Chapitre I

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« Le devoir le plus sacré du croyant est de préserver son âme des tourments de l’au-delà.

Le devoir du religieux est d’en sauver le plus grand nombre possible. Il est celui qui barre la route à ceux qui se dirigent vers le précipice avec l’allant des fous et la confiance des aveugles. »

Livre de la salvation.

La cité de Madélion trônait au centre des plaines du même nom, sur les rives de l’immense lac Granar. Ceinte de ses immenses murailles sur lesquelles reposaient les trente golems, gigantesques statues des grands guerriers d’antan, la capitale de l’Empire faisait à elle seule passer les plus grandes villes de ce monde pour d’aimables bourgades, à l’exception peut-être de la cité état d’Angefeu. Ce n’étaient pourtant pas à ses fortifications qu’elle devait pareil statut. Bien que très imposantes d’autres endroits pouvaient se vanter d’être aussi bien protégés. En revanche nul ne pouvait rivaliser avec sa taille et la magnificence, voire le mysticisme de son architecture.

La première chose qui sautait aux yeux des oiseaux qui la survolaient étaient les trois gigantesques pyramides inversées qui la surplombaient. Ces trois palais, centres du pouvoir impérial, étaient chacun attribué à l’un des grands personnages du pays. Le plus petit d’entre eux était dévoué au premier consul, garant de l’ordre et de la loi au sein des frontières. Le second était celui du connétable, chef suprême des armées. Enfin le dernier et le plus imposant de tous était naturellement dévolu à sa Majesté Impériale.

Autour de ces trois pôles notre petit animal pouvait sans nul doute apercevoir depuis les nuages les innombrables temples qui constellaient la ville. De pierre et surtout de marbre faits, ils revêtaient la forme de sphères qu’on eut posé sur le sol. Cette contrainte passée chacun rivalisait de beauté avec son voisin. Quelques-uns arboraient des bas-reliefs représentant tel ou tel événement du passé tandis que d’autres avaient liés la soie à la roche dans un harmonieux mélange de telle sorte qu’on eut pu croire que la première poussait sur la seconde. Si chacun cultivait son originalité ce qui s’y passait à l’intérieur était aussi uniformisé qu’il était possible de le faire. Le clergé, hiérarchisé au possible, ne tolérait en effet pas le moindre écart car de cette rigueur dépendait le salut des âmes.

A côté de tout ceci se dressait des bâtiments plus profanes mais non moins magnifiques. L’académie des mages et son dôme en or brillait de mille feux lorsque le soleil arrivait à son Zénith, le Sénat en forme d’amphithéâtre parsemé de statues de bronzes surplombait tout le quartier ouest tandis que le grand mausolée s’élevait du sud de la ville sous la forme d’une tour qui semblait avoir pour ambition de tutoyer les nuages. Il y aurait mille autres bâtisses à décrire, même sommairement, mais l’exhaustivité étant difficile à atteindre dans ce cas nous achèverons cette description par les lieux d’habitation qui étaient majoritairement composés de maison rectangulaires, bien que certains riches marchands faisaient tout pour démarquer leur demeure de celles des vulgaires, quoique nul ne le soit vraiment au sein de la capitale, la pauvreté y étant presque explicitement bannie.

Pourtant, en ce jour, ce n’était pas à la surface mais bien dans les sous-sols de la cité que l’évènement le plus important, et pourtant des plus discrets si ce n’est secret, se déroulait. En dessous du temple d’Arnande, du nom de la rue dans lequel il était situé, se produisait une cérémonie annuelle des moins banales. Dans la pénombre, tout juste éclairée par quelques torches, une assemblée d’une quinzaine d’individus se tenait à genoux face contre terre tandis qu’un immense homme de la race des Akshus se dressait devant eux. Une cérémonie semblable s’était produite il y a une dizaine d’année au détail près que les adulte soumis d’aujourd’hui étaient à l’époque des enfants et que leur nombre se situait plutôt autour de la centaine.

