Un pas après l'autre !

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2 semaines plus tard

Réveille-toi petite sœur,

Je suis bien au chaud au fond de mon lit, complètement enfoncée dans le matelas et écrasée par l’édredon qui me recouvre, comme tous les matins depuis déjà deux semaines. Je suis une nouvelle fois réveillée par la voix de Susanne, qui raisonne dans mon esprit. Je la retrouve toutes les nuits dans mes rêves. C’est sa voix qui me berce pour que je trouve le sommeil et encore sa voix qui me réveille chaque matin.

Depuis quelques jours, je suis en colère contre le monde entier, mais plus particulièrement contre moi-même de ne pas avoir su protéger ma sœur. Je suis en colère contre le chauffeur du camion, qui s'est endormi au volant de son véhicule. En colère contre son patron, de ne pas lui avoir permis de se reposer quelques heures, parce qu’il était déjà en retard pour sa livraison. Je suis en colère après Thomas, de ne pas avoir su réagir comme il faut, pour éviter la collision, il aurait dû la protéger, il aurait dû faire quelque chose, il aurait dû empêcher ça, il aurait dû la sauver. Et je suis en colère après moi, pour avoir laissé un homme me voler cinq ans de ma vie avec ma sœur, cinq ans partis en fumé sur un mensonge et que je n’aurais jamais la possibilité de rattraper.

Je fourre ma tête sous l’oreiller et pousse un grand cri, j’ai besoin de hurler toute la colère et la douleur que j’ai au fond de moi, j’ai besoin d'extérioriser tout ce que je retiens depuis déjà trop longtemps. J’ai l’impression d’être dévoré de l’intérieur, de me consumer tous les jours un peu plus. Je pousse un dernier cri avant de finir par me lever et d’être prise par une subite envie de vomir, mon petit rituel du matin. J’en ai pris l’habitude maintenant, alors je saisis la bouteille d’eau à côté du lit et en avale presque la moitié d’une seule traite. Seul remède que j’ai fini par trouver pour vomir quelque chose et éviter les spasmes douloureux. J’ai mis du temps à le comprendre, mais aujourd’hui, je sais ce qu’il m’arrive, je vois les signes, mes seins ont gonflé et aucune trace de mes règles. Cette chose que j’attends depuis plus d’un an et demi et que je redoute plus que tout aujourd’hui. Parce que je suis parfaitement incapable de m’occuper d’autre chose que de moi-même.

Je ne sais pas si je dois me réjouir ou me maudire… Mauvais timing !

Je n’en ai bien sûr parlé à personne et je n’ai même pas pris la peine de vérifier pour en avoir confirmation, parce que tout au fond de moi je connais déjà la réponse, mais je ne veux pas être confrontée à la réalité. Je pose la main sur mon ventre en fermant les yeux.

- Mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de toi ?

Je soupire avant de me diriger aux toilettes, puis un petit tour dans la salle de bain pour me laver les dents…

Les mêmes gestes chaque matin, encore et encore.

J’ai pris l’habitude de prendre tous mes repas au bar, évitant ainsi la corvée des courses et de la cuisine et puis ce qu’on y mange est plutôt bon. Même si je soupçonne Gisèle, de mettre les petits plats dans les grands, rien que pour me faire plaisir. Sans le vouloir, j’ai fini par prendre en affection ce petit village et tous ces habitants et ils semblent en retour m’avoir bien accepté. Mes journées sont rythmées par des balades en forêt, cherchant toujours à faire remonter le maximum de souvenirs de ma sœur et de cette période que nous seuls avons partagé.

J’hésite vraiment à aller prendre mon petit déjeuner là-bas. Je suis d’une humeur massacrante depuis quelques jours, mais aujourd’hui ça surpasse tout et je n’ai pas envie de me montrer désagréable avec tous ces gens qui se plient en quatre pour me rendre la vie plus facile, depuis mon arrivée. Pour le moment, personne ne m’a posé une seule question sur ma présence ici et j’en suis bien contente puisque de toute façon, je n’ai toujours pas l’intention de parler de ma vie privée à qui que ce soit. Ce n’est pas tant que je n’ai pas confiance en eux, bien au contraire, c’est plutôt que je ne suis pas encore prête à partager mon histoire.

