patiemment puis se levèrent.

« Vos demandes ont été entendues toutefois nous ne sommes pas en Amadre, déclama Balmir. Nous n’avons pas le pouvoir de déclencher une guerre sans en référer au conseil des fiefs. D’ici à ce que nous vous apportions une réponse vous êtes le bienvenu ici. Que l’on vous trouve toit et couverts ! Nous réunirons notre assemblée et vous apporteront une réponse sous quinzaine ! »

L’émissaire s’inclina et sortit de la pièce. A peine fut il partit que, de nouveau, des chuchotements emplirent la salle et que des disputent plus ou moins contenues éclatèrent entre les seigneurs qui allaient décider du destin de leur pays dans les jours à venir. Margaria ne prenait pas partie et, pour une fois, observait les courtisans au lieu d’être observée. La métisse de la cour était de taille moyenne, dotée de deux beaux yeux dorés ainsi que de petites oreilles, d’un petit nez, de petites griffes et d’une chevelure foisonnante dont la coiffure des plus sophistiquée nécessitait pas moins de deux dames de compagnie. Depuis la guerre civile qui avait failli séparer ces deux races sœurs il avait été convenu qu’il y ait toujours à la cour la plus belle métisse du royaume afin de symboliser l’éternel union unissant Babikaras et Fitales. Cette tradition faisait d’ailleurs dire à nombre de seigneurs en visite que les enfants de ces deux peuples étaient les plus belles métisses du monde et qu’il s’agissait là des deux seules races véritablement sœurs.

Margaria était naturellement au courant de son statut d’ornement mais elle avait toujours voulu être davantage. Depuis les six ans qu’elle vivait ici elle prenait beaucoup de plaisir à s’impliquer dans les débats et décisions à tel point que son avis avait fini par avoir plus de poids que celui de nombre de courtisans avertis, notamment auprès de la reine qui l’estimait beaucoup. Appréciée autant pour sa beauté que pour son esprit elle avait fini par se faire une place à la cour et, bien qu’elle ne disposât d’aucun rôle officiel, les gens bien informés savaient qu’elle était « la bouche et les oreilles de Sirana ».

Son point de vue sur la question impériale avait donc une certaine importance mais elle se gardait généralement bien de le révéler. En Ingolia les souverains avaient en effet un devoir de réserve et rien de ce qu’ils disaient ne devaient être autre chose que l’avis du conseil des fiefs. Ils étaient avant tout les garants de l’unité du pays et ne devaient en aucun cas prendre parti. Ils étaient les simples rapporteurs des décisions de l’assemblée et, en un sens, ils faisaient partie des seigneurs les moins influents du royaume. Cependant ils trouvaient toujours des façons de contourner cette obligation. Sirana, pour sa part, se confiait à Margaria de telle sorte que l’on pouvait malgré tout connaître la pensée de la souveraine en s’adressant à sa confidente qui, en faisant mine de donner son avis personnel, exprimait celui de la reine. Ce dernier n’était pas sans importance puisque, à la cour, les deux monarques régnaient en maître. L’on pouvait recevoir honneurs et prérogatives de la part de l’un des souverains si l’on avait défendu au conseil les positions qu’ils avaient subtilement laissé entendre. Tout cela impliquait toutefois que la métisse ne dise rien de ses pensées propres avant de s’être entretenue avec la souveraine de peur que son opinion diffère du sien. Jusque-là, elle écoutait patiemment ce qui se disait afin de le rapporter à Sirana. Elle tenait néanmoins à se forger son propre avis car, au milieu de ce jeu d’influence et de ces secrets de polichinelle, elle savait être la seule capable d’influer la reine.

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