Ceux qui étaient absents une décennie plus tard ne reposaient pas dans le grand mausolée, fort heureusement, mais avait échoué plus ou moins tardivement dans la formation qui avait mené les gens ici présents au rang d’éprouvé. Ces hommes, car bien qu’il y ait eu des filles au début aucune d’entre elles n’avait jamais réussi les épreuves, étaient soit des orphelins recueillis par l’Eglise de la salvation soit des derniers de fratrie que les parents avaient offert à l’ordre à leur naissance. Eux-mêmes ne savaient d’ailleurs rien de leurs origines. Tous avaient été recueillis bébé et dès lors leur vie ne leur appartenait plus. Les prêtres chargés de les élever les nommèrent, leur donnèrent une date d’anniversaire commune et se chargèrent de leur éducation. Depuis ils étaient formés pour devenir d’ardents et fanatiques défenseurs de la foi. Le même cycle se répétait tous les ans si bien que vivaient dans les galeries de ce temple quantité de jeunes gens qui ne demeuraient jamais oisifs bien longtemps. Leurs journées étaient rythmées par les prières ainsi que l’enseignement religieux et tout était fait pour qu’ils ne restent jamais inactifs. Lorsqu’ils attinrent leurs dix ans on proposa à ceux qui le souhaitaient de devenir éprouvé. Une moitié, pas la plus sotte, refusa car bien au courant de ce que cela impliquait. Ceux-là deviendraient prêtre ou moine et auraient une vie confortable soumise aux lois de l’Eglise, qu’ils cautionnaient de toute façon de tout leur être car il est ardu de ne pas souscrire à ce que l’on entend sans cesse du berceau au tombeau.

Les autres endurèrent mille souffrances. N’imaginez pas là quelques tortures mais plutôt un entrainement physique et mental des plus intense et surtout presque sans interruption dix ans durant. Les nuits de plus de six heures étaient rares. Lorsque la musculature de ces jeunes gens se développa le sport se rajouta aux méditations et pas une journée ne se passait sans qu’ils ne courent, sautent ou se battent. Un tiers était incapable de soutenir l’effort prolongé. Un autre tiers abandonnait. Là était sans doute le plus difficile car à tout moment n’importe qui pouvait jeter l’éponge et ainsi faire cesser ses tourments. Quelques-uns finissaient trop gravement blessés pour continuer. En revanche chez les autres naissait une force et une solidarité à nulle autre pareille. Leur mental était inébranlable et ils étaient capable d’accomplissements que beaucoup auraient cru impossibles. Il s’agissait des quinze personnes agenouillées en cet instant. Sous peu ils seraient officiellement intronisés dans l’ordre des éprouvés par celui qui les avait formés durant toutes ces années, éprouvé lui-même, Fanish. Comme tous les Akshus il avait la peau qui présentait un dégradé du marron clair vers l’orange pâle de gauche à droite. Il était un peu plus petit que la moyenne et ses yeux étaient de la même couleur que sa peau, à ceci près que les côtés étaient inversés ce qui représentait une originalité peu banale. Cette asymétrie était propre à ceux de son ethnie mais au sein de l’Eglise de la salvation cela n’avait que peu d’importance. Contrairement aux anciens cultes cette dernière ne considérait pas les individus en tant que membre d’une race mais bien en tant qu’humains, qu’importe leurs particularités. Parmi les gens qui lui faisaient face il y avait des représentants de six des neuf races.

Se trouvaient devant lui Deux Akshus ; cinq Bilberins, majoritaires dans la ville et reconnaissables à leurs grande taille, leur peau pâle, leurs traits anguleux et leur marque de naissance pourpre sur le visage dont la forme était propre à chacun ; quatre Rachnirs, à la coloration rouge, la carrure forte et avec des pics qui leur poussaient à la place des cheveux ; quatre Salpes, à la peau écailleuse par endroit, au teint légèrement verdâtre et aux longs doigts, un Ganash, basané, avec un long nez et aux yeux particulièrement grand même selon les critères des siens, un Yntaï des îles du sud à la peau jaune et aux pierres noires incrustées dans le corps qui parsemaient son axe de symétrie et enfin deux métis, les deux mi Bilberins mi Rachnir comme c’était assez courant. Dans ce cas il se disait que l’enfant avait la peau de sa mère et les autres traits de son père ce qui était une généralité abusive mais non dénuée de fondement. Tous ces hommes avaient été formés dans le même moule et les plus grandes disparités physiques n’avaient désormais plus le moindre impacte sur leur comportement les uns envers les autres et même avec qui que ce soit d’autre en ce monde. La foi ordonnait qu’on ignore cet aspect qui avait pourtant été centrale pendant bien des siècles. Faire oublier ces différences était l’une des tâches les plus importantes qu’ils allaient devoir remplir et que l’Eglise s’échinait à accomplir depuis ses presque deux siècles et demi d’existence.