Chaque jour, je trouve une nouvelle chose à faire sur les traces des trois semaines que j’ai passées dans cet endroit avec ma sœur quand nous étions enfants. Et je dois bien avouer que sans les habitants du village ne n’y serais jamais parvenue. Je ne connais pas du tout la région et j’ai préparé mon voyage à la hâte sans savoir réellement ce que j’allais trouver. Je dois donc tout à ses gens, qui ont rendu possible mon pèlerinage.

Je tente d’enfiler un jean, mais je suis forcée de constater qu’il me serre bien plus qu’à l’habitude au niveau des hanches et du ventre et je doute que seul l'intrus dans mon ventre en soit l’unique cause. Je ne fais plus du tout aucune activité physique depuis la disparition de ma sœur. J’ai perdu le goût de tout et les petits plats de Gisèle m'ont fait prendre plus de poids que tout ce que j’avais perdu avant d’arriver ici. Je me regarde dans le miroir en haussant les épaules, de toute façon mon apparence est bien le dernier de mes soucis en ce moment. Je jette mon jean sur la pile de vêtements qui gît sur la chaise dans ma chambre. Il faudrait que je me décide à ranger un peu, c’est un vrai bordel ici. J’enfile mon pantalon de sport qui me sert lui aussi plus que d’habitude, mais au moins il est élastique, ce qui devrait me permettre de pouvoir le supporter. Je déteste le shopping, mais je pense que je vais être obligée d’aller en faire un peu, avant de ne plus rien avoir à me mettre.

Je descends les escaliers en colimaçon qui conduisent au salon. Je me serre une tasse de café, cela fait environ une semaine que l’odeur ne me retourne plus l’estomac. Nico serait fière de moi, j’ai même appris à le faire moi-même. Je soupire en pensant à mon ami à qui je n’ai donné aucunes nouvelles depuis mon départ, je ne communique qu’avec mon mari et c’est rare, j’essaie de lui donner des nouvelles une à deux fois par semaine mais pas plus. A chaque fois que je rallume mon portable, j’ai des dizaines de SMS, que je ne lis pas, je les efface tous directement sans les consulter. Parce que j’ai bien trop peur de lire les mots de Mickaël, d’entrevoir ne serai ce qu’un instant la peine que je lui ai causée. Je le sais trop bien et je n’ai pas besoin qu’on me le rappelle.

Ma tasse à la main, je me dirige vers le canapé où la table basse disparaît sous toutes les photos que j’ai éparpillées un peu partout, depuis que je suis arrivée. Chaque matin et chaque soir je les regarde, je les dissèque, je les analyse, à l'affût d’une chose que je n’aurais pas encore vue, d’un souvenir qui ne serait pas encore revenu. Chaque jour, je suis accueilli par le sourire figé de Susanne sur les clichés et à chaque fois que mon regard tombe sur ses yeux la douleur se réveille, toujours présente, toujours lancinante. J’ai appris à vivre avec durant les quinze derniers jours, mais cela ne fait pas moins mal pour autant.

C’est décidé, je me passerais de petit déjeuner pour ce matin, j’ai l’objectif de me défouler et il n’est pas envisageable que ce soit sur les habitants du coin. Je vais donc partir en forêt à la recherche de je ne sais pas quoi, mais je trouverais bien en chemin. J’enfile méthodiquement mon manteau, mon bonnet, mes gants et mes après-ski à crampons que j’ai finis par acheter dans le magasin de sport du coin, après m’être rendue compte que les baskets n’étaient pas du tout adaptées sur le terrain escarpé de la montagne.

