Square Louise-Michel

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Le nez est un symbole de clairvoyance, de perspicacité et de discernement, mais aussi d'indiscrétion dans l'expression « mettre son nez dans les affaires des autres ». En tant que symbole phallique, les hommes le préfère grand, tandis que, pour certaines femmes, un petit nez évoquerait la féminité et la réceptivité sexuelle.

7.

James

8 avril 2012

Les rires des enfants s'élèvent dans le square Louise-Michel et s'évanouissent à l'infini, comme si le Ciel les accueillait dans son bleu divin, fleurissant ainsi le lieu et égayant l'atmosphère des Parisiens venus se prélasser sous un beau jour d'avril.

Le Sacré-Cœur réhaussé sur la butte de Montmartre sublime le quartier, et moi, assis sur le banc près du Carrousel, je feuillette Le Parisien, dubitatif, jusqu'à l'article référence sur les deux tableaux de Casper Friedrich, Le moine au bord de la mer et L'abbaye dans une forêt de chênes, volés dans la nuit du 3 au 4 septembre 2011, retrouvés récemment par l'IFAR - The International Foundation for Art Research.

Une brise se lève et j'offre mon visage à l'air printanier, amenant avec lui les effluves des cerisiers chauffés par le soleil de Paris. À ma gauche, le bruissement d'une feuille de papier que l'on tourne m'entraîne à poser le regard sur les cuisses de ma bohème, dont l'alizé soulève sa robe en coton légère et me laisse à loisirs couver un œil contemplatif à ses splendides jambes. Les miennes en guise d'oreiller, elle lit Le Spleen de Paris de Charles Baudelaire qu'elle ne lâche pas depuis hier soir. Ses lèvres pulpeuses murmurent chaque mot de son livre. Elle n'a jamais été aussi belle qu'à ce moment-là, et moi sûrement le plus heureux.

Ces huit longs mois à lui courir après, à douter, à me ronger les sangs n'en sont que récompensé par l'état de plénitude dans lequel je plane depuis deux semaines. Quelques jours suffisent pour allonger l'éternité, indéfiniment passionnel. Il n'y a pas un matin où je me lève et dont la première pensée qui me heurte est son visage d'ange, et il n'y a pas un soir où je ne m'endors sans le revoir au-dessus de moi, un sourire éclatant et les yeux pétillants. Certes, sa révélation sur Simon et Lauren fut amère et choquante. Mon monde s'entrechoquait avec le sien autant que nos deux corps qui se heurtent l'un contre l'autre : fait pour être ensemble. Tout nous relie et je trouve cela d'un hasard douteux. Comme si l'Univers avait conspiré lui-même pour nous réunir dans une boîte de nuit du nom de Carmen, une référence à l'œuvre de Prosper Mérimée. L'histoire d'un déraciné qui tombe amoureux d'une enfant de bohème aux multiples facettes. L'étrange a un goût d'exquise volupté. L'obsession qui m'enivre d'elle dure depuis le tout premier jour où je l'ai croisé dans ce restaurant, si ce n'est doublé par l'infatigable envie de la toucher, de la prendre, d'être en elle. L'air entre nous me semble trop opaque chaque fois qu'elle se trouve près de moi et c'est une agonie pour les fois où nous sommes à l'Université. Moi qui ai tant appris à contrôler mes émotions, mon regard ne trompe sûrement pas. Un jour, un élève va se rendre compte de la manière dont je l'admire, dont je lui fais l'amour simplement en la contemplant.

Mon œuvre d'art. Ma Vénus.

Qu'on le découvre en soi ne m'apporte rien, au contraire, le monde saurait que Charlène Mahé est ancrée en moi comme je suis enraciné dans sa chair. Ma tendre bohème, joueuse, empathique, mélancolique, impulsive, intelligente, prodigieuse, amusante, reste celle qui ravit mon cœur froid.

Sa main entoure mon genou dans un geste lent tandis que l'extrémité de ses doigts m'effleurent. Toujours éprise par son poème.

Je passe ma main sur son front au commencement de ses cheveux et y glisse mes doigts, admiratif.

Depuis le soleil s'enracine sur Paris, comme s'il accompagnait notre morale. Ainsi, nous profitons chaque week-end de parfaire notre teint dans des lieux monumentaux de la capitale, lunettes de soleil sur le nez, toujours à bonne distance dans les endroits touristiques, parfois nous parcourons les rues plus pittoresques à la recherche d'un endroit où se poser et s'aimer pudiquement.

Ma main rejoint la sienne sur mon genou pour y entrelacer mes doigts dans une caresse. J'aime la voir habillée de sa robe courte et volante, boutonnée devant, une affection particulière pour le déshabillement que je compte mettre en application plus tard. Des derbies discrètes ajustées de chaussettes montantes d'un blanc pastel et un gilet en maille pour se protéger du souffle vernal. Ses cheveux blond polaire s'étalent sur moi et je ne suis plus du tout intéressé par le contenu de mon périodique, en admiration incessante par la créature angélique, dont la robe bleue symbolise la sérénité. Illustre Vénus !

