Chapitre XI

7 minutes de lecture

« L’ésovirine est extrêmement rare ce qui, associé à ses propriétés uniques, en fait de loin la roche la plus cher du monde. Le seul gisement d’importance se situe sur l’île de Nittano dans l’archipel d’Aïshon. Ce pays détient donc la majorité des pierres de vie qu’il est cependant contraint d’exporter du fait de sa défaite lors de la guerre des mages. Les autres nations se contentent donc de leur maigre production et des quelques imports qu’ils reçoivent aussi gèrent-ils avec une infini précaution leur usage car une ésovirine remplie puis vidée perd ses facultés et redevient une pierre sans beauté ni pouvoir. Son trafic est de ce fait aussi lucratif que dangereux et, hors les états, peu nombreuses sont les organisations en possédant, encore moins légalement. »

Histoire du monde.

Celui, ou celle, qui se faisait passer pour Fissa arriva finalement à Tudrandre, capitale d’Amadre, après un trajet ponctué par les incidents. Deux roues s’étaient cassées sur les mauvaises routes du royaumes, l’alcoolisme avait fait plus de ravage parmi l’escorte que les brigands et un temps anormalement pluvieux pour la saison avait encore ralenti le trajet. Ce n’eut pas été gênant si les pierres de vie ne se consumaient pas en permanence pour conserver l’illusion. Notre usurpateur en avait pris quatre, et des grosses, mais à force de retard il craignait que même cela ne soit pas assez pour accomplir sa mission.

Lorsqu’il arriva finalement à la capitale, devant les portes de l’imposant château surplombant la finalement modeste cité, il venait d’achever d’épuiser sa troisième ésovirine. S’il avait eu plus de ressources et qu’il avait su comment s’y prendre il n’aurait pas hésité à user de leur pouvoir pour masquer l’infecte puanteur qui régnait dans la cité. Les rues étaient étroites et emplies d’excréments, autant ceux des animaux que ceux des hommes. Les maisons étaient pour la plupart vétustes et seuls les temples dédiés au divin Alaric recevaient un tant soit peu d’entretien. Le reste variait entre le banal et le laid, entre le sal et le répugnant.

Après avoir arpenté ces ruelles, chassé les habitants curieux qui obstruaient le passage et monté la colline sur laquelle était bâtie la ville l’escorte parvint finalement aux portes de la forteresse, aussi belle qu’immaculée, en totale contradiction avec la misère citadine sur laquelle elle semblait veiller. Le château de Tudrandre était, à n’en pas douter, la plus grande merveille d’Amadre avec peut-être la grande cathédrale des flots. Une blague circulait disant que pour magnifier ces deux édifices tout le reste du royaume était maintenu dans l’insalubrité et la pauvreté la plus crasse. Pourtant cela ne gênait pas les gens. N’ayant jamais rien connu d’autre ils trouvaient cette situation normale. Après tout, les seules choses que leur garantissaient les chevaliers à la tête du royaume étaient la sécurité et la nourriture, en aucun cas le confort. La paix régnait donc tant que ces deux promesses étaient tenues, ce qui était généralement le cas à moins qu’un puissant voisin ne se mette à lorgner sur quelques territoires.

La porcelaine apportée par l’imposteur allait donc continuer à entretenir ce faste sur lequel nul ne trouvait rien à redire à part quelques marginaux. Un sergent accueilli le marchand et, après s’être assuré que cette livraison était prévue et avoir fait une remarque cinglante sur le retard à ce qui n’était à ses yeux qu’un vil Salpes, il l’autorisa bien à regret à entrer afin de présenter ses produits au chambellan. Notre mage se saisit donc de quelques tasses et verres, auxquels il n’entendait rien, et entra sous l’immense herse. Les gardes regardaient d’un air dédaigneux cet étranger d’une race autre que la leur, donc forcément inférieure, pénétrer dans la demeure des rois. Ils chuchotèrent tout haut leurs remarques ce qui embarrassa quelque peu notre homme.

Lorsqu’il parvint dans la salle de réception un Amadin un peu gros, doté d’une longue moustache noire et avec une légère calvitie l’accueilli chaleureusement. Nulle animosité mais une certaine bonhomie l’animait et il adopta envers le voyageur un comportement amical, presque familier :

« - Bonjour et bienvenue au château de Tudrandre ! J’espère que votre trajet n’a pas été trop désagréable. Nous nous inquiétions de ce retard mais nous avons appris pour les quelques incidents qui ont émaillé votre périple.

- Je vous remercie de votre sollicitude. Savez-vous quand est-ce que je pourrai présenter ces porcelaines au roi ?

- Oh ! Oh ! Je vois que vous n’êtes pas bien au fait du protocole ! Le roi ne se déplace pas pour des choses aussi insignifiantes ! C’est à moi que vous montrerez tout cela ! Lorsque j’aurai jugé vos marchandises conformes à nos exigences je vous payerai comme convenu, moins le retard, naturellement. »

Le Salpes, sua quelque peu mais acquiesça. Le chambellan se saisit alors des échantillons puis, après avoir jeté un rapide coup d’œil, demanda à voir le reste. L’examen dura peu de temps et l’Amadin, après avoir accepté la livraison, rentra au château laissant là son interlocuteur. Il demanda aux serviteurs où il pouvait trouver le roi afin de l’informer du bon déroulement de la tractation. Le premier valet qu’il croisa lui indiqua la salle du trône d’un air légèrement surpris. Après avoir déambulé dans le palais il finit par parvenir, exténué, dans la pièce principale où le roi jouait à un jeu de plateau avec un de ses courtisans, entouré de sa cour qui retenait son souffle à chaque coup.

