63. Parfois, mieux vaut rester dans ses rêves

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Théo

Je ne sais pas ce qui m’arrive, mais la sensation est agréable même si elle est étrange. Un peu comme si je sortais d’un rêve tout en y restant. J’ai conscience de mon corps mais en même temps, j’ai un peu l’impression d’en être sorti. J’essaie de me retourner et constate que cela ne m’est pas possible, comme si j’étais attaché à mon lit. Mais qu’est-ce que Lyana a encore inventé ? Un nouveau jeu pour égayer notre quotidien ?

J’essaie d’ouvrir les yeux, cependant il me semble qu’ils pèsent encore une tonne et que j’ai besoin de dormir. Et pourtant, je ne suis pas fatigué, mais il me faut faire un effort presque surhumain pour ne pas céder à l’assoupissement qui me saisit. Quand enfin, je parviens à revenir sur Terre, je vois un homme avec des petites lunettes qui me regarde. J’entends des bips un peu partout et me demande où je suis. J’essaie de parler sans réussir à ouvrir la bouche.

— Bonjour, Monsieur Masquette, je suis le Docteur Garrence, c’est moi qui vous ai opéré. Tout va bien, rassurez-vous, vous êtes sorti d’affaire, il semblerait. Votre chirurgien est doué, sourit-il.

Mon chirurgien ? Opéré ? Mais qu’est-ce qu’il raconte, lui ? Il faut que je lui demande ce qu’il se passe car je ne comprends rien, là.

— Que m’est-il arrivé ? demandé-je d’une voix rauque qui me surprend moi-même.

— Un accident de chasse, apparemment… Vous avez pris une balle… au beau milieu de la nuit. Quelle idée de chasser la nuit, si je peux me permettre !

Là, il déraille complètement. Je ne suis pas allé à la chasse, c’est une occupation dont j’ai horreur. Ces pauvres bêtes. Tout à coup, mon cerveau tilte et je me souviens de la balle que j’ai prise, des deux Russes qui sont morts, de Lyana qui m’a sauvé la vie, de la voiture… Et après, un grand trou noir…

— Une balle ? Et il y a des dégâts ?

— Rien que je n’aie pu réparer, mais je vous en parlerai plus tard, il est bien possible que vous ne vous souveniez même pas de notre conversation, rit-il comme si c’était drôle. Comment vous sentez-vous ?

— J’ai l’impression que je rêve, que je suis en train de flotter, dis-je doucement.

— Au moins, vous ne pensez pas être dans un cauchemar, c’est déjà ça. Je vais dire à votre ami de venir vous voir pendant que vous êtes à peu près éveillé.

Ah, je suis content de savoir que Lyana va me rejoindre. Elle va pouvoir m’expliquer ce qu’il s’est réellement passé et comment je me suis retrouvé à l’hôpital. Je ferme un instant les yeux et suis surpris quand je sens quelqu’un me secouer le bras.

— Hein ? Qu’est-ce qu’il se passe ?

— Eh bien, le Doc m’a dit que tu étais réveillé, mais… je crois que le pays des rêves t’a rattrapé !

— Mais qu’est-ce que tu fais là ? Tu… Comment tu as fait pour me retrouver ?

— Ta copine mafieuse m’a prévenu, puisque tu ne m’as rien dit quand tu m’as appelé, toi.

— Ma copine mafieuse ? Mais… Pourquoi n’est-elle pas là ? Je… croyais que c’était elle quand le médecin m’a dit que mon ami allait me rejoindre. Et elle n’est pas mafieuse, au fait. Tu essaies de profiter de mon esprit embrumé pour me faire dire des bêtises.

— Elle est mafieuse, Théo. Une fois qu’on a trempé là-dedans, impossible d’en sortir. Et je n’ai fait que la croiser quand je suis arrivé, elle m’a dit qu’elle sortait prendre l’air et je ne l’ai plus vue, désolé.