Quand je ferme la porte derrière moi, je suis saisie par le vent glacial, le mois de mars est déjà bien entamé, mais les températures ne semblent pas décider à aller vers la hausse. Même si je déteste l’été, j’avoue que là, je ne serais pas contre une petite dizaine de degrés supplémentaires. Je descends mon bonnet un peu plus bas sur mes oreilles et remonte le col de ma doudoune avant de m’engouffrer sur le sentier de randonnée qui mène au lac.

Je commence à connaître le chemin par cœur, j’y vais presque tous les jours, le paysage commence à changer avec l’arrivée du printemps. Les cimes des sapins n’ont plus du tout de neige et le sentier est devenu boueux avec la fonte. J’adore sentir l’odeur des sous-bois me chatouiller les narines, cette odeur si caractéristique qui me rappelle mon enfance dans les montagnes du massif central. Ici les montagnes sont bien plus hautes, les sentiers plus escarpés, mais ça reste dans l’esprit de ce que j’ai connu, durant la plus grande partie de ma vie. J’ai grandi à la campagne, pourtant pour les gens du coin je suis « la citadine », c’est à croire que ces sept dernières années ont eu plus d’influence sur ma manière de me comporter que les vingt-trois premières. Mais cela ne me gêne pas, j’ai pris l’habitude de ce surnom dont j’ai été affublé dès mon arrivée. Si au début il me faisait grincer des dents, aujourd’hui je le trouve affectueux.

Je suis en train de me diriger vers l’endroit où j’ai l’habitude de me rendre jusqu’à ce que je sois surprise par un bruit inhabituel sur ma droite, probablement un animal. Mais je ne sais pas pourquoi, je suis tentée d’aller y voir. J’essaie de me frayer un chemin dans cette direction mais ma progression est compliquée, des branches, des ronces, j’ai pourtant l’impression qu’autrefois il y avait un sentier en bon état ici. Les arbres sont plantés exactement comme sur le chemin qui vient de me conduire jusqu’ici. Plus j’approche et plus je me dis que je suis déjà venue ici, j’ai des sensations bizarres et un sentiment de bien-être très particulier. Au bout d’un moment qui me parait interminable, je finis par accéder sur une petite plaine verdoyante avec une petite construction en bois qui doit être abandonnée depuis de nombreuses années au vu de son état. Le tout semble donné au-dessus du lac.

En approchant sur le devant de la petite cabane, je découvre un système de poulie rouillée qui pend sur un vieux poteau au-dessus de ma tête, des câbles emmêlés semblent pendre dans le vide. Je suis sûr et certaine d’être déjà venue ici, mais je n’arrive pas à me souvenir. En entrant dans le chalet de fortune, je découvre un reste de matériel, des cordes, des mousquetons et quelques vieux harnais.

- N’aie pas peur, je serais juste derrière toi, il ne pourra rien t’arriver !

J’entends clairement la voix de Susanne dans ma tête et je me demande si c’est un souvenir réel ou bien si c’est mon imagination qui commence à me jouer des tours. Je secoue la tête avant de la prendre dans mes mains et de m'asseoir au bord de la falaise pour contempler le lac, qui s’étend devant moi. Je prends un caillou dans mes mains et le lance, mais je ne vois pas où il retombe. Je remonte mes jambes vers ma poitrine et les entourent de mes bras, avant de poser la tête sur mes genoux. Je ferme les paupières fort en tentant de me souvenir, mais il m’échappe, je n’arrive pas à me concentrer dessus assez longtemps pour le saisir. Quand j’ai l’impression que je me rapproche, il repart aussi vite et c’est vraiment très frustrant !

J’étais déjà en colère avant d’arriver ici, mais là je le suis encore plus de ne pas arriver à me souvenir de ce moment que je suis certaine d’avoir partagée avec elle. Pourquoi je n’y arrive pas ? La douleur, la colère, la frustration sont autant d’émotions qui menacent de me submerger complètement et je ne sais pas comment faire pour lutter contre ça. J’ai beau regarder autour de moi, je ne vois rien qui pourrais m’aider à me décharger, j’ai besoin de taper sur quelque chose, mais je doute que cogner sur un arbre soit une solution, tout ce que je vais réussir à faire, c’est me blesser.

