59. L’œil de lynx de la mécano

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Théo

Je me demande ce qui fait tant de bruit alors qu’il faut que l’on soit discrets. C’est pas le moment de faire autant de ramdam et je suis prêt à m’énerver contre Lyana quand je réalise que ce sont les battements de mon cœur que j’entends. Je suis tellement angoissé que je n’ai pas réalisé tout de suite que je suis au bord de l’attaque. Je prends une grande inspiration et me penche sur Guizmo que je caresse doucement. C’est fou ce que c’est apaisant d’avoir un animal de compagnie pour s’apaiser.

La porte s’ouvre et Lyana vient nous retrouver. Elle devait aller prévenir le moine de notre départ, mais elle est restée un moment à l’extérieur.

— Tu es allée voir si la route était libre ?

— Oui, je n’ai vu personne… Et le moine m’a rappelé combien il était important de communiquer avec l’être aimé, et pas toujours par les mots, bla bla bla bla…

— Tu ne peux pas nier que ça nous a fait du bien, ce petit moment sans les mots. Je regrette juste de ne pas avoir eu le courage de te proposer de reprendre non seulement la communication mais aussi et surtout le plaisir de te faire l’amour. J’ai été trop bête de me contenter de câlins, soupiré-je.

— Eh bien, c’est une bonne leçon, ça. Ne jamais remettre au lendemain ce qu’on peut faire le jour même. Tu n’as pas fait ton sac ?

— Cela ira vite de terminer, tu sais ? On part dans combien de temps ?

— Le soleil est en train de se coucher, donc d’ici vingt, trente minutes, je pense. Ça te va ?

— Oui, on n’a pas le choix de toute façon. Tu es prête, toi ?

— Je pense, oui, soupire-t-elle en sortant son arme de son sac à dos comme si elle sortait son portable.

— Tu crois que tu vas avoir besoin de ça ? C’est un peu flippant de te voir armée et prête à utiliser ce flingue…

— Pardon… L’habitude, et… j’espère ne pas avoir à m’en servir, mais on doit se protéger, non ?

— Oui, mais je ne veux pas me tromper de camp et me retrouver parmi les méchants qui tuent sans distinction. Après, j’avoue que ça me rassure aussi de te voir te préparer ainsi à toutes les éventualités.

— Ce ne sont pas des gentils qui viennent nous cueillir, Théo… Je ne veux pas l’utiliser, tu sais ? Mais eux n’hésiteront pas.

— Tu n’en as pas un pour moi aussi ? Quitte à vouloir se défendre, autant le faire bien.

— Tu as déjà utilisé une arme, toi ?

— Non, mais c’est tout basique, non ? Tu pointes vers la personne, tu appuies sur la gâchette et boum. Ça ne suffit pas ?

— Tu es prêt à blesser ou tuer un homme ? Il y a une différence entre tirer et blesser, tu sais… De toute façon, je n’ai pas d’arme supplémentaire, désolée. Mais ça vaut mieux comme ça. Tu es du bon côté, j’aimerais bien ne pas t’attirer dans le mauvais avec moi…

— Je crois que si tu te retrouvais en danger, je serais prêt à tout, oui. Mais je ne suis pas un assassin, non. Je n’ai jamais porté la main sur quelqu’un. Tu vois, le pire associé qui puisse exister dans une histoire comme la nôtre !

— Ça me va comme ça. C’est… toi. La lumière… Je ne veux pas te voir changer, moi. Alors on va éviter autant que possible que tu fasses un passage chez les vilains, OK ?

— Je n’accepte qu’à une condition, que tu scelles cet accord par un baiser, dis-je en tendant les lèvres.

— Monsieur est dur en affaires, sourit-elle en approchant pour s’exécuter tendrement.

Lorsque nous sortons une petite demi-heure plus tard, la pénombre règne et je suis rassuré de voir qu’il n’y a pas une armée de Russes qui nous attendent sur le parking. Avec tout ce qu’elle m’a raconté, je m’attendais presque à ça. Là, tout semble normal. Tellement que je n’arrive pas à m’imaginer que nous sommes vraiment en danger. Mais Lyana reste sur le qui-vive. Elle coupe le son de la radio dès qu’elle allume le moteur et elle démarre sans allumer les phares. Et c’est dans l’obscurité qu’elle avance lentement sur le chemin entre les arbres. Il fait juste assez clair pour que nous puissions distinguer les arbres de chaque côté et j’ai l’impression que la sortie vers la route principale est plus longue qu’à l’aller. Tout à coup, Lyana pile, arrêtant la voiture.

— Qu’est-ce qu’il se passe ? chuchoté-je alors que Guizmo se dresse entre nos sièges, les oreilles relevées.

— Il y a une voiture sur le bas-côté, là-bas. Tu ne la vois pas ?

Je regarde en suivant la direction indiquée par son doigt et constate qu’en effet, il y a un gros SUV qui est parqué. Personnellement, je ne l’aurais jamais remarqué, mais Lyana, avec son entraînement et son habitude, a eu le bon réflexe. Elle coupe le moteur et me fait signe de rester silencieux. Nous voilà repartis dans une communication non verbale, mais pour des raisons beaucoup moins ludiques que la première fois. Nous sortons tous les deux de la voiture en y laissant son chien, et je la suis alors qu’elle se dirige vers le véhicule garé plus loin. L’obscurité est notre alliée dans cette approche et nous faisons le chemin dans le silence le plus complet possible.

