Chapitre XV

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« Qu’y a-t-il à l’est, par-delà le pays des cendres ? Par terre ou par mer nombre de voyageurs ont tenté la traversé. Grouillant des monstres à jamais tapis dans les ténèbres et impropre à la vie elle-même, l’enfer volcanique à l’est de nos contrées ne laissa jamais ressortir les aventuriers ayant tenté de le traverser. Pour ce qui est des marins rares sont ceux étant revenus et plus rares encore sont ceux dont le témoignage nous est parvenu. Parmi ceux-là nul ne donna la même description de ce qu’il découvrit. Selon Brario, seul rescapé de son équipage, la mer était peuplée de créatures titanesques, le ciel d’immense reptiles et la terre de géants capables de cacher le Soleil à la face du monde. Gansha et ses huit marins parlèrent quant à eux de contrées sauvages à l’arborescence gargantuesque mais hostile. Enfin Onto, qui fut le seul à l’évoquer, jura avoir rencontré des créatures cruelles pareilles aux démons que nous connaissons mais douées, semble-t-il, d’intelligence au sein de plaines mourantes et asséchées. Aucun de ceux qui l’avaient accompagné ne corrobora ses dires. »

Histoire du monde.

Trois jours et trois nuits que ni Sushara ni sa monture n’avait dormi. Le danger était trop pressant et trop immense pour qu’il ne se le permette et il était persuadé que le moindre retard pourrait avoir des conséquences catastrophiques. Au quatrième jour il finit cependant par apercevoir, au loin, un campement de l’armée impériale. Elle s’était déjà bien avancée en territoire Salpes, avait dressé ses fortifications de campagne, levé ses bannières, monté ses baraquements et posté des sentinelles, partout aux aguets. L’une d’elles, montée sur un petit cheval brun, repéra et alpagua d’ailleurs le prêtre avant qu’il ne rallie la division.

L’éprouvé, qui rarement avait aussi bien porté son nom, ne fit pas le moindre effort pour conserver le calme qu’un si long éveil lui avait définitivement ôté :

« Laissez-moi passer ! J’ai des informations de la plus haute importance à transmettre à votre général ! Escortez-moi à lui ou je jure que vous répondrez de toutes les conséquences que mon retard pourrait avoir ! »

Impressionné, le simple éclaireur n’osa le contredire et obéit. Les fanions étaient visiblement ceux de la troisième division impériale accompagnée de la deuxième de cavalerie. La discipline du camp était à la hauteur de la réputation de l’armée dans son ensemble et cela rassura quelque peu Sushara. Il ne s’attarda néanmoins pas à observer les vas et viens des soldats et trouva même l’occasion de dormir quelques secondes sur son cheval le temps que son guide l’emmène jusqu’à la tente de commandement.

Il se réveilla lorsqu’il sentit sa monture s’arrêter, posa pied à terre et entra dans le chapiteau rouge ouvert devant lui. A l’intérieur se trouvait une assemblée d’officiers, presque tous Rachnirs, avec au milieu le général, reconnaissable à son insigne en forme d’épée, à son épaulette en or et à l’écharpe rouge qu’il portait enroulée en diagonale au travers de son plastron.

« Je ne savais pas que nous attendions un éprouvé ! Si vous comptez me dissuader de continuer ma campagne contre les envahisseurs économisez votre salive et repartez ! »

Sushara du mobiliser toute son énergie pour ne pas laisser sa colère prendre le dessus :

« - Ce n’est pas mon attention, mon général. Bien au contraire ! Je viens vous avertir que des envahisseurs on ne peut plus conventionnels se pressent à nos frontières ! Une armée composée de dizaines de millier de cavaliers en arme, et de toute évidence décidés à prendre possession de tout ce qu’ils trouveront, marchent sur nous. Les créatures de la nuit fuient devant eux. Les réfugiés les craignent davantage que nos régiments et si nous ne faisons rien nous risquons sous peu de rejoindre les rangs des miséreux s’en allant chercher leur salut à l’ouest !

- C’est absurde ! Une troupe aussi nombreuse n’a aucune chance de traverser le pays des cendres ! Les chevaux comme les hommes périraient par milliers et seule une poignée nous parviendrait ! »

A ces mots l’éprouvé perdit patience, frappa la table de ses mains et fixa son interlocuteur qui lui rendit son regard. Le général était grand bien que relativement maigre et surplombait aisément l’éprouvé. Ses yeux orange, sa forte mâchoire et son nez aquilin lui donnait en plus une prestance et une aura de laquelle émanait un sentiment de supériorité évident. En face la fatigue du prêtre n’était surmontée que grâce à une colère de plus en plus vive qui lui faisait oublier tout sens des convenances ainsi que le respect le plus élémentaire de la hiérarchie, d’autant plus qu’il s’adressait à un officier de peu de foi et donc de peu de valeur.

