60. Tragique course folle

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Lyana

Je roule à petite allure et tente de discerner tout ce qui pourrait possiblement être un piège ou un homme, une voiture… J’espère tellement que Pavel n’a pas posté un autre type à quelques kilomètres de son fidèle serviteur Invgar. Théo a à la fois tort et raison à son sujet. Comme moi, Invgar a été obligé de rejoindre la Mafia. Sauf que lui n’a jamais montré aucun remords à s’y trouver. J’entends bien qu’on se forge une carapace, un faciès de gros dur pour ne pas dévoiler ses faiblesses. Mais lui… J’ai déjà eu l’occasion de le voir torturer un enfoiré qui ne méritait pas moins que ça, et il y prenait un plaisir monstre. La seule raison pour laquelle je ne l’ai pas achevé, c’est parce que Théo était là et que j’ai eu un seconde de lucidité. Bon, peut-être aussi que j’ai pensé à ses trois gamines qui n’ont pas demandé à perdre leur père. Quoique je me demande si elles ne seraient pas mieux sans lui.

Théo ne dit rien à mes côtés, et je ne sais pas trop si c’est pour se concentrer sur la route également ou s’il digère ma façon d’être de tout à l’heure. J’ai beau vouloir une vie ordinaire, je n’ai pas été une femme normale de ma vie. Ado, ça passait, même si j’avais déjà tendance à me battre à l’école. Je défendais Suzie alors qu’lle était plus âgée que moi, contre une bande de petits cons et de petites dindes qui la harcelaient suite à une photo d’elle dénudée que son premier mec avait balancée quand elle l’a largué. Lui aussi a pris cher, d’ailleurs, et je me dis que j’aurais sans doute fini délinquante si je n’étais pas retournée en Russie. Bon… mafieuse, ce n’est pas mieux, je le conçois. Mais je n’ai pas arnaqué que des types biens. Il y avait aussi des salauds.

— Merde, grimacé-je en voyant de la lumière dans le rétroviseur. On n’est pas seuls sur la route.

Je me gare sur le bas-côté rapidement et fais signe à Théo de se baisser pour que la voiture ne nous voie pas lorsqu’elle passera. Il fronce d’abord les sourcils mais s’exécute docilement tandis que Guizmo passe sa tête entre nos sièges pour la poser sur l’accoudoir. Nous patientons silencieusement jusqu’à voir les phares nous dépasser. Je grimace en constatant que la voiture freine. Le conducteur doit hésiter à vérifier que nous n’avons pas besoin d’aide ou… je n’en sais rien. Moi, seule en voiture au beau milieu de la nuit, je ne m’arrête pas si je vois une voiture sur le bas-côté. Heureusement, après un moment de flottement, les feux de stop s’éteignent et le véhicule s’éloigne, nous permettant de reprendre la route sans avoir à donner d’explications. Théo ne pose toujours aucune question et ne dit rien non plus, mais il me lance un regard interrogateur lorsque j’allume les phares alors que nous ne sommes toujours pas sortis de la forêt.

— On vient de faire cinq kilomètres depuis qu’on a passé Invgar, au moins, là, on va pouvoir avancer, soupiré-je en accélérant. Je ne pense pas qu’ils aient mis tant de distance entre deux gars, honnêtement.

— Bien, on va pouvoir aller en Bretagne et se cacher là-bas, alors. Tant mieux parce que je ne suis pas sûr de pouvoir encore supporter un nouveau guet-apens.

— Oui, j’ai hâte de déguster une bonne crêpe sur le bord de mer, souris-je. Peut-être même que j’en prendrai deux. T’en penses quoi ?

— J’en pense que c’est toi que j’ai envie de dévorer, de mon côté ! Mais on peut commencer par une crêpe, oui.
Je ris en posant ma main sur sa cuisse et apprécie le contact de sa paume sur la mienne. Nous restons sages, mais cela n’empêche en rien la complicité de se recréer. C’est agréable et, si nous n’étions pas en pleine fuite, je pourrais croire que nous sommes de retour dans notre maison partagée et que rien ne s’est passé.