— Et c’est quoi la situation actuelle, alors ? Elle est partie ? Et les Russes ? Je suis totalement perdu, Henri. Je ne sais plus où j’en suis…

— Le plus important, là, c’est que tu te reposes. On verra plus tard pour le reste. Je ne sais pas où elle est, mais… j’imagine qu’elle ne tardera pas à prendre de tes nouvelles.

— Tu crois qu’elle est vraiment partie, alors ? Elle m’a abandonné ?

— Théo, soupire Henri en s’asseyant sur le fauteuil à côté de mon lit. Écoute… Tu l’as vue tuer deux hommes, non ? Je crois qu’elle a préféré prendre ses distances après ça. Pas contre toi, mais… tu comprends, non ?

— Non, je ne comprends rien. Elle nous a sauvé la vie, c’est tout… Et tu as dit que tu gérais, non ?

— J’ai géré. Bordel, il faut que tu arrêtes la morphine, mon gars, ça ralentit ton cerveau. Jusqu’à aujourd’hui tu n’avais eu en face de toi que la gentille voisine au beau petit cul. Là, tu as vu la facette bien vilaine de la jolie voisine, celle qu’elle ne voulait pas que tu voies.

— Mais je n’ai rien vu de vilain… On n’avait pas le choix, murmuré-je en essayant de comprendre ce qu’il est en train de me dire. Tu crois qu’elle a eu peur de se faire arrêter ?

— Mais non, imbécile, ricane-t-il. Je crois qu’elle a eu peur que tu retrouves la raison et que tu la fuies. Enfin, je suis pas psychologue ou expert en femmes non plus, mais je crois bien qu’elle est amoureuse de toi, la petite. Et je comprends que tu aies craqué, elle est vraiment mignonne, même avec les yeux rougis et le visage marqué par l’inquiétude.

— Pourquoi je la fuirais ? Pourquoi je comprends rien ? Je suis où, là ? Et ils m’ont opéré de quoi ? Tu sais me dire ?

— Eh bien, t’as pourtant pas pris une balle dans la tête ! L’un des Russes t’a tiré dessus, tu avais une balle dans le buffet, mon petit. Et ta nana, elle pense que tu vas la fuir parce qu’elle a buté un gars sous tes yeux et qu’elle fait partie de la Mafia. C’est clair, comme ça ? Ah, et tu es à l’hôpital de Saint-Lô. T’avais une autre question ? J’ai oublié.

— Non… Enfin si… Il va se passer quoi pour les deux Russes qui sont morts ? Lyana va être accusée de meurtre ?

Je le vois hausser les sourcils, un peu exaspéré de toutes ces questions que je lui pose, mais comment faire autrement ? Dans ma situation, déjà qu’elle n’était pas exceptionnelle, maintenant que Lyana est partie, elle est encore pire. Je risque de me retrouver avec des flics qui vont me coller aux basques jusqu’au procès. Et puis, même après encore peut-être…

— Elle a plus de chance d’être accusée d’enlèvement sur ta petite personne que de meurtre. J’ai géré pour les Russes, t’inquiète pas pour ça, mais si mon chef apprend tout ce qui se passe ici, ça pourrait devenir compliqué. On n’en est pas là encore.

— Et pourquoi tu fais tout ça pour moi ? Je ne mérite pas tant d’attention… ni de bienveillance. Il y a déjà ton ancienne collègue qui est morte pour me défendre… Et maintenant, toi, tu mets ta carrière en danger. Vous êtes tous fous dans le métier ?

— Tout ce qu’on veut, c’est la justice. Et puis… t’es quelqu’un de bien, d’attachant, que veux-tu. Et je te collerai tout sur le dos si le secret est éventré.

— N’hésite pas, je n’ai pas de famille, personne qui se préoccupera de ce qui m’arrive de toute façon. Dès que je pense avoir trouvé quelqu’un, elle meurt ou elle se barre. J’ai pas l’impression d’arriver à attacher autant que ça, rétorqué-je un peu amer.

— T’es juste dans une situation bien merdique, mais la roue va finir par tourner, t’inquiète. Et ta Lyana, elle ne restera pas longtemps loin de toi, va. Elle veut trop te protéger pour maintenir la distance.