La douleur, remplacer une douleur par une autre, c’est ce que je fais en général pour me soulager, il y a très longtemps que je n’ai pas couru, très longtemps que je n’ai pas ressenti le besoin de m’infliger la douleur, pour en traverser une autre. Elle est peut-être là la solution, c’est peut-être de cela dont j’ai besoin en ce moment même. Je regarde mes pieds, au pire j’aurais des ampoules. Je me lève en me promettant de revenir dans cet endroit tous les jours, jusqu’à ce que je sois capable de me souvenir de ce qu’il s’est passé ici.

Je rebrousse chemin jusqu’à rejoindre le sentier qui donne sur les bords du lac, je descends à la hâte jusqu’à ce que j’arrive en bas. Je m’élance à gauche, je n’ai encore jamais tenté d’en faire le tour, mais en ce moment, je suis bien décidé à y remédier, j’en ai besoin, sinon je risque d’exploser. J’essaie de mettre toute ma douleur et ma colère dans chaque foulée que je fais, dans chaque pas qui m’amène un peu plus loin. L’oxygène est moins présent en altitude, mes poumons me brûlent, mais je sers les dents et me force à continuer, à ressentir la douleur que j’inflige à mon corps pour tenter d’oublier celle qui est présente dans mon cœur. Je me sers de toute la colère que j’éprouve, pour continuer d’avancer toujours plus loin.

J’ai tellement mal dans mon cœur et dans mon âme. Pourquoi faut-il encore que j’aie à subir autant de douleur ? Pourquoi la vie ne peut-elle pas me laisser un peu de répit ? Je n’ai qu'un peu plus de trente ans et j’ai pourtant l’impression d’avoir vécue autant de perte qu’une vieille personne. Pourquoi moi ? Pourquoi elle ? Autant de questions auxquelles je n’ai pas de réponse, mais je me dis que j’ai vraiment dû être très méchante dans une autre vie, pour avoir mérité tout cela aujourd’hui.

A mesure où j’avance, les larmes ruisseler sur mes joues et le vent froid les sèche en me mordant la peau. J’ai le souffle court, la respiration difficile, l’air me manque cruellement. J’ai la sensation de me noyer, mais je continue malgré tout à accueillir cette douleur comme une bénédiction. J’ai déjà parcouru plus de la moitié de mon parcours et je me demande si mon corps tiendra jusqu’au bout. Mes muscles sont tétanisés et des douleurs dans mon bas-ventre se font ressentir, comme des milliers d'aiguilles me transperçant le ventre. La douleur est si vive qu’elle me force à m’arrêter, je prends appuie sur un sapin d’une main tout en posant l’autre sur l’endroit douloureux avant de finir par m’accroupir. Je me laisse glisser le long de l’écorce, tout en gardant mes jambes pliées sur mon torse en poussant un cri déchirant, qui rompt le silence qui m’entoure.

Soudain, je pense à l'intrus dans mon ventre qui grandit tous les jours un peu plus et je me demande si courir comme une forcenée est bon pour lui. Je sais que je devrais voir un médecin pour vérifier que tout va bien, mais je n’arrive pas à m’y résoudre parce que pour le moment, il n’est qu’une hypothèse abstraite dans mon esprit. Et je sais qu’à la minute où quelqu’un prononcera les mots « vous êtes enceinte » il deviendra réalité et je n’ai pas besoin de cela pour le moment, je n’ai pas la force d’affronter ça.