— Qu’est-ce que les gens font sur la route à cette heure, sérieux ? marmonné-je en constatant qu’une autre voiture arrive derrière nous.

Mon regard alterne entre la route devant moi et les phares qui se rapprochent rapidement, me faisant constater qu’il roule à vive allure. Théo se retourne pour lui aussi regarder, et le mauvais pressentiment qui m’étreint ne fait que croître quand la voiture se met en pleins phares alors qu’elle doit être à moins de trois-cents mètres de nous. Je repasse la quatrième et accélère davantage pour que nous ne nous fassions pas rattraper, mais je ne pense pas réussir à semer l’abruti qui approche.

— Tu es bien attaché ? Mets Guizmo au sol derrière toi, s’il te plaît…

— Tu crois que c’est encore un gars de Pavel ? me demande-t-il, anxieux, en repoussant mon chien à l’arrière.

— C’est possible, oui… ou un dingue qui aime faire la course en pleine nuit, qui sait ? Mieux vaut prévenir que guérir.

— Il faut que tu accélères alors. Sinon, il va nous rentrer dedans, le con.

Je me retiens de l’envoyer bouler et continue d’accélérer alors que le véhicule déboîte sur la voie de gauche pour tenter de nous doubler. J’hésite vraiment. Si ça se trouve, ce n’est qu’un amateur de vitesse et on flippe pour rien… Mais si c’est la Mafia, ralentir et nous retrouver coincés derrière les gars, c’est vraiment un mauvais plan. Alors je ne ralentis pas et espère que la voiture freinera au virage qui arrive avant de réussir à nous dépasser. J’ai l’impression d’être une pilote de Formule 1, mais je joue ma vie et celle de Théo, celle de Guizmo aussi. Pas de monoplace, là, ce n’est pas du un contre un et je ne peux pas faire n’importe quoi.

Je donne un petit coup de volant sur la droite en voyant dans le rétroviseur la voiture se rapprocher, et mords sur le bord de la route, manquant de perdre le contrôle de la petite citadine qui n’est absolument pas faite pour ce genre de course poursuite. Parce que là, je n’ai plus de doutes, on est dans la merde.

— Accroche-toi.

Le virage approche et je jubile en voyant nos poursuivants ralentir suffisamment pour se replacer derrière nous. Je ne suis pas sûre de la tenue de route de cette bagnole et je me demande si je ne devrais pas ralentir également. Je lève un peu le pied et sens le cul partir lorsque je prends la courbe. Heureusement, elle ne dérape pas trop et je poursuis ma route, jusqu’à ce que nous soyons percutés par l’arrière. La première fois, je parviens à maintenir la voiture, mais la seconde est plus fourbe. Le conducteur se déporte au milieu de la route et percute l’arrière gauche, nous faisant déraper. Je braque le volant dans l’espoir de redresser la voiture, mais ne contrebraque pas assez rapidement et le fossé nous fait de l’œil avant de nous accueillir avec brutalité. Je sens tout mon corps être projeté vers l’avant et le choc est brutal. La ceinture de sécurité me compresse la cage thoracique et le retour contre l’appui-tête est brutal et me coupe le souffle.

J’essaie de ne pas m’épancher sur toutes les sensations si bien physiques que psychologiques et me détache en me tournant vers mes passagers.

— Ça va ? Bon dieu, c’est la merde, marmonné-je en caressant Guizmo qui est recroquevillé au sol derrière nous.

— Je crois que ça va, répond Théo à mes côtés. Et toi ? Tu n’as rien ?

— Non, non, ça va. Il faut qu’on se tire, et vite… Je déteste la forêt de nuit, mais on n’a pas trop le choix, là. Allez, viens, Guizmo. Debout, mon beau !

