62. Une balle dans le corps

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Lyana

Je ne sais pas comment je fais pour ne pas nous emmener tout droit dans le fossé une seconde fois. Mon regard ne fait qu’alterner entre la route, les rétroviseurs et Théo qui ne semble pas aller si bien qu’il le dit. Sans compter que j’appuie sur le champignon. Je veux mettre le plus de distance possible entre les Russes et nous. Hors de question de revivre la scène qui vient de se dérouler. Hors de question de tuer à nouveau. Voilà qui porte le compteur à quatre. Avec de nouveaux cauchemars en prévision, des nuits blanches, des remords et une haine de moi-même inqualifiable. Quand bien même Pavel et Vassili étaient des fous avides de sang ou à la morale plus que vacillante.

— Tu es sûr que ça va, Théo ? La balle n’a vraiment fait que t’effleurer ?

— Je ne sais pas trop, j’ai fait une compression tout de suite pour éviter de me vider de mon sang, mais ça me fait un mal de chien. Et… je crois que ça saigne encore…

Je marmonne toute une flopée de jurons en russe, maudissant Pavel sur dix générations qu’il n’aura jamais sous le regard interrogatif de mon voisin. Je n’ai pas réussi à empêcher mon boss de tirer, j’ai pourtant bien essayé et je ne l’ai pas raté, mais cet enfoiré mesurait pas loin de deux mètres et il a toujours eu beaucoup de force. Autant dire qu’il m’a fallu ruser pour le mettre à terre. Mon père était ce qu’il était, mais il m’a toujours dit qu’un bon coup dans les roubignoles pouvait coucher un homme et que je ne devais pas hésiter si je me sentais en danger. Il serait sans doute fier de moi, sur ce coup-là. Mais la balle était déjà partie.

— On va trouver un coin tranquille pour regarder tout ça… Je te préviens, le sang sur les gens que j’apprécie et moi, nous ne sommes pas vraiment copains, je risquerais de tourner de l’œil.

— Ça va aller, tu sais. C’est juste que toutes ces histoires m’ont beaucoup fatigué. C’est comme si j’avais utilisé toute mon énergie en me battant avec le Russe, dit-il d’une toute petite voix.

— Hep, reste avec moi, hein ? Ne t’endors pas. Dans les films, ils disent toujours ça, j’imagine que s’ils sortent tous cette phrase, c’est que c’est vrai… J’y connais rien à tout ça, bon sang, je… Ok, il faut que je me calme.

Du moins, j’essaie. C’est trop la merde, là. Et si Théo avait besoin de soins ? S’il lui fallait… Oh là là, mais pourquoi est-ce que je l’ai embarqué là-dedans ? Comment j’ai pu lui faire prendre tous ces risques ? J’aurais dû tout lâcher d’entrée à Pavel plutôt que d’essayer de l’embrouiller, au moins j’aurais jeté mon téléphone et ils n’auraient sans doute pas pu nous localiser.

Je freine un peu brusquement lorsque nous passons près d’un lotissement peu éclairé et enclenche la marche arrière pour pouvoir m’y engouffrer. Guizmo se redresse en sentant la voiture s’arrêter et glisse sa tête entre nos sièges en aboyant.

— Tu peux baisser le dossier de ton siège et… me montrer ? demandé-je à Théo en allumant le plafonnier.

— Je t’ai dit que ça va. Il faudrait juste me trouver de quoi refaire mon bandage parce que là, c’est plein de sang. Tu ne vas pas aimer, tu l’as dit toi-même, me réprimande-t-il en baissant néanmoins son siège.

— Arrête de discuter, si tu te vides de ton sang, aucun bandage ne te sera utile.

Je détache sa ceinture et relève son tee-shirt en tentant de rester calme face à son bandage bardé de rouge. Il y en a beaucoup. Trop, à mon avis, mais je ne suis pas médecin. Je retiens difficilement un frisson en soulevant le tissu et lance de nouveaux jurons.

— Effleuré, hein ? Mais t’es un grand malade ! Tu t’es pris une balle tout court, ouais !

— Non, non, je ne pourrais pas me tenir debout si c’était le cas, répond-il en s’essuyant le front. Tu peux baisser le chauffage, il fait lourd, ici, je trouve.

— Il n’y a pas de chauffage, Théo. Bordel, c’est vraiment la m… Bref, grimacé-je, on ne panique pas. Il faut que je regarde si la balle est sortie, par contre… Tu peux te tourner un peu, que je vois ton dos ?

Il grogne et essaie de se retourner, mais il grimace et pousse un petit cri avant de parvenir enfin à me présenter son dos.

— Tu as raison, il ne fait pas chaud du tout, juste froid. Je ne sais pas ce que j’ai, Lyana. Tu vois quelque chose ?

— Je vois qu’il faut t’emmener à l’hôpital, oui. Y a pas de plaie dans le dos, donc elle est bien logée dans ton petit corps, mon Chéri.

— Non, pas l’hôpital, sinon on va avoir des problèmes… Ça va aller, je suis sûr qu’elle est sortie, la balle, dit-il d’une voix très faible.

