55. Time to go

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Théo

— Au revoir Suzie. Merci encore d’avoir joué à la nounou avec moi. J’espère qu’on se reverra. Si je sors indemne de cette histoire, promis, je repasse te voir !

Je la serre dans mes bras et elle en profite pour embrasser de manière appuyée mes joues barbues avant de se plaindre que ça pique un peu.

— Je suis sûre que tu serais bien plus beau rasé, mon lapin ! Mais tu peux toujours venir tout barbu, je t’ouvrirai ma porte et mon lit sans problème, minaude-t-elle, le sourire aux lèvres.

— Tu n’abandonnes jamais ! Un exemple à suivre, souris-je avant de déposer un baiser sur son front. Merci d’avoir été là.

— Mais de rien. Prends soin de ma sœur aussi, parce que si tu viens me voir tout seul, je peux ouvrir le placard avec ma batte de baseball, mon chou, et l’accueil ne sera pas le même !

— Ouais, on verra comment ça va évoluer entre nous deux.

Je jette un œil à Lyana qui a entendu ma remarque et fait une petite grimace avant d’entraîner sa sœur vers le parking afin de la saluer. Je referme la porte de ma chambre d’hôtel et vais m’allonger sur mon lit. J’hésite sur la conduite à tenir vis-à-vis de Lyana. Franchement, si je m’écoute vraiment, je sais que j’ai envie de lui pardonner, de recommencer comme avant de découvrir qui elle est réellement. Mais je n’arrive pas à totalement me convaincre de ça. Et si je découvrais d’autres secrets sur elle ? Et si je lui faisais à nouveau confiance et qu’elle me trahissait encore ? Comment avoir confiance, désormais ? Et comment passer au-delà du blocage que je ressens quand je suis avec elle ? C’est fou, d’ailleurs, parce qu’elle m’attire comme jamais une femme ne m’a attiré. Elle me plaît comme jamais je n’ai apprécié une partenaire. Avec elle, je suis bien, et ça, c’est un sentiment rare et que j’apprécie à sa juste valeur, surtout au vu de ma situation.

Quand je repense aux choix qui s’offrent à moi, je suis devant un abîme encore plus grand qu’avant ma fuite ici à Honfleur. Déjà que la situation n’était pas bien gaie quand je devais me cacher sous la protection de la police, maintenant, elle est encore pire parce que je ne suis plus protégé que par une agente de la Mafia russe. Bon, d’accord, elle est canon, mais est-ce que c’est une arme assez efficace pour empêcher tous ces affreux mafieux de venir me régler mon compte ? Pas sûr du tout.

Si je réfléchis calmement, je n’ai pas beaucoup d’options, là. Soit je retourne sous la protection des flics et je prends le risque qu’une taupe me dénonce maintenant que les russes ont l’identité de Mickail et ça en serait fini pour moi, soit je reste à l’écart de tout et je prie que personne ne nous retrouve, sans garantie de succès. Ce qui me fait pencher pour la deuxième option, c’est que dans le premier cas, je ne suis pas sûr que Lyana ait une place dans ce schéma, alors que dans l’autre, elle y tient un rôle central. Je sais que c’est en contradiction avec le manque de confiance que je pourrais avoir en elle, mais c’est un signe en soi que je devrais me faire une raison, oublier ce qu’il s’est passé et vraiment passer à la suite. Enfin, je crois. Je ne sais pas. Je ne sais plus. Mais pourquoi tant de questions et d’incertitudes ?

Je finis par m’endormir et ne me réveille de cette sieste improvisée qu’en début de soirée, quand j’entends frapper à ma porte. Tout de suite, mon cœur se met à battre la chamade, mais l’aboiement de Guizmo me rassure sur qui se trouve derrière la porte. J’ouvre en me frottant les yeux.

— Oui ? Il y a un problème, demandé-je, légèrement inquiet.

— J’ai ramené de quoi dîner… Tu dormais ? Désolée de t’avoir réveillé, sourit Lyana. Tu as la marque de l’oreiller sur la joue.

Je me frotte la joue et sens ma barbe que je n’ai pas taillée depuis plusieurs jours, ce qui me fait grimacer. Je vais finir par ressembler à un ours hirsute si je ne me trouve pas un rasoir rapidement.

— Merci. Tu as ramené quoi ? Vas-y, entre, dis-je en retournant vers mon lit où Guizmo s’empresse de me retrouver.