Quand elle s’arrête, je me positionne à ses côtés pour essayer de comprendre ce qu’il se passe. Il y a un homme qui est en train de fumer une cigarette à l’avant du SUV. Le gars est costaud et chauve. Il semble absorbé par son téléphone et doit être en train de regarder une vidéo car ses yeux ne quittent pas l’écran. Par contre, cela va être compliqué de s’approcher sans qu’il nous remarque, mais c’est sans compter l’ingéniosité de Lyana qui me fait signe de rester où je suis avant de se mettre à terre pour ramper. Elle est agile et progresse rapidement en évitant soigneusement le faisceau des phares. Je stresse car je me sens impuissant pour l’aider de là où je suis, mais je me tiens prêt à intervenir si l’occasion se présente.

Quand elle disparaît de mon champ de vision, je sens à nouveau une forte angoisse me saisir. J’ai un mauvais pressentiment et me demande ce que je vais faire si elle est blessée, ou pire si elle meurt. Je ne veux pas penser à ça, mais sa disparition se prolonge. Où est-elle ? Qu’est-ce qu’elle est en train de faire ? Franchement, c’est la dernière fois que je la laisse m’abandonner ainsi.

Quand elle surgit aux côtés du costaud et qu’elle se saisit de sa tête, je ne peux retenir un cri de surprise. Elle essaie de lui claquer le crâne sur le tableau de bord, mais il résiste et parvient à se dégager de son emprise. Il la repousse en ouvrant violemment sa portière et je me précipite pour lui donner un coup de main. Mais Lyana est efficace et elle vient de reclaquer la portière sur la main du Chauve qui avait sorti une arme, lui faisant ainsi lâcher ce qui aurait pu être dangereux pour nous deux. Elle profite de l’effet de surprise pour maîtriser le gars et l’empêcher de bouger. Tout ça n’a duré que quelques secondes, mais je sens l’adrénaline pulser dans mes veines.

Armée de son pistolet, Lyana commence à parler en russe au gars qui se planquait. Il a l’air apeuré désormais mais ne répond pas.

—Tu fais quoi, là ?

— Je fais quoi ? Je fais en sorte que personne ne sache qu’on est là, Théo, qu’est-ce que tu crois ?

— C’est qui ce type ? Il t’a dit quoi ?

Je me dis qu’il faudrait vraiment que je me mette au russe parce que là, je ne comprends rien de rien.

— Que Pavel allait nous retrouver et nous tuer. C’est l’un de ses gros bras.

Eh mince, elle avait raison. Nous sommes grillés et déjà surveillés. Comment va-t-on faire pour nous enfuir maintenant qu’ils nous ont coincés ici ? Quand elle le met en joue alors qu’il se met à pleurer, je fais un pas vers elle.

— Lyana ! Non, ne fais pas ça !

— Il le faut, Théo… Il n’hésitera pas à nous balancer, tu sais ? Ce type est une enflure…

— Ce type fait son boulot comme tu le faisais il y a peu encore. Tu crois qu’il a choisi cette vie ? Tu crois qu’il nous surveille par plaisir ? De toute façon, il n’y a rien à balancer. Quand ils vont le trouver, ils sauront bien que nous sommes passés par là.

— Je… Bon sang, mais pourquoi tu n’es pas resté où je t’ai demandé ? Pourquoi… Merde, marmonne-t-elle en baissant lentement son arme sans lâcher du regard le Russe.

Et tout à coup, sans que je ne m’y attende, elle lui assène un coup violent sur la tempe. Le gars s’effondre contre son volant et je la vois qui se penche pour vérifier sa respiration.

— Il va bien ?

— Oui, il va faire une bonne sieste. Allez, ne traînons pas ici, soupire-t-elle en refermant brusquement la portière.

Cependant, avant de partir, je la vois ouvrir le capot et elle arrache vivement quelques fils qu’elle jette dans les bois avant de courir vers moi et de m’entraîner à sa suite. Nous montons dans notre voiture qu’elle démarre rapidement et nous reprenons notre chemin.

— Tu as des cours de mécanique aussi quand tu fais la formation d’espionne ?

— Non, rit-elle. C’est le père de Suzie qui m’a appris quelques trucs, il y a bien longtemps. Ça va ?

— Ouais. Tu crois qu’il va y avoir d’autres surprises ? Ou est-ce qu’il était seul sur le coup ?

— Je n’en sais rien, il n’a pas voulu me dire quoi que ce soit… On verra bien, il faut être vigilants.

— Avec toi, on ne risque rien, tu as l'œil. Espérons qu'ils n’aient pas encore eu le temps de mieux s’organiser et qu’on va pouvoir filer jusqu’en Bretagne, comme ça.

— J’aimerais bien que tu vises juste, mais je connais Pavel, il a tout bien organisé, cet enfoiré… On verra bien.

— Alors, il faut croire en notre bonne étoile. Et puis, on est à deux, on va y arriver.

Je sais que ces mots ne sont que des mots, qu’ils me servent d’incantation. Cependant, au plus profond de moi, je crois vraiment à ce que je viens d’exprimer. J’ai l’impression qu’avec Lyana, rien ne peut m’arriver. Quand je suis avec elle, je me sens invincible et l’événement dans la forêt me l’a prouvé. Cette femme, c’est la meilleure assurance-vie. Quelle chance j’ai d’être avec elle !

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