— Bien sûr que non, maugrée-je en récupérant mon sac à l’arrière pour en sortir un tee-shirt. Tiens, compresse la plaie. On n’a pas d’autre choix que d’aller à l’hôpital. Je sais faire plein de trucs mais certainement pas extraire une balle et recoudre un homme.

Quand il ne me répond pas, je constate qu’il s’est évanoui et que sa tête s’est effondrée contre la portière. Il est livide et je prends peur. Je le secoue bêtement sans parvenir à le réveiller et me retrouve à appuyer moi-même sur la plaie, l’air bête, sans savoir quoi faire. C’est Guizmo qui me secoue en aboyant à nouveau, et je récupère mon téléphone de ma main libre dans mon sac pour appeler la seule personne à qui je pense, à cet instant. Je ne sais pas s’il pourra nous aider, surtout de loin, mais j’ai besoin qu’il me dise quoi faire, là.

— Henri ! le coupé-je alors qu’il disait un truc que je ne comprends même pas. Théo est blessé, je ne sais pas quoi faire.

— Blessé ? Mais… il faut appeler les secours ! Ou l’emmener à l’hôpital ! Qu’est-ce que vous attendez ?

— Ah oui ? Et comment j’explique la balle dans son corps ? Comment je fais pour remplir leurs papiers à la con ? Je donne une carte vitale fantôme ?

— Ah oui, c’est vrai. Vous êtes où ? Dites-moi quel est l’hôpital le plus proche et je vais gérer votre arrivée. Vous n’aurez rien à faire, juste à donner le nom d’emprunt de Théo. C’est Masquette, si vous avez oublié.

— Je… On est près de Falaise, je crois. Enfin, on doit être entre Falaise et Saint-Lô. J’en sais rien, attendez, Henri, je regarde.

Il bougonne à l’autre bout du fil mais je ne l’écoute pas et active la géolocalisation du téléphone avant d’ouvrir une page Internet.

— OK, l’hôpital le plus proche est à Saint-Lô, on est à une bonne demi-heure… Dites-moi, l’info va remonter dans votre service et personne ne nous tombera dessus ?

— Je m’en occupe personnellement, personne ne vous tombera dessus. Il faut me faire confiance, un peu, s’énerve-t-il. Dépêchez-vous de l’emmener, je m’occupe de tout.

— Ben voyons, vous vous occupez de tout, sauf de l’empêcher de se vider de son sang et de conduire ! Me criez pas dessus, je fais ce que je peux, bordel !

Je raccroche sans attendre sa réponse et mets le GPS, les mains tremblantes, avant de démarrer en trombe. J’essaie de maintenir la pression sur sa blessure autant que je peux, mais ce n’est pas évident en conduisant. Je suis les indications de cette voix qui m’insupporte et j’avoue ne pas vraiment me préoccuper des limitations de vitesse. Il me faut quasiment vingt minutes pour rejoindre l’hôpital, et je me gare devant les Urgences avec l’impression terrible d’être dans un film d’action bien pourri. J’abandonne vite l’idée de porter Théo jusqu’à l’accueil et m’engouffre seule dans le bâtiment, me plantant devant l’infirmière qui semble éreintée et peu aimable avant même que je ne lui parle.

— Bonsoir, il me faut de l’aide pour sortir mon ami de la voiture. Il… Il est blessé, il a pris une balle.

— Une balle ? C’est quoi cette histoire ? La voiture est garée où ? La police est au courant ?

— Théo Masquette, on a dû vous avertir, non ? Vous n’avez pas eu d’appel de la police ?

— Ah oui, l’accident de chasse. Jason, viens vite, on a un blessé grave dans la voiture !

Elle interpelle un brancardier et court avec lui derrière moi jusqu’à l’entrée des Urgences où j’ai laissé Théo qui est toujours inconscient. J’ouvre la portière et retiens sa tête avant de laisser la place à l’homme en blanc qui m’aide à le sortir. Guizmo aboie comme un fou à l’arrière, mais il patientera, pour le moment, tout ce qui m’importe, c’est mon compagnon d’infortune, inerte sur ce brancard qui s’engouffre dans les Urgences alors que l’infirmière de l’accueil me demande de rester dans la salle d’attente.

Je sens que le temps va me paraître bien long dans cette pièce austère qui ne tarde pas à m’étouffer et je ressors rapidement à l’air libre. J’ai un soupçon de lucidité, le temps de déplacer la voiture pour libérer la place, et me retrouve bêtement à pleurer derrière le volant, le museau de Guizmo donnant des coups dans mon bras avant qu’il ne saute sur le siège passager pour faire ce qu’il fait sans doute le mieux : réconforter sa maîtresse. Pourtant, cette fois, l’effet escompté n’arrive pas. Guizmo a beau m’offrir toute la tendresse dont il est capable, je peine à retrouver contenance. Je suis tout simplement terrifiée à l’idée que Théo ne s’en sorte pas, que je ne sois pas arrivée ici assez vite, qu’il ait perdu trop de sang… Et je crois qu’égoïstement, j’ai peur d’affronter la suite seule alors que j’ai trouvé un homme qui me permet de me projeter dans l’avenir, qui me donne envie de devenir une meilleure personne. Maintenant que j’ai eu la chance d’avoir Théo dans ma vie, je ne m’imagine plus sans lui, tout simplement.

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