54. 007 missionne Charlie

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Lyana


Un sourire se dessine sur mes lèvres en sentant le corps de Théo derrière le mien et son souffle contre mon épaule. Qu’est-ce que c’est bon de retrouver ses bras. Nous n’avons été séparés qu’une nuit, mais c’est arrivé si rarement ces derniers temps que m’endormir sur ce canapé pourri et surtout seule, à la planque, était vraiment désagréable. Et puis il faut dire que tout s’est passé tellement vite que j’ai l’impression que plusieurs jours se sont écoulés. Si je me suis réveillée plusieurs fois au cours de la nuit, c’est surtout par réflexe, parce que cela fait deux jours que je suis sur le qui-vive, et non parce que le lit manquait de confort ou la solitude me pesait.

Théo est loin de m’avoir pardonnée, j’imagine, mais cette envie de dormir avec moi montre que tout n’est pas perdu. Je ne sais pas s’il y parviendra, mais j’ai envie d’y croire, même si je sais que je ne mérite rien de plus que son mépris. C’est égoïste de ma part de vouloir faire le nécessaire pour le garder près de moi, mais je ne peux me résoudre à lâcher l’affaire. Je l’aime… Pour la première fois de ma vie, je suis amoureuse, et une partie de moi estime qu’après tant d’années à morfler et galérer dans l’organisation, je mérite de tourner la page et de vivre une vie ordinaire, plan-plan et parfois ennuyeuse. Non ?

Difficile de passer à côté de son érection pressée contre ma cuisse, et je me fais violence pour ne pas le réveiller et lui faire l’amour jusqu’à épuisement. Théo a été clair, c’était juste pour dormir et je ne me permettrai pas d’aller à l’encontre de son souhait. Mais je n’ai aucune envie de briser cette bulle de bien-être qui m’étreint à cet instant. Ni aucune envie de retourner à la réalité… Pourtant, quand on frappe à la porte, je sais que c’est la fin de ce moment hors du temps. Théo se redresse rapidement dans le lit et je me lève pour aller regarder à travers l’œilleton.

— Tu peux pas t’annoncer toquant ? bougonné-je en ouvrant la porte à Suzie qui me tend mon téléphone.

— Il n’arrête pas de vibrer, c’est insupportable.

Je soupire en le récupérant et constate que Pavel a essayé de m’appeler déjà quatre fois. Suzie entre dans la chambre comme si elle était chez elle et s’assied sur le lit en faisant un clin d’œil à Théo.

— Je vois que vous n’avez pas mis longtemps à vous rabibocher, tous les deux, continue-t-elle. Dire que j’ai passé la nuit seule avec un chien. Triste vie…

— On n’est pas rabibochés, grommelle Théo. C’est juste que c’est plus agréable de ne pas dormir seul, en effet.

— Commence pas, s’il te plaît, Suzie… Tu vois bien que je n’ai servi que de doudou, cette nuit, soupiré-je.

— Juste un doudou ? m’imite-t-elle en riant. Eh bien, je ne te reconnais vraiment plus. Moi, avec un beau spécimen comme Théo, je peux t’assurer que je servirais plutôt de poupée gonflable ! Tu es malade ?

— Respectueuse, c’est différent. C’est bon, t’as fini ? Si tu allais t’habiller ? T’es vraiment sortie dans le couloir comme ça ? C’est… Bref… Va t’habiller, je te rejoins dans une minute et on va aller promener Guizmo.

— Quoi ? Tu n’aimes pas ma nuisette ? Je t’assure qu’elle a du succès, tu aimes bien Théo ?

— C’est agréable à regarder, j’en conviens, mais tu dois vite avoir froid, sourit-il.

Je les regarde l’un après l’autre et me demande si je ne ferais pas mieux de leur laisser un peu d’intimité. Suzie semble vraiment attirée par Théo, et même si ça me rend jalouse, ce serait peut-être mieux pour lui, non ?

— Cool. Ben… je vais aller sortir Guizmo toute seule, je vous laisse tranquilles, marmonné-je alors que mon téléphone vibre à nouveau dans ma main.

— Non, non, je viens, ma Puce, ton beau voisin va pouvoir se reposer comme ça. Un petit temps entre filles, c’est tellement rare !

