Chapitre V

9 minutes de lecture

« Les ésovirines ou pierres de vie, comme on les appelle plus communément, sont des roches acquérant d’étranges propriétés lorsqu’elles se trouvent proximité d’un être venant de mourir. Certains prétendent qu’elles lui dérobent son âme mais étant donné que cet effet fonctionne aussi bien à côté d’un humain que d’un animal ou d’une plante, certes dans des proportions différentes, on peut en douter. Nul n’est encore parvenu à clairement expliquer ce phénomène mais il se pourrait simplement qu’une pierre acquiert son pouvoir en absorbant l’énergie vitale de l’être décédant à ses côtés sans que cela n’ait le moindre effet pour le défunt. De plus en plus rares sont ceux promettant la damnation à quiconque verrait sa mort mise au service d’une de ces roches et même l’Eglise de la salvation ne souscrit pas à cette théorie. »

Traité de grande alchimie ou Des liens qu’il existe entre vie, matière et magie.

Le palais impérial était immense sans qu’une grande activité ne s’y déploie jamais pour autant. Le faste, le luxe et l’abondance y était bannis afin de protéger l’Empereur du péché et à la grandeur de la demeure répondait la sobriété de son intérieur.

Il était difficile de connaître précisément l’ethnie de l’hôte de ces lieus car issu de générations et générations de métissage. L’Empereur Shilam II était si différent du commun des mortels qu’on eut pu presque le prendre pour l’unique représentant d’une race jusque-là inconnue. Agé de Vingt-huit ans son teint pâle, ses cheveux entremêlés de pics ainsi que ses yeux de couleurs différentes et plus grands que la moyenne formaient une créature consensuellement hideuse et pourtant révérée par chacun. Comme le disait le dicton populaire « le métissage est adoré comme la chaleur en hiver et pourtant aussi rare que la neige en été ». Bien que la foi prétendait abolir la barrière des races la majorité des gens étaient attirés par ceux qui leur ressemblaient à tel point que les rares être résultants d’unions entre deux peuples différents avaient tendance à provoquer un manque d’attrait certain pour ceux du sexe opposé. Certains estimaient qu’il ne s’agissait là que d’un relent du culte des ancêtres qu’il fallait combattre, d’autre d’une tendance naturelle immuable et que tous les efforts pour lutter contre seraient vains.

Toujours est-il qu’afin de se concilier tous les peuples de l’Empire et de donner l’exemple la famille impériale mettait un point d’honneur à ce que toutes les races soient représentées dans l’arbre généalogique de l’héritier. En l’occurrence Shilam paraissait manquer de sang Salpes et c’est donc avec une prêtresse de cette race qu’on le mariât. L’impératrice prénommée Ustali était issue de l’illustre famille Paltaste. Dernière-née elle avait été envoyé dans un temple pour entrer dans l’ordre des aimants, chargé de soigner et nourrir les nécessiteux de la nation. Il s’agissait de la seule fraternité à ne pas pouvoir contracter d’union légale car il était prescrit que ses membres devaient « aimer l’humanité tout entière de façon égale, uniforme et absolue. » Le mariage aurait nécessairement mis à mal ce serment. Heureusement Ustali n’avait pas encore prononcé ses vœux définitifs lorsqu’on vint la chercher pour qu’elle rejoigne l’Empereur, du moins était-ce ce qu’on avait dit au premier concerné. De leur union naquit une fille, la princesse héritière Ashmalla. Ses traits revêtaient ceux de l’innocence, à l’image de ceux de son père, et sa laideur était contrebalancée par une candeur propre, dit-on, aux femmes de moins de quinze ans.

Sa naissance avait été suivie par celle de deux petits garçons dont un seul survécu aux affres du hasard. Irham n’avait que deux ans lorsque l’ainée en avait onze et il était difficile de dire quoi que ce soit à son propos si ce n’est que le sang salpes semblait particulièrement ressortir chez lui.

Au service de l’Empereur et des siens au sein du palais œuvrait le chambellan, un Bilberin à la tâche en forme de tulipe, brun de cheveux et qui devait avoir la trentaine. Il était la seule personne véritablement à leur disposition car, hors les représentations officielles où la famille se présentait parée de ses plus beaux atours, ses membres vivaient dans une simplicité presque rustique. Ils cultivaient eux-mêmes leurs fruits et légumes, ne mangeaient que du pain en dehors de ce qu’ils produisaient, ne buvaient que de l’eau et priaient inlassablement pour le salut de leur âme et de celles de tous leurs sujets. Le reste du personnel était constitué de gardes impériaux triés sur le volet pour assurer la sécurité de sa Majesté.