« Je vous dis qu’ils sont des dizaines de milliers ! Ce n’étaient pas des chevaux qu’ils montaient mais des créatures venues de je ne sais où et qui, de toute évidence, survivent bien mieux que nos montures dans le désert de cendres. Enfin, contrairement à vous, je prends la religion très au sérieux et mentir sur un sujet aussi grave est quelque chose que jamais je ne me permettrai, un peu comme tuer des innocents qui ont toutes les chances de s’avérer humain. Alors maintenant soit vous continuez à traquer de pauvres réfugiés sans armes ni nourriture, soit vous rassemblez les divisions qui arpentent le pays et vous vous décidez à faire votre devoir en repoussant la véritable invasion qui s’annonce ! »

Le regard déterminé et plein de conviction du prêtre provoqua une lueur de doute dans les yeux du Rachnir qui mit cependant quelques instants avant de répondre, davantage guidé par sa fierté que par sa raison.

« L’éprouvé semble exténué, trouvez-lui un lit et mettez l’y. En ce qui concerne votre histoire je vais envoyer des éclaireurs afin de corroborer vos dires. D’ici là je continuerai à effectuer ma mission ! Des étrangers sont sur notre sol et constituent une menace, ils seront donc anéantis ! Salchar ! Accompagnez ce prêtre jusqu’à une tente où il pourra reprendre ses esprits ! »

Un autre Rachnir, de moindre rang, s’avança et invita Sushara à le suivre. Assez petit, le regard mou, les pics mal taillés et une démarche assez lente firent aussitôt naître le mépris dans le cœur de l’éprouvé qui était toutefois trop épuisé pour résister. Lorsqu’ils furent sortis de la tente l’officier entama néanmoins la conversation :

« - Et bien… Vous n’êtes pas très fin diplomate dites-moi !

- En effet, contrairement à vous je suis un guerrier !

- Oh ! Oh ! Je ne voulais pas vous offenser ! Pardonnez-moi ! Mon nom est Miran Salchar, puis-je connaître le vôtre ?

- Je me nomme Sushara et ma seule famille est l’ordre des éprouvés !

- Je suis au courant de ce point-ci… En tout cas je ne suis pas certain que vous ayez fait une bonne impression au général Draghan !

- Je pensais m’adresser à un officier et non à un enfant qui laisse ses humeurs le diriger !

- Comme vous y allez ! Il m’a bien semblé que c’était vous l’homme en colère sous la tente !

- Je n’ai pas dormi depuis plus de trois jours !

- Ah ! Et comment pouvions-nous le deviner ? Un avertissement de cet état de fait aurait pu nous rendre plus compréhensif à votre égard. Enfin, qu’importe, si ce que vous dites est vrai alors nos éclaireurs confirmeront vos dire et nous déferons l’armée dont vous parlez, n’ayez crainte.

- D’ici là vous continuerez à assassiner des vieillards, des femmes et des enfants n’est-ce pas ?

- Ne vous fâchez pas ainsi voyons, je ne fais qu’exécuter les ordres. Le pourquoi du comment m’intéresse assez peu. La réflexion est l’ennemi du soldat et le zèle mon ennemi personnel. On me donne une mission, je l’exécute, rien de plus.

- Votre prétendue ignorance et manque d’implication ne sauvera pas votre âme.

- Vous connaissez mieux le livre saint que moi. Le problème c’est que d’autres prêtres, probablement aussi savants que vous, ont un avis contraire sur la question. Je vous laisserai débattre et vous mettre d’accord mais d’ici là, moi, je fais mon travail. Vous dormirez ici pour le moment, si vous avez un problème... et bien idéalement j’aimerai que vous trouviez quelqu’un d’autre pour vous aider.

- Êtes-vous indolent à ce point ?

- En effet ! Si j’étais vous j’éviterais de confier du travail ou des missions aux personnes dans mon genre, elles ont généralement tendance à faire le strict minimum et à ne pas beaucoup persévérer s’il s’avère que le résultat n’est pas celui escompté. »

Sushara était trop exténué et attiré par le lit qu’on lui proposait pour réagir mais cet énergumène l’avait peut-être encore davantage énervé que le général. Il rumina quelque peu sa colère avant de sombrer rapidement dans un sommeil sans rêve, espérant presque inconsciemment qu’on ne lève pas le camp tout de suite afin qu’il puisse profiter de ce rare instant de confort.

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