J’acquiesce tandis qu’elle sort et jette un œil à Théo qui se rallonge dans le lit. J’aimerais bien pouvoir en faire de même et oublier ces trois dernières minutes. Malheureusement, la réalité se trouve entre mes doigts et ça sent mauvais, un tel harcèlement.

— Je vais demander à Suzie de repartir aujourd’hui, alors si tu veux tenter ta chance, il ne te reste pas beaucoup de temps.

— Elle ne m’intéresse pas du tout. Je la vois plus comme une jolie peinture qu’on admire quelques instants avant de passer à la suivante. Le chef d'œuvre est là en face de moi, mais j’hésite toujours sur la conduite à tenir avec toi Lyana. Il me faut du temps, je suis désolé.

— Ne t’excuse surtout pas. Je suis la fautive dans l’histoire… On se retrouve au petit déjeuner dans une demi-heure ?

— Oui, ça me donnera le temps de prendre une douche. Je vous rejoins en bas.

J’opine du chef et vais déposer un baiser sur sa joue avant de sortir de la chambre. Guizmo m’accueille en me sautant dessus et je lui prodigue quelques caresses avant de m’habiller. Il fait gris ce matin, ce n’est pas le plus agréable, surtout quand on est en bord de mer. Bien dommage, surtout qu’on ne va pas rester longtemps ici.

— Merci encore d’avoir débarqué aussi vite, Suzie, attaqué-je en glissant mon bras sous le sien une fois que nous arrivons sur le parking.

— Dans ta chambre ? fait-elle semblant de comprendre. Tu voulais tant que ça une excuse pour ne pas t’occuper de ton voisin ?

— Suzie, on peut avoir cinq minutes de conversation sans parler de cul, de couple ou de je ne sais quoi de pas essentiel, s’il te plaît ?

— Je t’écoute, mais il va falloir que tu m’expliques dans quel pétrin tu t’es fourrée, ma vieille.

Je grimace et lui fais signe de s’asseoir sur le banc près d’un petit espace pour les chiens où Guizmo s’engouffre. Je doute qu’elle soit prête à tout entendre, mais je lui dois un minimum d’explications, vu la situation dans laquelle je l’ai mise. Je jette encore un œil à mon téléphone pour constater que Pavel me harcèle, et vérifie une nouvelle fois que l’application que m’a donnée Sacha afin de ne pas être géolocalisée est activée.

— Ok… Je ne veux pas tout te dire, Suzie, je crois que… Enfin, pour la faire courte, mon père faisait partie de la Mafia… Il avait des dettes que j’ai dû payer une fois qu’il est mort. Et… si je suis revenue en France, c’était pour une mission bien précise qui impliquait Théo.

— Tu rigoles, là ? Quelle imagination, commence-t-elle à rire avant de s’arrêter devant mon air sérieux. Non ? C’est vrai, ce délire ? Toi, tu fais partie d’une Mafia ?

L’air incrédule qu’elle affiche pourrait me faire rire si on ne parlait pas de ma vie et de mon quotidien depuis des années.

— Oui… depuis que je suis partie, le jour où le fameux Pavel est venu me chercher…

— C’était pas ton amoureux ? Et pourquoi ça implique Théo, ta mission ?

— Non, ce n’était pas mon amoureux, loin de là… Il bosse pour l’organisation, c’est même le chef, maintenant. Quant à Théo… je ne veux pas trop en dire, mais concrètement, il se planquait et est protégé par la police, et moi, je devais lui soutirer des informations pour mon patron. Mais… quand je suis arrivée, je ne savais pas que c’était lui. Mon boss ne m’en a parlé qu’après que lui et moi on a commencé à fricoter, en fait…

— Oh mais quel bordel ! C’est une histoire de fous, ça ! Tu me promets que tu ne te moques pas de moi ?

— Je te jure que je te dis la vérité, Suze, malheureusement… Et d’ailleurs, il faut que tu repartes dès aujourd’hui, je t’ai déjà suffisamment impliquée comme ça.

— Tu veux que je t’abandonne maintenant que je sais à quel point tu es dans la galère ? Mais tu rêves, ou quoi ? Tu fais partie de la famille et on n’abandonne pas les siens, chez nous ! Jamais !

— Suze… Je t’adore, et je te remercie de vouloir m’aider, mais… c’est trop dangereux, tout ça, tu ne te rends pas compte. Et puis, j’ai besoin que tu me rendes encore deux ou trois services une fois de retour à Paris…

— Des services ? De quel type ? Comment tu veux que je t’aide ?