La cérémonie commença ainsi et une heure durant ces jeunes adultes demeurèrent immobiles à écouter les litanies de leur mentor et des autres éprouvés s’étant spécialement déplacés pour accueillir les nouveaux venus dans leur ordre. Rester à genoux face à leurs ainés n’était pas une contrainte pour eux tant le bonheur les avait envahis à l’idée d’enfin intégrer cette congrégation. En cet instant leur joie ne se put comparer qu’aux amants qui ont le cœur comblé. Une fois les psalmodies achevées tous récitèrent alors le serment des éprouvés :

« Nous jurons de servir l’Eglise de la salvation en tout temps, tout lieu. Nous ne ménagerons ni notre sang ni nos efforts pour concourir au salut des âmes ! Nous ferons et enseignerons le Bien et nous écarterons et combattrons le Mal partout où nous serons. Ce qui est saint nous le protégerons, ce qui est impie nous le détruirons ! Nous sommes le pilier inébranlable de la foi véritable et nous ne cesserons de la répandre qu’à l’heure de notre mort. Par-dessus tout nous jurons de protéger l’Empereur des horreurs de ce monde ! »

Suite à cela chacun se leva et reçu du maître de l’ordre, un vieux Ganash à la longue barbe, passablement vouté sous le poids des âges, l’épée à bout courbée formant un angle droit avec le reste de la lame ainsi que deux tuniques blanches, une d’été et une d’hiver, sur lesquelles était brodée une flamme rouge cerclée d’un fil noir, symbole de l’enfer dont est censé vous protéger le porteur de ces habits. Un S d’or, emblème de l’Eglise et de l’Empire, surplombait le feu infernal pour rappeler à tous où se situait le salut et quelles institutions protégeait les hommes des tourments de l’au-delà. Jamais plus ils ne porteraient quoi que ce soit d’autre.

A la fin de la cérémonie chacun se retira pour prier et pour pleurer car, comme on leur avait enseigné, il s’agissait là du seul évènement qui mérita vraiment qu’on s’émeuve pour lui. Suite à cela tous s’isolèrent pour se recueillir, quelques minutes pour certains, plusieurs heures pour d’autres avant de partager un ultime dîner avec les compagnons qui les avaient accompagnés depuis leur naissance. Des conversations badines naquirent alors, du genre de celles qu’on a avec ses amis les plus proches. Tôt ou tard ces dernières dérivèrent sur le lieu d’affectation depuis lequel il serait peu probable de recroiser un jour ses vieux camarades avant de très longues années. Au coin de la table discutaient ainsi Hango, l’Yntaï et Bormo un des Bilberins. Une profonde amitié liait ces deux individus qui, ils en étaient persuadés, n’auraient jamais pu endurer toutes ces épreuves l’un sans l’autre. Le premier avait le crâne rasé et les pierres incrustées dans son corps étaient parfaitement sphérique, signe d’une grande beauté pour les dames de sa race. Le second était blond et avait une tâche en forme de poulpe qui s’étalait principalement sur le côté droit de son visage. Du moins était-ce ce que lui avait un jour dit un fermier de son ethnie alors qu’il vadrouillait dans les champs. Du peu qu’il avait discuté avec lui il avait compris que traditionnellement chaque Bilberin devait lier sa tâche à quelque chose, comme une bête, une plante ou quoi que ce soit d’autre qu’on puisse trouver dans la nature. Son poulpe n’avait rien d’évident et il soupçonnait que cet animal soit l’apanage de ceux dont la marque n’avait pas de ressemblance flagrante avec quoi que ce soit. Là n’était cependant pas le sujet de leur débat :

« - … D’ailleurs on m’a envoyé dans la province d’Alba, tu vas où toi ? Demanda Hango.

- Et bien, tu vas te les geler là-bas ! Enfin, tu vas pouvoir t’amuser à faire la chasse aux monstres ! De mon côté on m’envoie en Orme.

- En Orme ?! En effet, la température sera le dernier de tes soucis là-bas ! J’ai entendu dire que nombre de prêtres avaient été assassinés et que malgré notre victoire les Amadins refusent de se soumettre !

- C’est bien pour cela qu’on m’y envoie ! Si ces barbares refusent de se plier à la foi véritable c’est de force que nous les sauverons ! J’ai hâte d’y être et je n’aurai pas pu rêver meilleure affectation ! Nul doute que de tout notre Empire c’est bien dans cette région que les âmes en perditions sont les plus nombreuses ; je serai donc plus utile là-bas que nulle part ailleurs ! »

Ce n’était pas de l’inquiétude mais bien de la jalousie qu’éprouvait son camarade à ces paroles. Chacun souhaitait plus que tout mettre en pratique les préceptes qu’il avait appris et nul endroit ne s’y prêtait mieux que la province récemment acquise N’importe quel soldat aurait ri de leur zèle aveugle et suicidaire mais ils n’étaient pas comme eux. Ils étaient des prêtres en mission et nul laïque ne pouvait imaginer le lien qui les unissait à leur idéal et à leur divine quête. Dès le lendemain chacun partit de son côté dans l’une des vingt-deux provinces de l’Empire vers un destin à nul autre pareil car, comme on le leur a souvent répété : « les éprouvés ne connaissent de la vie que ses joies les plus intenses et ses souffrances les plus atroces ».

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