Mon chien semble plus sonné que nous, et j’ai follement envie de buter l’enfoiré qui nous a conduits ici. Je sors mon arme de l’arrière de mon pantalon et enlève la sécurité, prête à dégommer tout mafieux présent sur mon chemin. Je sors de la voiture et ouvre la porte arrière pour faire sortir Guizmo quand on me plaque contre cette dernière qui se referme. Mon chien aboie comme un dingue à l’intérieur et je vois Théo dans la même situation que moi.

— Alors, la Môme, tu pensais m’échapper comme ça ?

Pavel me retourne brusquement et me prend mon arme des mains en me maintenant contre la voiture. Son regard est empli d’une colère froide qui ne me dit rien qui vaille et il me jette au sol avant de pointer son arme sur moi.

— Vas-y, qu’est-ce que tu attends ? Je préfère encore crever que de passer ma vie avec toi, le provoqué-je, plutôt franche sur le sujet.

— Ah oui ? A ce point-là ? Mais quelle ingrate tu fais ! Qui est-ce qui s’est occupé de toi depuis toutes ces années ? Qui t’a protégée et permis de devenir la somptueuse femme que tu es aujourd’hui ?

— La touchez pas ! Elle a fait son boulot, vous m’avez retrouvé, laissez la partir, tente Théo qui se prend un coup dans les reins pour le faire taire.

Tout ceci part clairement en sucette et je ne sais même pas quelle posture adopter. J’ai une folle envie de me rebeller, de dire ses quatre vérités à Pavel, mais ce n’est pas moi, le sujet. Quoique… s’il est là pour Théo, je doute qu’il s’en foute, de ma trahison.

— Qu’est-ce que tu fous là, Pavel, sérieusement ? Tu as le nom de l’indic de Théo, il te faut quoi de plus ? Il en est réduit à fuir, tu crois vraiment qu’il est une menace ?

— On n’est pas là pour discuter des ordres de nos bienfaiteurs, la Môme. On dirait que tu as oublié tout ce que je t’ai appris. Ceux qui paient sont ceux qui décident, nous on exécute. C’est quoi, tout ça ? Tu deviens tendre, là, je ne te reconnais plus. On dirait que le contact de cette mauviette qui gémit t’a fait perdre ton professionnalisme, commence-t-il avant de s’arrêter brusquement.

Son regard va de Théo à moi plusieurs fois comme s’il venait tout à coup de réaliser ce qu’il se passait réellement entre nous. Le coin de sa lèvre se crispe et ses sourcils se fronce alors que le bras qui porte son arme se met à trembler légèrement, chose que je vois pour la première fois. C’est inquiétant et je devine la froide colère qui est en train de s’emparer de lui.

— C’est ta faute, tout ça, Pavel. C’est toi qui m’as fait venir sans me dire qui était ma cible. Tu n’as pas pris en compte le risque que ça représentait. Et tu me l’as faite à l’envers. C’était censé être ma dernière mission avant d’être libre. Je suis désolée, mais devoir vivre avec toi et te servir de poupée gonflable, ce n’est pas être libre, pour moi.

— C’est de ma faute si tu ne sais pas tenir ta chatte ? C’est pas moi qui t’ai forcée à coucher avec tous ces mecs, c’est toi qui as choisi cette méthode pour obtenir tes résultats… Mais bon, ajoute-t-il froidement, soudain très calme, on règlera ça en Russie.

C’est le genre d’attitude qui me fait le plus flipper, chez lui. Cette capacité qu’il a à changer de comportement aussi rapidement, ses émotions qu’il peine à masquer dès qu’il s’agit de colère… Il a deux facettes totalement différentes. Effectivement, il m’a souvent protégée, mais à quel prix ?

— Tue-le, conclut-il en russe, en s’adressant au type qui maintient Théo. Adieu Monsieur Simonet, ajoute-t-il en français.

Mon sang se glace littéralement en un quart de seconde. C’était inévitable, mais je peine à réaliser que c’est la réalité. Je voudrais me réveiller de ce cauchemar.

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