— J’ai besoin que tu utilises ma carte bleue près de Paris, dis-je en lui tendant. Il faudrait que tu trouves des petits patelins avec des épiceries ou des bureaux de tabac, des endroits sans caméras de surveillance. Je veux brouiller les pistes, autant pour la Mafia que pour les flics, s’ils comprennent que je suis avec Théo…

— Wow, ça, c’est une belle proposition ! Du shopping à tes frais, c’est une mission de rêve ! Mais ça veut dire que je vais aussi faire partie de la Mafia, ça ? s’inquiète-t-elle.

— Non, Suze, soupiré-je en la prenant dans mes bras. La Mafia, c’est fini. C’était ma dernière mission. Du moins, la dernière ordonnée par ces monstres. Cette mission-là est pour les gentils, il faut qu’on garde Théo en vie et j’ai besoin de toi pour ça.

Honnêtement, je doute que l’utilisation de ma carte les dupe bien longtemps, mais je me doutais que Suzie ne serait pas vraiment OK pour un départ. Elle est un peu folle, a son caractère bizarre, mais on n’abandonne pas la famille.

— Tu vas pouvoir te faire plaisir. Et, dans l’idéal, il faudrait que tu commences par de gros achats dans une épicerie, genre un plein de courses, tu vois ? Ça m’arrangerait. Un endroit sans caméra, c’est super important, Bichette.

— Ouais, compte sur moi. Un gros plein, et après, je vais acheter des vêtements, ça va chauffer la carte bleue, tout ça !

— Suzie ! Y a des caméras dans les grands magasins, réfléchis ! Ou en ville. Il faut vraiment que tu fasses attention, sinon ils risquent de remonter jusqu’à toi, tu comprends ? Des petits villages comme Beaumesnil, c’est bien. Surtout pas dans Paris, et pas de grandes surfaces, compris ?

— Oui, je vois… Je suis désolée, je n’ai pas l’habitude de tout ça, moi.

— Je sais… Excuse-moi, je ne voulais pas m’énerver, je… je ne veux pas qu’il t’arrive quelque chose par ma faute, et ça m’embête de te demander ça. Tu ne dois même pas tirer d’argent à un distributeur, OK ? Des petits achats, à droite, à gauche, de temps en temps, genre… tous les deux ou trois jours, si tu peux. Et si tu as des doutes, des questions… je vais te donner un numéro de téléphone où tu pourras me joindre.

— Je vais faire de mon mieux. Par contre, on doit utiliser un nom de code ? Genre, moi, je suis Charlie et toi James Bond Girl ?

— Si tu veux, ris-je en la prenant à nouveau dans mes bras. Tout ce que tu veux, je te suis éternellement redevable. Je t’adore, Suzie, si tu savais.

— Moi aussi, je t’adore. Et je veux être ta demoiselle d’honneur pour le mariage, pour tout ça. N’oublie pas ! Je veux pouvoir être juste à côté pour mater le beau cul de ton Théo à ce moment-là, hein ?

— Tu es folle, tu le sais, ça ? Après ce qu’il s’est passé, je ne suis pas sûre d’en arriver à faire plus que le doudou… Et encore, c’est si on survit à tout ça…

— Tu as vu comme il te dévore des yeux ? Je crois qu’il va vite faire passer son doudou à la casserole si tu veux mon avis !

— Je ne sais pas… On verra bien. Pour ça, il faut déjà qu’on ne nous tombe pas dessus. On va petit-déjeuner ? J’ai besoin d’un café.

— Eh, ma Puce, il va falloir que tu fasses attention à toi, hein ? Je ne veux pas que les flics viennent nous voir pour m’annoncer une catastrophe.

— T’inquiète, je gère. Ce n’est pas ma première mission, c’est juste la plus importante de ma vie.

J’espère que je gère, mais je n’en ai pas la certitude. Tout ce que je sais, c’est que je veux qu’on s’en sorte, avec Théo, pour qu’il puisse réellement me donner une seconde chance. Et ça passe par devoir se planquer, essayer d’entourlouper Pavel et ses larbins, ne pas se faire repérer par les flics… Presque une routine quotidienne, finalement. Mais ça en vaut la peine, si tout finit bien et que Suzie est ma demoiselle d’honneur, non ? Enfin, on ne va pas non plus trop se faire d’illusions.

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