— Et toi, tu fais quoi avec moi ? Tu serais pas mieux avec ta famille ? Je ne dois pas être ton seul dossier, quand même. Je ne comprends pas pourquoi on ne m’abandonne pas à mon sort… Ce serait plus facile pour tout le monde, tu ne crois pas ?

— Arrête de te poser tant de questions, Théo. Si on gravite autour de toi et qu’on veut t’aider, c’est parce que tu le mérites, c’est tout.

Je ne sais pas si je peux arrêter de me poser toutes ces questions. Je pense que je suis toujours un peu sous le choc de ce que j’ai vécu ces dernières heures, et je crois aussi que je ne sais pas à quoi m’en tenir non plus sur ma relation avec Lyana. J’aurais bien aimé en discuter avec elle, mais la seule personne que j’ai à mon chevet, c’est ce flic vieillissant. Il n’est pas méchant, il est même super engagé pour me défendre et s’occuper de moi, mais ce n’est pas comme si c’était quelqu’un de ma famille ou… quelqu’un qui m’aime. J’ai bien compris qu’il m’appréciait beaucoup, mais ce n’est pas pareil.

— Je peux encore te poser des questions ou tu en as vraiment marre ?

— Oui, vas-y, je devrais survivre.

— Tu sais où elle est partie ? Vous la surveillez ? Il faut la protéger aussi…

— Elle m’a l’air assez débrouillarde, tu sais, et je ne peux pas mettre d’hommes pour la surveiller, Théo. Tout ça, c’est dans le dos de mon chef ou presque. Et… elle m’a dit qu’elle partait en Bretagne.

— Ah, je vois… J’espère qu’elle y sera en sécurité. Tu crois que je vais pouvoir sortir quand d’ici, moi ?

— Je ne sais pas, le médecin ne m’a pas dit grand-chose, si ce n’est que tu devrais retrouver toutes tes capacités d’ici quelques semaines. Oh ! Et… au fait, me dit-il en se levant pour fouiller dans la poche de son jean. Tiens, c’est de la part de ta nana.

— Elle m’a laissé un truc et c’est seulement maintenant que tu penses à me le donner ? m’étranglé-je presque en me saisissant du petit papier qu’il me tend.

— Je te signale que tu m’as réveillé et que j’ai conduit toute la nuit pour tes beaux yeux ! Un peu de compassion, oh !

— Désolé, je…

Je ne finis pas ma phrase car je veux savoir ce qu’elle m’a écrit sur ce prospectus pour le planning familial. Mes yeux se posent sur son écriture que je n’avais pas encore vraiment découverte. Les traits sont serrés, les lettres formées au plus rapide, mais le message est limpide, lui.

Je pars nous trouver un coin tranquille… Et je te laisse digérer ces dernières heures. Je te donnerai des nouvelles dès que possible, et je t’attendrai si tu souhaites toujours me rejoindre. Prends soin de toi, Beau Voisin ♥ Je t’aime.

Je souris bêtement à la lecture de ce petit mot et surtout de ce cœur dessiné avec une légère maladresse que je trouve touchante. J’ai l’impression qu’elle n’a pas eu souvent l’occasion d’en faire, et cela me donne encore plus envie de la retrouver. Vivement que mon état s’améliore pour que je puisse aller la retrouver en Bretagne. J’ai l’impression que je sais où elle est partie…

— Merci Henri, merci pour tout, vraiment.

— Pas de quoi, mon petit. Allez, tu devrais te reposer maintenant… Je reste là, tu ne crains rien.

Et c’est sur ces paroles rassurantes que je ferme à nouveau les yeux. Je m’endors rassuré de savoir que je ne suis pas seul pour affronter toutes ces épreuves. Henri est là, certes, et j’apprécie son soutien, mais pour la première fois depuis longtemps, je ne vais pas faire face à l’avenir tout seul dans mon coin. Elle m’aime et je vais pouvoir la rejoindre dès que j’aurai récupéré des forces. Et ensemble, on ira chevaucher des licornes à la tombée du soir.

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