Inspire, expire, inspire, expire…

Je me force à me détendre et à calmer ma respiration difficile, ainsi que les battements de mon cœur bien trop rapide. La douleur se calme, se dissipe et bientôt, elle devient un léger crépitement au fond de mon ventre. Il fait froid, beaucoup trop froid ici, je suis glacée de l’intérieur mais je ne bouge pas, je reste là en boule contre cet arbre sur lequel je m’appuie en fermant les yeux. Un moment calme, paisible où seuls les bruits de la nature m’entourent et me berce. Un moment de totale plénitude, comme je n’avais pas ressenti depuis très longtemps.

- J’ai peur Susanne, c’est très haut !

Je regarde le vide qui s’étend à mes pieds et qui donne sur le lac en contrebas. Je n’y arriverai pas, j’ai trop peur de tomber. Elle m’attrape par derrière en me serrant fort les épaules.

- N’aie pas peur, je serais juste derrière toi, il ne pourra rien t’arriver !

Je regarde le harnais qui entoure mes hanches où pendent plusieurs cordes de couleurs différentes, des mousquetons à leur bout. Je relève la tête où se trouve le câble de la tyrolienne et la suit des yeux. Elle va tellement loin que je ne vois pas le bout, mais je sais qu’elle traverse le lac.

- Et si je tombe ? Je ne sais pas nager !

Susanne me fait pivoter vers elle pour que je puisse la regarder dans les yeux, nous sommes presque de la même taille, maman dit toujours que je pousse aussi vite qu’une asperge. J’aime pas les asperges. Elle me fait un grand sourire qui s’étend jusqu’à ses yeux et quand mon regard tombe dans le sien, il me semble apercevoir celui de maman. Elle me manque tellement et papounet aussi.

- Aller Cassie, fais un effort sinon tu vas le regretter toute ta vie ! Tu verras ça va être génial !

Susanne, elle n’a jamais peur de rien, alors que moi j’ai peur de tout, même mon ombre me fait sursauter parfois. Elle me met une tape sur l’épaule en rigolant.

- Poule mouillée !

Je déteste quand elle dit ça, elle tourne les talons et s’éloigne rejoindre le groupe en me laissant là, puis elle s’arrête et se retourne.

- Tant pis pour toi, tu vas rester toute seule ici et tout le monde va te traiter de poule mouillée.

NON, j’aime pas qu’on se moque de moi et puis je veux pas être toute seule moi ! Je regarde les autres enfants qui ont commencé à descendre. Il cris très fort quand ils commencent à dévaler la pente jusqu’à ce que le bruit ne soit plus qu’un murmure et qu’ils disparaissent au loin. Oh la la, Qu’est-ce que c’est haut, qu’est-ce que c’est loin et… Qu’est-ce que j’ai peur !

Quand je finis par détourner les yeux pour regarder Susanne elle n’est plus là, elle fait la queue à la tyrolienne, elle relève la tête vers moi et me tend la main, alors je vais la rejoindre. Elle prend ma main et la sert fort dans la sienne. L’écart entre nous et le vide se réduit vite, mon cœur bat fort et ma respiration est plus rapide… J’ai tellement peur.

Quand arrive mon tour, je me fige, mes pieds ne veulent plus avancer. Susanne pose ses mains sur mes épaules et me murmure à l’oreille.

- Sautes, c’est tout !

Je ferme les yeux, j’avance et je me répète en boucle saute c’est tout… Saute c’est tout… Sautes, c’est tout ! Quelqu’un est en train de m’attacher, j’ouvre les yeux et croise le regard du moniteur, des yeux bleu si clair et si limpide qu’on pourrait s’y noyais, des yeux que je connais… Il me fait un grand sourire.

- Tiens toi bien à la corde, tout va bien se passer tu verras et après tu voudras recommençais, je te le promets !

Il caresse mes cheveux et ma joue, comme le fait papa quand je suis triste ou que j’ai peur. J’entends la voix de Susanne juste derrière moi.

- Aller Cassie… Sautes, c’est tout !

Et je suis partie.

Réveille-toi petite sœur !

Je suis tellement fatiguée Susanne, laisse-moi dormir !

Allez, réveille-toi petite sœur !

J’ai froid, il fait tellement froid ici !