Ce train de vie rendait les visites rares d’autant plus que l’Empereur ne les appréciait que peu. Cependant sa fonction officielle de chef de l’état, bien que dans les faits c’était davantage le premier consul qui assumait cette charge, l’obligeait à recevoir de temps à autre quelques officiels ou personnages notables. Cette visite-ci n’était cependant pas ressentie comme une corvée. Elle était en effet le fait d’un mage de renom dénommé Anrash. Cet Akshus au dégradé extrêmement marqué, aux larges épaules et à la chevelure aux reflets roux était accompagné par son apprentie, Falia. Il s’agissait d’une Fitale, race très peu représentée au sein de l’Empire, particulièrement grande, un tantinet ronde et dont les griffes, particulièrement courtes et fines, juraient avec le reste de sa physionomie. Elle n’avait pas suivi d’entrainement académique mais avait été recueillie dans un orphelinat il y a huit ans de cela. Grâce à l’enseignement de son maître elle avait développé des talents remarquables dans l’art de la magie du spectacle et, aux côtés d’Anrash, elle avait donné des représentations à travers toutes les provinces de l’Empire, toujours avec un grand succès. L’Empereur avait eu vent de la magnificence de leur art et avait tenu à observer de lui-même les paysages de rêve, les sons enchantés et les odeurs envoutantes que leur magie parvenait à créer.

Après avoir été accueilli par le chambellan les deux magiciens entrèrent dans la salle d’audience dans laquelle les attendaient l’Empereur, sa femme et sa fille. Falia était impressionnée par la simplicité de ces gens et était même gênée d’être mieux habillé qu’eux. S’agissant d’une représentation l’Empereur n’avait pas ressenti le besoin de se vêtir de ses habits de cérémonie et ce malgré le léger désaccord de son dévoué serviteur. Ce dernier avait fini par cédé car ce léger détail de protocole ne valait pas une dispute. Il annonça alors les invités puis laissa Anrash s’avancer :

« Majesté ! Vous me faites grand honneur en me recevant et j’espère ne pas vous décevoir ! »

L’Empereur tentait maladroitement de contenir sa joie très proche de celle d’un enfant qui, pour la première fois, s’apprêtait à voir un spectacle de marionnettes. L’impatience le rongeait aussi hocha-t-il la tête vers son invité pour l’autoriser à démarrer.

Ce dernier, élégamment vêtu d’un ensemble de cachemire rouge et bleu, s’avança et tendit sa main vers son apprentie qui lui était assortie. Elle lui tendit deux pierres gorgées de vie comme leur couleur rouge l’indiquait. Soudain toutes les bougies s’éteignirent et un filet carmin s’échappa de la première roche. Ce dernier serpenta à travers la pièce avant d’éclater en un millier de filaments qui tous reproduisirent le même schéma. L’instant d’après un moineau vert jaillit de la seconde pierre et s’envola vif comme l’éclair, virevoltant à travers les la toile rouge. Sans qu’on ne puisse réellement dire quand elle avait commencé, une mélodie se fit petit à petit entendre. Les notes qui raisonnaient dans la pièce collaient parfaitement au à la danse de l’oiseau qui virevoltait harmonieusement au son des flûtes et des luths. Plus il volait plus il grandissait et il finit par laisser tomber de ses ailes comme une trainée de paillettes desquelles émanait une odeur inconnue, proche de celle de l’orange, du muguet et du miel réuni. Au fur et à mesure que la symphonie s’accélérait ce qui s’apparentait désormais à un aigle volait de plus en plus vite et semblait se transformer en quelque chose d’encore plus grand. Après plusieurs minutes durant lesquelles les fils se mirent à battre au rythme du pouls de l’Empereur l’oiseau entre-temps devenu phénix se transforma en dragon qui se mit à cracher des flammes qui provoquèrent une légère et douce chaleur dans la pièce. Dans un final époustouflant le feu se mit alors à glisser sur les murs tandis que la majestueuse créature se mit à vriller sur elle-même enroulant ainsi les fils rouges entremêlés autour de lui. La rotation ne cessa pas d’accélérer jusqu’à ce que l’animal n’explose en une multitude de lucioles qui vinrent se poser sur toutes les personnes présentes au son d’une musique douce et apaisante. L’Empereur ne put s’empêcher d’en toucher une et, bien qu’il sentît la texture de l’insecte, il vit son doigt passer au travers, preuve que tout ceci n’était bien qu’illusion. Finalement la lumière de ces animaux s’estompa petit à petit et ce n’est qu’à la dernière note de musique que l’obscurité totale envahit la pièce. L’instant d’après les bougies étaient de nouveau allumée et l’Empereur comme sa fille furent incapables de retenir leurs applaudissements. Ils étaient véritablement émerveillés de ce qu’ils venaient de vivre et ne faisaient pas même mine de vouloir le dissimuler.

