Prologue

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 Après neuf mois de siège, l’assaut final fut donné. Les trébuchets projetèrent leurs lourdes pierres sur la forteresse d’Arfange tandis que des vagues de fantassins s’élançaient par milliers sur les murs de la citadelle. Ces hommes de toute race placèrent leurs échelles aussi vite que possible contre la muraille et les grimpèrent sans se soucier du danger. Tous étaient galvanisés par l’or promis aux cents premiers qui auraient mis pied sur le mur qui s’élevait face à eux et, plus encore, par le paradis promis à eux qui mourraient en essayant.

 En face, les Amadins répondaient en encochant sans répit leurs flèches tandis que d’autres déversaient leur poix sur les malheureux assaillants. Leur courage n’était pas moindre que celui de leurs opposants mais la faim les tiraillait à un point tel que même la peur et le désespoir étaient incapables de la compenser complétement. Le corps à corps qui s’en suivit fut féroce et c’est à l’arme blanche que tous ces braves s’affrontèrent sous la pluie de roches et de pierres qui s’abattait sans cesse dans l’enceinte du fort.

 Certains des hommes du Saint Empire se battaient pour la richesse, d’autres pour leur foi ou encore dans l’espoir d’une promotion. Aucune de ces motivations ne s’excluait d’ailleurs et elles leur faisaient endurer les pires souffrances sans qu’une plainte n’émerge jamais. Face à eux, ces gens qui ne différaient que par la couleur de leur peau et la finesse de leurs traits luttaient pour défendre leurs terres, leur roi et la suprématie de leur race. Chacun estimait, sans doute pas complétement à tort, qu’ils étaient les victimes de cette invasion et ils comptaient bien faire payer à cet Empire soi-disant saint son agression. Pourtant le droit et la justice n’ont que peu à voir avec le résultat d’une guerre et ce n’était de toute façon pas sur la muraille que le sort de la bataille se déciderait.

 Pendant que tous ces fantassins s’écharpaient en hauteur, le sort du siège et de la guerre toute entière se jouait en réalité quelques mètres plus bas. L’immense bélier qui avait mis tant de temps à être construit s’avançait désormais vers les lourdes portes en fer du château et rien ne semblait pouvoir arrêter sa lente mais inexorable course. Les hommes qui l’accompagnaient n’étaient pas de la même trempe que ceux qu’on envoyait mourir sur les murs. Il s’agissait là de fanatiques entrainés et dévoués corps et âmes à leur Empereur et à sa cause. Bardée de fer de la tête aux pieds, ne laissant que leurs yeux à découvert et enveloppée d’une soie violette, la garde impériale progressait lentement dans un silence presque effrayant, et ce, malgré les blessures et les pertes. Seul émanaient de cette masse compacte les piques de leurs lances et les « S » de leur bannière.

 Les chevaliers d’Amadre méprisaient cette piétaille. Se battre à pied était affaire de gueux et de rustres. Ils avaient pourtant appris à craindre cette unité au cours de ces huit années de guerre. La réciproque était également vraie. Cependant, la meilleure infanterie du monde n’a rien à craindre des meilleurs cavaliers lorsque ces derniers sont dépourvus de monture, toutes ayant succombé à la faim de leur maître. Malgré les innombrables traits que les servants et leur bélier reçurent il finit par se positionner face à la lourde herse. A côté de cet engin, un mage usait des quelques pierres de vie qui lui restaient pour renforcer la terrible machine qui s’apprêtait à offrir la victoire à son camp. Les assiégés avaient, quant à eux, utilisé leur dernière il y avait bien des mois déjà et la porte qui les séparait de leurs ennemis paraissait bien frêle face à ce qui allait se déchainer contre elle.

 Le premier coup fit frémir le fort à tel point que l’on eut pu croire qu’il allait s’effondrer tout entier. Le deuxième fut encore plus fracassant et déjà le métal de la porte commençait à se déformer. Il ne fallut pas trois coups de plus pour que la brèche ne se crée et que la garde impériale ne se jette dedans. Face à elle, la noblesse du royaume se tenait résolue, sinon à vaincre, au moins à mourir avec honneur comme leur caste avait toujours su le faire. La phalange pourpre allait exaucer leur souhait. Elle percuta et repoussa tout ce qui lui faisait face.

 Cette troupe d’élite progressa petit au milieu des ruines et des cadavres que leurs machines de siège avaient créés. Au corps amaigri d’un enfant laissé là depuis des semaines se joignit ainsi celui d’un chevalier transpercé par une pique. Leurs dépouilles étaient ensuite piétinées par le mur de lances qui sans cesse progressait, ignorant le paysage infernal dans lequel il s’enfonçait tel un automate mu par la seule volonté de vaincre. Ainsi combattait la garde, sans émoi mais animée par un froid professionnalisme et une implacable discipline qui contrastait avec la bravoure exacerbée, presque romantique, de leurs opposants. Si cette dernière peut s’avérer salvatrice voir même dévastatrice lors d’une charge sabre au clair, elle est cependant d’un bien piètre secours au milieu d’une mêlée aussi dense que celle-ci. Les trois-milles gardes impériaux défirent ainsi sans difficulté les derniers chevaliers épaulés par les quelques hommes d’armes qui tentaient plus bravement qu’efficacement de les seconder.

 L’assaut avait commencé à six heures et il ne fut pas midi que le château était pris et, avec lui, tous les espoirs du roi Armand V. Une semaine plus tard, ce dernier signait avec le premier consul Prario Talmin une paix de défaite qui cédait la province d’Orme au Saint Empire, achevant ainsi la guerre dite des deux fois.

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