REVEILLES-TOI !

Je sursaute en ouvrant les yeux, je suis allongée sur le sol roulé en boule et transite par le froid, je grelotte et claque des dents, il faut que je rentre, je dois me réchauffer.

Je me relève, les jambes tremblantes et j’avance, j’avance sur le chemin du retour. J’ai gagné un souvenir de plus et ça réchauffe mon cœur, un peu, juste un peu, mais ça n’a pas effacé ma colère loin de là. Elle est toujours présente au fond de moi et réclame de sortir, mais je me contiens. J’avance, un pied après l’autre me rapprochant du petit nid douillet de souvenirs que je me suis construit ces deux dernières semaines. Cet endroit où je me suis réfugiée et qui n’appartient qu’à nous deux. Ce petit chalet niché au creux de la forêt des Alpes qui est devenu mon chez moi, notre chez nous. Là où nous sommes ensemble.

J’avance un peu plus à chaque minute toujours perdue dans mon souvenir, je voudrais pouvoir me rendormir pour la retrouver encore une fois. Pouvoir la serrer dans mes bras, sentir la chaleur de son corps contre le mien, sentir sa présence à mes côtés, entendre le son de sa voix une dernière fois, juste une dernière fois. Si seulement je pouvais lui dire au revoir… Juste au revoir. Non, elle est là avec moi, chaque fois que j’ouvre les yeux et chaque fois que je les ferme et elle le sera toujours !

Je finis par atteindre non sans difficultés ma petite maison, je peux l’apercevoir au loin, mes muscles me font souffrir et mon sang est glacé, je peux le sentir parcourir mes veines dans tout mon corps. Chaque battement de mon cœur est une épreuve à surmonter, chaque pas me demande un effort considérable, chaque respiration est difficile, mais je m’accroche.

Panique, peur ! Je suis devant la porte qui est entrouverte, quelqu’un est entré. Je suis au milieu de nulle part, seule et personne pour m’entendre crier. J’hésite un instant à me réfugier au village pour demander de l’aide, mais quelque chose me retient. Et soudain une pensée… Il m’a retrouvée… Non ce n’est pas possible, j’ai tout bien fait pour que cela ne se produise pas, même lui n’est pas en mesure d’y arriver. Mais je le connais aussi, il est capable d’écumer la France entière pour me retrouver… Il doit partir, je ne peux pas, c’est trop tôt !

La colère…

J’ouvre la porte avec violence et elle s’écrase dans un bruit assourdissant contre le mur. J’entend un petit cri quand je pénètre en courant dans le salon. Des photos virevoltent et s’écrase sur le sol. Mes photos, mes souvenirs de quel droit elle y touche ? De quel droit se permet-elle de pénétrer dans mon espace personnel, sans y avoir été invitée ?

La colère…

Je croise son regard perdu, mais je suis incapable de me retenir plus longtemps, elle vient de violer mon sanctuaire, de pénétrer dans mon intimité. Je déverse toute ma colère sur elle, sur cette femme qui m’a ouvert grand les bras quand je suis arrivée ici, cette femme toujours gentille et souriante, mais je ne suis pas capable de me contrôler.

- DEHORS ! DEHORS !

Je viens de lui hurler dessus. Les poings serrés le long du corps, je tremble, je tremble comme une feuille. Je mords ma lèvre pour ravaler tout ce que j’ai envie de lui balancer, parce que je sais que je n’en ai pas le droit. Elle me regarde quelques instants, sous le choc de ma violence en clignant plusieurs fois des paupières avant de finir par passer à côté de moi rapidement et de sortir en claquant la porte. Je suis enfin seule, mais je ne pourrais jamais oublier le regard triste de Gisèle, quand il a croisé le mien.