Falia et Anrish s’inclinèrent respectueusement devant les maîtres des lieux. Ils n’eurent pas le temps de faire quoi que ce soit d’autre que Shilam les invita à rester pour manger. Tous deux acceptèrent sans hésiter. Le repas se fit autour d’une soupe et de quelques miches de pain ce qui surpris les deux magiciens, bien qu’ils n’en montrassent rien. L’Empereur passa alors la soirée à questionner ses invités sur ce qu’ils connaissaient du monde, les anecdotes qu’ils avaient à raconter ainsi que tout ce qui avait à trait à leurs aventures car, du point de vue de sa majesté, sortir de la capitale revêtait tous les atours du plus risqué des périples. Falia répondait avec joie et était ravie de pouvoir narrer toutes ses histoires et, plus que tout, d’entendre que l’Empereur en personne s’intéressait plus à elle qu’aucun ne l’avait jamais fait auparavant.

Anrish demeurait plus sérieux et se risqua même, pensant sans doute que cela pourrait intéresser sa Majesté, à parler des affaires du moment comme la situation dans la province d’Orme. Cela n’eut cependant pas l’effet escompté et le souverain évita ces questions non pas tant par embarras que par ennui. Il préférait mille fois la spontanéité de Falia au sérieux de son maître et rapidement il ne parla plus qu’avec elle, tout comme sa fille d‘ailleurs. Le maître conversa donc davantage avec l’Impératrice. Le repas dura jusqu’à tard le soir et, lorsqu’il fut temps de se séparer, l’Empereur adressa ces quelques mots à ses invités :

« Je ne saurai jamais assez vous remercier pour votre venue ! Vous avez comblé mon cœur et lorsque je regarde le sourire de ma fille je ne doute pas que vous avez fait de même avec le sien. En guise de remerciement je vous verserai le double de la somme convenue ! Enfin, en gage de mon amitié, voilà deux pendentifs que nous avons faits de nos propres mains, ma femme, ma fille et moi ! Prenez-les et sachez que vous serez toujours les bienvenues ici ! »

Les médaillons étaient assez grossiers et l’on voyait qu’il se cachait dessous des mains d’Empereur et non d’orfèvre. Anrish sourit nonchalamment lorsqu’il le reçut tandis que Falia ne put contenir sa joie et le pressa contre son cœur. Tout d’eux remercièrent alors chaleureusement le monarque et s’en allèrent.

Après avoir quitté le palais Anrish regarda son apprentie et lui demanda son ressenti :

« - C’était merveilleux ! Qui eut pu croire que l’homme le plus puissant du monde était si gentil !

- Effectivement, qui l’aurait cru… Cependant je doute fort que cet individu soit réellement l’homme le plus puissant comme tu dis… Je pense pour ma part que le pouvoir se trouve ailleurs… »

Falia avait l’habitude et rarement elle avait vu son maître sourire. Il était toujours sérieux et n’avait en tête que des sujets graves et même les plus banales discussions finissaient immanquablement par tourner autour d’affaire importantes qui ne le concernaient d’ailleurs presque jamais. Ce soir fit cependant exception car Anrish sourit pour la deuxième fois de la journée, de façon tout aussi nonchalante que la première mais c’était tout de même là chose exceptionnelle. Il donna alors quelques pièces à son disciple avec pour seule consigne qu’elle s’amuse le lendemain.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Antoine Zwicky ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0