— Lorène ! appelle un homme.

Je sursaute et lève la tête dans sa direction. Une petite fille aux cheveux noirs de jais s'élance vers son père.

Voici l'ombre qui noircit le tableau. Juste à entendre son nom, son fantôme me hante tout autant que je songe à Charlie. Deux femmes m'obsèdent. Et j'ai peur de chuter face à la contradiction de mes sentiments vis-à-vis des deux. Bien que Lauren soit décédée, elle me trotte dans la tête depuis que Charlie m'a tout avouer sur son passé. Savoir qu'elle lui a appris les mêmes pratiques mnémotechniques et les connaissances similaires, me laisse parfois dans des grands moments de réflexion. Charlie comme moi, nous nous demandons si cela tenait du hasard. Mais, jamais Lauren n'aurait pu deviner la suite de nos vies. Seulement, mon épouse était une experte en description des signes qui se présentaient. L'avait-elle pressentie ?

Comment aurait-elle pu deviner qu'un poste serait proposé à la Sorbonne ? Que l'on me suggère en tant que professeur ? Et par-dessus tout, que j'accepte cet emploi ? C'est impossible.

Quant à ce Mark Livingston, cette tâche de fusain sur une peinture à l'huile, il me rend nerveux. Je le perçois comme la silhouette grossièrement peinte mais qui a toute sa signification dans le contexte. Qui est-il ? Était-il l'amant de ma femme ?

Sans que Charlie ne le sache, j'ai poursuivi ma petite enquête. J'ai appelé Simon, Betsy et d'autres professionnels dans les métiers de l'art afin de me renseigner sur lui. Personne ne le connait.

Et hier, un ancien commissionnaire retraité de chez Christie's, a révélé à Simon qu'il avait exposé, il y a cinquante ans de cela, des œuvres chez un galeriste d'art à Glasgow : un certain Bill Livingston, mort dans les années soixante-dix. Le seul nom en commun avec cet homme. Avaient-ils un lien ? Aucune piste n'était à mettre de côté. Ma recherche se restreint en étant à Paris. Lorsque je retournerai à Londres la semaine prochaine, je prendrai le temps qu'il faudra pour m'affairer à cette investigation. Si ce Mark est encore en vie, je veux pouvoir le regarder dans les yeux pour y déceler la culpabilité ou non, à savoir s'il couchait avec Lauren. Il me reconnaîtrait, il saurait. Son corps ne pourra trahir sa honte.

Que ferais-je ? Lui mettrais-je mon poing en pleine figure ? Tournerais-je les talons en le culpabilisant davantage ? Engrainé dans les remords ?

— James ?

Sous mes lunettes de soleil, je baisse les yeux sur Charlie. Je n'avais pas senti que sa tête s'était tournée vers moi. Une main à l'intérieur de ma cuisse.

— Oui ?

— À quoi tu penses ?

— À toi, lui soufflé-je.

Elle sourit et se redresse.

— Mmmmh... Et je faisais quoi dans tes songes ?

Sourire en coin, je jette un œil autour de nous pour m'assurer que personne ne nous guette et m'approche plus près d'elle, en glissant délicatement mes doigts à l'ouverture de son décolleté. Elle inspire, presque tremblante. De mon regard, je contemple le gonflement de ses seins jusqu'à son cou et constate que sa poitrine se soulève un peu trop irrégulièrement.

— J'imaginais t'ouvrir cette robe, un bouton après l'autre, doucement et effleurer ta peau chaque fois que j'en déboutonnerai un. Ton souffle court et chaud qui m'ordonne de continuer...

Elle ferme les yeux, les deux mains jointes entre ses cuisses comme pour se protéger de son désir montant.

— Et je t'ordonne de continuer.

Un dernier regard alentour avant de poser ma main près de son sein droit, mon pouce ne peut s'empêcher de toucher la pointe de son mamelon, dur.

— Si je continue, je ne pourrais plus me relever sans pointer du doigt... et c'est mal poli, surtout avec des enfants près de nous, ironisé-je.

Elle s'esclaffe en jetant sa tête contre mon torse :

— Tortionnaire.

Et elle m'entoure la taille se serrant contre moi.

— Ce que la vie serait un éternel hiver sans toi désormais, mon amour, me dit-elle d'une voix étouffée.

Je resserre notre éteinte.

Ce serait l'Enfer sur Terre sans elle. Je prends son visage entre mes mains et la force à me regarder. Que dire ? Les mots ne sortent pas. Elle le comprend, s'avance vers mes lèvres et y dépose un baiser.

— Les actes parlent mieux, ronronne-t-elle. Maintenant dis-moi ce qui t'intéressait tant dans ce journal.

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