Négociation et chantage [2/4]

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Je me tortille sur ma chaise. Devrais-je lancer le sujet sur notre soirée de retrouvailles ? Voilà deux semaines que nous n'en parlons plus, mais je ne suis pas si idiote, je remarque ses absences et ses nuits à veiller.

Il me fixe longuement et décale sa jambe pour s'enfoncer dans sa chaise. Mauvais signe. Il ne parlera pas tant que je n'irai pas au bout de ma pensée.

— Tu es devenu beaucoup moins bavard ... enfin sur toi... depuis.... L'autre soir... (je chuchote) quand nous avons parlé de Lauren et...

Il se raidit dans son fauteuil, le visage fermé.

— Tu vois, il y a quelque chose qui ne va pas ! m'exclamé-je dans un murmure. Pourquoi tu veilles la nuit, qu'est-ce que tu recherches comme ça ?

Il ne me quitte pas des yeux et ses yeux si bleus se sont assombris.

— Il y a des choses que tu ne devrais pas savoir, Charlène.

— Bien. Alors moi aussi je vais garder mes petits secrets, feins-je pour le faire réagir.

— Je n'ai pas de secrets, dit-il d'un ton calme.

J'éclate de rire. Un rire nerveux et jaune.

— Le silence à chaque fois que nous entrons dans un sujet trop délicat.

Je me prends la tête entre les mains avant de les glisser sur mes cheveux.

— Le silence ne rime pas avec la gêne, me répond-t-il. Les gens prennent le silence comme une oreille attentive, de la timidité, un langage propre de secrets enfouis et d'embarras cachotiers. Mon silence est une manière de te dire que je n'ai pas les mots pour t'exprimer à ce moment-là le fond de ma pensée. Mieux vaut le silence que des paroles mal exprimées et qui restent en mémoire.

Tu recherches souvent tes mots, alors... lâché-je en déplaçant mon assiette, sans lui jeter un regard.

— Pardonne-moi de ne pas être Charlène Mahé et son franc-parler sans parfois avoir eu le temps de choisir ses mots, dit-il sans hausser le ton, sec. Je n'aime pas blesser les gens et étaler ma science, à l'inverse de toi vois-tu.

Je me lève d'un bond, piquée dans le vif.

— Là, c'est trop.

Il m'attrape par le bras, discrètement et reste mi-debout, une main posée sur son ventre. On pourrait presque penser à une révérence.

— Non ne t'en va pas. Je m'excuse, j'ai été maladroit.

En gentleman, il se lève à son tour me dépassant d'une tête, mais je feinte de le repousser. Il n'aime pas le spectacle.

— Je t'en prie rassieds-toi et pose-moi les questions que tu souhaites, s'empresse-t-il de dire assurément, j'y répondrai au mieux que je puisse.

Je le sonde longuement yeux dans les yeux. Les miens sont au bord des larmes. Il passe son pouce sous mon œil.

— Je ne voulais pas te faire de peine. Assieds-toi et parlons-en.

On s'assoit et je viens à demander la première chose que je souhaite réellement savoir : ses origines. Instinctivement, je souhaite pousser le sujet de son enfance pour y déceler peut-être une faille, un secret de famille à demi-dévoilé par son père.

— Tu es d'origine française, c'est vrai ?

— Oui.

J'arque un sourcil pour le pousser à m'en dire plus.

— Par ma grand-mère.

— Comment s'appelait-elle ?

Il hésite, se gratte le front : il est nerveux ?

— Louise Médecet.

— C'est très français. Et comment se fait-il qu'elle se soit mariée avec un anglais qui a osé venir vivre à Paris ?

Insinues-tu que les Anglais n'aient pas cette chance de s'accoupler avec de jolies Françaises ? ricane-t-il.

La pirouette que j'aimais tant appliquer lorsqu'il me posait des questions embarrassantes. Je ne lui rends pas le sourire et attends la suite. Il passe sa langue sur ses lèvres, soupire et détaille quelques secondes le restaurant du bateau, puis ses yeux se posent sur moi.

— Elle avait donné mains fortes aux infirmières durant la Seconde Guerre Mondiale. D'ailleurs, elle a continué toute sa vie dans le domaine hospitalier. Elle a rencontré mon grand-père Daniel Taylor, parachutiste lors du débarquement en Provence. Ils se sont mariés quelques temps après avoir su que ma grand-mère était enceinte.

— Quelle belle histoire. Elle n'était donc pas de Paris ?

Il toussote avant de boire son verre.

— Non, d'Avignon.

— Tu passais beaucoup de temps avec elle.

— Oui, j'aimais beaucoup Avignon enfant puis adolescent Paris. J'ai appris énormément sur le métier d'art et ma mère m'y encourageait.

Pourquoi l'art ? Ton grand-père était soldat, ta grand-mère infirmière, ton père dans la finance et ta mère ?

