Négociation et chantage [1/4]

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Soigneusement vêtu d'un costard trois pièces, James vient me récupérer dans un taxi en bas de mon immeuble. Mamie Renée, que rien n'échappe, s'exclame « Je savais bien que c'était pour la blondinette du cinquième qu'il venait c'lui-là ! » et ajoute lorsque je passe près d'elle « eh bien ! C'est qu'ça a grandi tout ça, Mistinguette les bas bleus ! » en référence aux femmes de lettres qui se la pètent un peu chez les Lord. Une étymologie prise de la langue anglophone. Je lève les yeux au ciel tout en balançant mon petit sac à main, un sourire fier de me mettre au bras de mon bel Anglais.

James m'étreint dès que je suis assez proche de lui, comme si nous ne nous étions pas vus depuis des dizaines de jours et me pose un baiser long et plein de fougue. Je lui entoure la taille tout en lui déposant quelques bisous.

— Et si on restait là ici, seulement nous deux et batifoler toute la nuit ?

— Très tentant, mais j'ai réservé dans un superbe restaurant et je rêve depuis un moment de le faire. Je suis heureux de pouvoir le partager avec toi ce soir.

De mon pouce, je lui caresse sa barbe râpeuse et frotte mon front contre sa bouche, je souhaiterai que cet instant dure une éternité et même cela serait trop court. Moi dans ses bras, nos poitrines collées, sa respiration calme et sa peau sous mon toucher. Enfin, je lève le menton :

— Pour toi, je t'accompagnerai au bout du monde.

Pour réponse, il me pose un autre baiser et m'entraîne à l'intérieur de la voiture. Il est 20h30.

L'horloge du musée d'Orsay indique 21h alors que nous nous dirigeons droit vers le quai anatole où le Grand Pavois attend ses convives pour une croisière de deux heures sur la Seine. J'angoisse un peu à me retrouver en plein milieu de personnes tirées à quatre épingles, mais il n'en est rien. Plusieurs d'entre elles sont moins sur leur 31 que nous, à croire que nous allons fêter notre première année de mariage. Par contre, je perçois qu'elles sont habituées à y venir, des salutations courtoises de la part du type à l'entrée sans regarder sur sa feuille le nom de ces gens.

Quand arrive notre tour, le commissaire de bord et le capitaine nous invitent à entrer et nous souhaitant la bonne soirée.

Lorsque j'entre, de larges baies nous offrant une vue panoramique, comme l'impression que nous marchons sur l'eau à ciel découvert. J'en reste bouche bée. James me tient fermement la main et c'est là que je comprends à quel point il ne se rend compte de rien. Droit vers son objectif, il ne s'attarde pas une seconde sur ce que je constate : ces femmes qui lui font les yeux doux, des femmes qui, dès que leurs partenaires ont le dos tourner, se permettent une œillade vers lui, et à mon tour, alors je le regarde, beau et charismatique, modeste et élégant. Je resserre un peu plus ma poigne pour ne pas qui s'éloigne trop loin de moi et évite de m'attarder plus longtemps sur celles qui, à l'inverse, me lorgne étrangement, entre déception et mépris.

Nous nous asseyons face à face dans l'angle du bateau, en bordure de la baie vitrée, nous laissant à loisirs la Seine mystérieuse qui s'abat paisiblement contre les parois du bateau.

Pendant quinze minutes, nous attendons en discutant de mon après-midi avec Stein et du sien à travailler sur le cours de demain, dont je peine à lui lâcher quelques infos. Il est coriace et cela semble l'amuser de me faire la surprise demain.

Le bateau est parti depuis un bon moment et les plats ont été commandés. James a pris la même chose que moi : Saumon fumé, poudre lime, tartare tomates, artichauts, betterave acidulée, pour l'entrée et suprême de volaille Jaune, gratin de courgettes, carottes de couleurs, sauce citron basilic pour le plat principal. Je ne sais pas comment font les filles pour manger qu'une salade, à cette heure-ci j'avalerais un éléphant.