« - Depuis quand entrez-vous sans frapper ni vous incliner Friant ?

- Je suis navré votre majesté, je tenais seulement à vous informer que la livraison de porcelaine s’est déroulée comme prévu.

- Et c’est pour cela que tu nous déranges ? »

Le chambellan embarrassé au plus haut point s’empourpra comme un Rachnir. Il remarqua toutefois le verre vide de son roi et se précipita maladroitement à travers la foule pour le resservir. Chacun le regardait progresser et suer à grosse goutte jusqu’à son souverain. Arrivé à son niveau Friant profita de l’occasion pour utiliser un des verres dont il venait de faire l’acquisition. Il versa alors le vin dans une tasse et la tendit à son maître. Aussitôt le roi se leva et éructa :

« Que vous arrive-t-il bon sang ? Ce ne sont pas là des verres à vin ! En plus de vingt ans de service jamais je ne vous ai vu ainsi ! »

Armand bu alors une lampée et continua à éructer arguant que s’il n’avait pas été un si bon serviteur durant tant d’année il aurait déjà été renvoyé. Tout le monde ici connaissait le chambellan et son comportement était plus qu’anormal ; il était improbable. Certains le considérèrent même comme suspect mais nul n’osa interrompre Armand dans sa rage. Après un bon moment sans baisser le ton, il congédia son serviteur qui s’en alla tétanisé par la fureur du roi et les regards de plus en plus insistants de la cour. Alors qu’il s’apprêtait à sortir un chevalier lui saisit le poignet et lui intima l’ordre de le suivre.

Ce n’était plus de la peur mais de la panique qu’il éprouvait. Il n’avait que quelques instants pour réagir car déjà deux autres gardes s’approchaient. Il arracha alors son bras de l’étreinte et se précipita dehors. Aussitôt l’alerte fut donnée et la cour comme le roi se retournèrent.

Courir dans pareil corps n’était pas aisé mais aussi vite que possible Friant changea de forme dans un couloir à l’abris des regards. La pierre de vie qu’il conservait dans sa poche s’assombrit alors d’un seul coup. La transformation ne prit que quelques secondes, il était après tout un piètre acteur, un mauvais coureur mais un excellent métamorphe et donc un redoutable assassin. De vieux et gras il devint un Amadin jeune et svelte ce qui lui permit d’accélérer l’allure et, espérait-il, de se fondre dans le décor. Hélas ses habits, désormais trop grand pour lui, le gênaient et surtout le démasquaient pour quiconque prenait le temps de l’observer. Cependant il s’agissait là du moindre de ses soucis. Il avait déjà changé deux fois d’apparence aujourd’hui et autant en conserver une ne demandait que peu de magie, autant se transformer coutait extrêmement cher et sa pierre allait bientôt totalement s’assombrir pour devenir une vulgaire roche. Il connaissait également l’horrible sort réservé aux régicides mais il ne comptait pas mourir aujourd’hui.

Il tâcha de se remémorer comment il était arrivé jusque-là à travers le dédale labyrinthique du château afin de retrouver la porte d’entrée et de se faufiler dans la ville dans laquelle il serait plus aisé de se cacher. Les quelques secondes que prirent les chevaliers qu’il croisait pour réaliser qu’il était bien le fugitif poursuivi lui sauvèrent la mise au moins trois fois. Après une course aussi longue qu’effrénée, et quelques détours, il parvint enfin devant la herse par laquelle il était entré. Naturellement elle était fermée mais dans la panique il avait oublié d’envisager cette possibilité. Les six chevaliers à ses trousses étaient presque sur lui tandis qu’au milieu de la cour nulle cachette ne s’offrait à lui

Il allait être pris mais subir les mille tortures qu’on lui réservait ne le tentait pas. Il avait fait son devoir et, désormais, rien d’autre n’avait d’importance. Il sentit la magie de sa pierre s’amenuiser et il ne comptait de toute façon pas rendre son dernier souffle dans la peau d’un autre.

Le métamorphe dissipa donc son sortilège laissant apparaître une Akshus d’une quarantaine d’année, à la chevelure brune et à la mâchoire étonnamment large. Ses poursuivants n’étaient plus qu’à quelques pas d’elle. D’ici peu ils trouveraient Friant dénudé et étranglé dans un couloir avec à ses côtés une signata. Elle n’avait pas pu faire de même avec le roi mais nul ne douterait du commanditaire de ce régicide. D’ici un quart d’heure, peut-être moins, Armand V allait mourir d’une crise cardiaque aussi foudroyante qu’inévitable. Aucun mage ni médecin n’avait jamais réussi à sauver de la mort quelqu’un ayant ingéré du stranglecoeur. Elle aurait pu en ingérer une maigre quantité pour adoucir sa mort mais l’on peut subir bien des sévices en une demi-heure. Elle se saisi donc de toute la poudre qui lui restait et l’avala d’un seul coup. Elle n’eut pas le temps d’en absorber la moitié qu’elle fut foudroyée sur place.

Autour d’elle s’attroupèrent les gardes qui avaient failli à leur tâche car, comme c’était inévitable depuis qu’Armand avait trempé ses lèvres dans la tasse que lui avait tendu l’assassin, le roi allait mourir dans l’heure.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Antoine Zwicky ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0