— Trop dévouée à mon père, crache-t-il d'un ton sec.

Sujet sensible.

— D'autres questions ? me demande-t-il.

Non, ça ira. Je suis contente que tu aies un peu parler de toi.

Il esquisse un sourire triste.

— J'essaierai alors de te faire plaisir sweety. Mais sache aussi qu'il y a des choses sur ma famille, dont je n'aime pas parler. Faudra me laisser du temps.

— Tout le temps que tu souhaites, une éternité nous attend.

Nous nous contemplons l'un l'autre sans un mot, nos doigts entremêlés. Je pense que ça restera le plus beau moment de la soirée, mon cœur gonflé d'amour pour James, les battements de celui-ci qui tambourinent comme s'il y avait le carnaval de Rio à l'intérieur de moi, ma minauderie face à la profondeur de son regard.

Le garçon de table nous approche pour nous proposer une douceur. James commande un digestif et moi, un café-noisette. Lorsqu'il nous les apporte, nous nous séparons à contre-cœur, sourire aux lèvres, pleins de promesses passionnelles pour l'après-repas.

— Au fait, j'ai vu Bastien avec Dabrowska l'autre jour, dis-je avant de porter ma tasse à ma bouche.

Enfoncé dans son fauteuil, James trempe ses fines lèvres dans son cognac.

— Aux Délices d'Est ? Tu y es retourné ?

— Oh ! Non, non... Je les ai croisés à Batignolles hier au marché. D'ailleurs, je suppose que Dabrowska doit habiter dans le quartier parce que je n'ai jamais vu Bastien dans ce coin-là... reniflé-je.

Il hausse les sourcils.

— Et ça t'inquiète de savoir qu'il fréquente d'autres femmes ? me demande-t-il.

— Non, simplement...

James plisse les yeux, intrigué, et la mâchoire légèrement serrée.

— Je n'ai pas envie qu'il ait de problèmes ou qui s'entiche d'une femme qui pratique ce métier-là...

Il croise ses jambes, pose son verre sur l'accoudoir toujours en main et me dit d'un sourire sincère :

— Il sait très bien ce qu'il doit faire. C'est un homme maintenant, oublie ça.

C'est un homme, maintenant...

Je me souviens de Bastien et son skateboard aux portes de la faculté, Bastien et son déguisement de Kurt Cubain, puis je souris. En relevant la tête, James continue à m'analyser. Je sais ce qu'il fait, il tente d'entrer dans ma tête, mais je n'ai plus rien à cacher à James.

— Quand j'ai débarqué à Paris, j'étais une jeune fille de province, mal fagotée à mon goût. Je ne connaissais rien des mouvements musicaux, de la mode, des expressions que les jeunes utilisaient. Rien au sexe. J'étais perdue, mal dans ma peau. Puis, y'a eu Iban et Bastien qui m'ont énormément protégé. Iban, lui m'a fait découvrir la mode et les petites joies parisiennes. Ensemble avec Toni, Clara et ... Bastien. Il est mon premier amour, et il a été très gentil avec moi. C'est un ami aujourd'hui sur qui je peux encore compter.

Je marque une pause, les yeux baissés. James se redresse, à l'écoute.

Enfin, il y a eu Lauren. Elle m'a mise sur un piédestal et m'a enseigné tellement de choses, que ce soit pour mes études et mes connaissances, mais aussi sur ma confiance en moi. En tout point, elle m'a élevé là où j'aurais été incapable de le faire seule. Je me suis soudain sentie comme conquérir le monde. Plus rien ne pouvait m'atteindre. J'avais un don ! Un talent inégalable à mes yeux. Et sans m'en rendre compte, je me suis faite des ennemies par ma prétention. Un orgueil involontaire, attention ! me justifié-je en élevant légèrement la voix.

James rit.

— Pourquoi tu ris ?

— Parce que tu aurais dû me connaître avant Lauren. L'arrogance incarnée... et cela a duré des années.

— Ah oui ? Grâce à elle ?

— Oui.

— Et bien, moi, c'est grâce à toi, il y a deux semaines chez moi. Ça m'a fait mal, horriblement mal tout ce que tu m'as balancé en pleine figure et j'ai su non seulement que j'étais amoureuse, mais qu'il y avait une personne plus intelligente, apte à m'apprendre encore tellement de choses. Je me sens toute petite face à toi, James. Presque intimidée.

Je baisse les yeux et il me tend la main.

— Comment peux-tu penser cela alors qu'à la première seconde où je t'ai croisée tu m'as intimidé, toi. A notre premier cours, tu m'as scotché. Charlène Mahé, tu es un prodige et je suis plus que chanceux de partager tous ces moments avec toi. Seulement, mes affaires avec Lauren, je me dois de les régler sans ton aide. Lorsque j'aurais fini, je te promets de tout te raconter, veux-tu bien me faire confiance ?

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