En levant les yeux vers le paysage urbain, des monuments sont avalés par l'obscurité et des lumières orangées se reflètent par intermittence sur l'eau. De légers remous montrent la vitesse de notre croisière, lente, pour y admirer le décor parisien jusqu'à ce que l'éclairage du bateau me rende mon reflet et celui de James, assis face à moi.

C'est saisissant, soudain comme il est terriblement intimidant et d'une posture qui le rend séduisant à souhait au milieu de ce décor si peu modeste. Moi, la jeune femme de vingt-deux ans côtoie intimement cet érudit, bien que jeune pour la profession, de trente-huit ans. Qu'ai-je de plus que les autres nanas de son âge ? Bien plus responsable, sûre d'elle, matures et avec qui il pourrait trouver un train de vie de sa prestance ? Peut-être s'amuse-t-il avec moi ? Je chasse tout de suite cette pensée de mon esprit, James ne ferait pas tout ça pour une femme avec qui il coucherait de temps en temps.

Alors que mon corps a rencontré le sien plusieurs fois, la vie passée de James Taylor reste un mystère pour moi. Je sais seulement que Lauren Smith était son épouse décédée et ancienne mentor – comme elle l'a été pour moi - et que sa mère est morte un an avant. Que Simon Williams, un de mes baisers échappés un soir à Londres, est son meilleur ami d'enfance. Puis que son père s'appelle Robert Taylor. Ce dernier m'a rendu visite il y a un mois pour tenir un discours incompréhensible sur son fils, sur moi, sur Vénus, sur leur famille. Mais ça, James ne le sait pas. À l'époque, j'avais peur de sa réaction. Maintenant, trop de jours se sont écoulés pour trouver le bon moment. Je n'ai plus d'excuses. Ça restera une gentille cachoterie.

Hormis ces derniers éléments, James ne parle pas de lui. Jamais. Ou rarement. Seulement de son travail et me pose des questions sur moi. Pour s'intéresser à moi, je n'ai pas à le nier, il s'y intéresse. A mes parents, mon enfance, mes premiers amours, mon douloureux passé, mon avenir, mes cours, mes notes, ce que j'ai mangé ce matin et si Iban est une personne fiable pour garder un secret.

Voilà que j'ai passé des mois à me protéger de lui et de mes sentiments, il souhaitait que je me livre à lui, corps et âme, et je ne suis plus du tout un livre fermé. J'aimerais tant qu'il se livre à moi comme je le fais avec lui.

Je jette de nouveau un œil alentour.

— On nous lance quelques regards indiscrets depuis notre arrivée, tu sais ? lui murmuré-je au-dessus de nos assiettes.

What ? Un oncle n'a pas le droit de dîner avec sa nièce, taquine-t-il.

Je pose mon coude, le menton posé sur la paume de ma main, un sourire aux lèvres : il est trop mignon ! Doucement, mon pied relève son pantalon au niveau de sa jambe. Il esquisse un sourire en coin, bien qu'il s'attarde sur son assiette.

— J'ai reçu une lettre venant de la Villa Médicis de Rome, dis-je.

Enfin, il lève son nez et remonte ses lunettes.

— Alors, ils te prennent ? La thèse sur Botticelli leur a plu ? s'empresse-t-il de m'interroger, les yeux écarquillés.

— Je ne l'ai pas encore ouverte.

Il fronce les sourcils.

— Mais pourquoi donc ?

— Parce que quoiqu'il en soit, je n'irai plus. J'ai décidé de finir mes études à Londres, près de toi.

Il lâche un long soupir et prend mes deux mains.

— La Villa Médicis à Rome est la meilleure école pour se former à la restauration. Tu ne dois pas abandonner tes rêves.

— Mon rêve, c'est d'être avec toi.

Il embrasse ma main.

— Je ne veux pas être celui qui gâche ton avenir et tes projets.

— Tu ne gâches rien. Tu enjolives mon avenir.

Il passe une main sur ma joue.

— Nous en reparlerons.

J'aimerais en parler maintenant, si tu le veux bien. J'ai besoin de savoir si nous sommes sur la même longueur d'ondes, James.

— Je suis tout ouïe.

— On peut parler de toi. J'aimerais que tu m'en dises plus sur tes pensées, que tu me fasses confiance...

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