Colère…

Je saisis la tasse que j’ai abandonnée ce matin sur le bar et la balance de toute mes forces, elle vient s’écraser contre le mur devant moi et se brise en mille morceaux. Mais ce n'est pas suffisant, cela ne m’apaise pas. Je suis ravagée par la colère, je n’ai plus aucun contrôle, c’est elle qui commande. Je suis dans une telle rage que rien ni personne ne pourra m’arrêter. Vaisselle brisée, canapé et table basse renversée, vêtements déchirés. Je m’acharne de toutes mes forces sur tout ce qui se trouve sur mon passage, tout ce qui se présente devant moi. Je casse, je détruis, je brûle ! Je finis par m'effondrer à genoux au milieu de ce capharnaüm, mes yeux se portent sur toutes les photos qui m’entourent, elles sont toutes en désordre, elles n’ont plus aucun sens, plus aucune logique. Elles sont éparpillées et jonchent le sol mélangées au verre cassé, au bois brisé et aux vêtements en lambot ! Elles sont autant en bordel que dans ma tête.

La colère s’estompe au fil des minutes qui s'égrènent, puis revient la peine et la douleur. J’ai tellement mal à l’intérieur, mais je me sens à la fois triste d’avoir réagi comme ça, aussi violemment face à quelqu’un qui ne le méritait pas, quelqu’un qui ne m’a jamais fait souffrir et qui m’a pris sous son aile.

T’as foutue un sacré bordel ma vieille !

Ma conscience qui revient, alors qu’elle m’avait abandonnée depuis une éternité. Elle qui s'était enfermée à double tour pour ne pas assister au carnage qu’est devenue ma vie. Et plus je regarde autour de moi, plus je me rends compte du gâchis, il faut que je fasse le tri dans ma tête, mais avant je dois faire le tri autour de moi.

Je ramasse toutes les photos qui sont éparpillées et je les remets dans leur boite, puis j’attrape une poche poubelle et je commence à y mettre le verre brisé et les vêtements déchirés. Petit à petit, j’efface toutes les traces de la colère que je n’ai pas réussi à contrôler, à maîtriser, à canaliser. Je ne suis même plus en colère, je suis tellement fatiguée qu’elle semble s’être évaporée emmenant avec elle les dernières forces qu’il me rester. Ramasser, ranger, jeter, m’occuper pour ne pas flancher, pour ne pas repartir dans le laisser aller, regarder en avant et plus en arrière. Simple non ?

Non ce n’est pas si simple en fait, si ça l’était nous serions tous heureux et ce n’est définitivement pas le cas. Nous avons tous nos démons, nos peines, nos doutes, nos peurs, nos faiblesses et la vie ne se montre pas toujours tendre, elle n’a de cesse de s’acharner sur moi.

En regardant autour de moi, tout est redevenu comme avant, tout est bien rangé et à sa place. Plus de colère, juste une irrésistible envie de pleurer, de laisser mon chagrin s’exprimer et ma peine sortir.

Elle est morte, Susanne est partie et je sais qu’elle ne reviendra plus jamais. Qu’elle ne partagera plus aucun moment de ma vie aussi bon que mauvais, qu’elle n’aura plus la possibilité de serrer ses enfants dans ses bras, elle ne les verra pas grandir, s’épanouir et devenir des adultes, de belles personnes, parce qu’ils sont une partie d’elle et qu’elle était définitivement une très belle personne. Ils vont devoir grandir seuls, sans leurs parents qui les aimaient plus que tout au monde, plus qu’eux même.

Les larmes, celles que j’ai mis si souvent de côté en essayant de les ignorer semblent à présent vouloir sortir sans que je n’arrive à les refoulées. Elles coulent sur mes joues et ne veulent plus s’arrêter. Je finis par m'allonger sur le canapé enroulé dans la couverture et ferme les yeux dans l’espoir de sombrer dans le sommeil pour oublier le vide immense que je ressens. Cette perte dont je viens réellement de prendre conscience et dans l’espoir de peut-être pouvoir la retrouver.

Impossible, elle est partie et ne reviendra jamais…

Douleur, peine et désespoir il n’y a plus que ça.

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