Le Husky pose son museau sur mes genoux et semble ravi des caresses que je lui prodigue. Et dire qu’au départ, il me faisait peur. Il semble m’avoir adopté totalement, lui.

— Il y a un petit restau pas loin qui fait des plats à emporter… J’ai pris la spécialité de la ville, le hachis honfleurais, et un truc plus classique, pâtes carbo… Je ne savais pas trop de quoi tu aurais envie, et tu n’as pas répondu la première fois que j’ai frappé à ta porte. Bref, et pour le dessert… j’avais envie de sucré, alors j’ai un peu abusé, rit-elle en déposant les sacs sur le lit avant de s’asseoir à bonne distance.

— On n’abuse jamais sur le dessert ! Tu veux qu’on partage tout ? Comme ça, on goûte à tout.

— On peut faire ça, oui, si ça te va. Mais j’ai pris deux fondants au chocolat quand même… Je crois qu’on a la même addiction.

— Je crois qu’on est vraiment faits pour s’entendre, en effet. Attends, j’ai une idée.

Je me relève et vais chercher un drap propre dans l’armoire et l’installe sur le lit après l’avoir plié en quatre.

— Voilà, avec une nappe, tout de suite, on change de standing, non ?

— Parfait, me dit-elle en souriant. Dommage qu’on doive se contenter de couverts en bois après ce changement d’étoile.

— Oui, mais quand on mange avec une princesse comme toi, les détails techniques importent peu, ne puis-je m’empêcher de répondre alors que son sourire illumine la pièce.

— Fais gaffe, la princesse peut se changer rapidement en vieux crapaud beaucoup moins attrayante selon la situation, soupire-t-elle en sortant les plats pour les poser sur la nappe.

— Je ne pensais pas que la transformation dans le sens inverse était possible ! Et puis, même en crapaud, pas sûr que je puisse résister à cette attirance folle que je ressens quand je te regarde, tu sais ? Malgré tout ce qu’il y a eu ces derniers jours, je ne te cache pas que j’ai toujours cette envie de revenir à ce qu’on vivait avant que je ne découvre que tu bosses pour la Mafia.

— Eh bien… une partie de moi le voudrait aussi, mais l’autre est contente de ne plus avoir à te cacher la vérité. Même si ça induit tout… ça, ce malaise, cette blessure. J’ai détesté te mentir.

— Ce qui me fait peur, c’est que je n’ai rien vu venir. Tu mens vraiment très bien. Compliqué de te faire totalement confiance après ça.

J’essaie de cacher un peu l’amertume qui transparaît dans ma voix, mais je pense que je n’y arrive que partiellement.

— Je comprends bien… Je n’ai pas tant eu à mentir que ça. Enfin, je veux dire que j’ai été plutôt sincère sur la plupart des sujets. Mes parents sont morts, je suis bien graphiste, je suis venue à Beaumesnil pour le boulot… et j’aime passer du temps avec toi. Je n’ai même pas simulé au lit, et crois-moi, c’est sans doute le plus dingue pour moi.

— C’est ça le plus dingue ? rigolé-je. Moi, ça ne me surprend pas, vu ce que je suis capable de faire au lit ! Ce qui est dingue, c’est que ça te surprenne !

— Disons que je n’ai pas souvent eu l’occasion de tomber sur des hommes qui n’étaient pas seulement centrés sur leur propre plaisir, sourit-elle. Bon sang, ce hachis est super bon !

— Disons que je n’ai jamais eu l’occasion de tomber sur une femme avec qui l’harmonie était si parfaite. Et sur une femme aussi gourmande ! Même si c’est vrai que c’est succulent !

— Tu vois, sur ça aussi j’ai été sincère, me répond Lyana. Et… je n’avais jamais connu ça non plus, pour être honnête. Et quitte à balancer des vérités, même si je sais que tu as du mal à croire ce que je te dis, je n’étais jamais tombée amoureuse avant toi non plus. J’ai bien eu quelques béguins, mais… Enfin bref… Disons que la Lyana tendre et énamourée, c’est une découverte pour moi.

J’hésite à lui demander si elle n’est pas à nouveau en train de me mentir, mais quand je vois avec quelle intensité elle me regarde, j’ai du mal à croire que ce qu’elle me révèle n’est pas vrai. Elle m’émeut quand elle me parle ainsi et j’ai du mal à rester dans la ligne de conduite que je me suis fixée qui est de garder mes distances.

— Laisse-moi un peu de temps, Lyana. Vu ce qui se passe entre nous, je sais que nous y arriverons, mais là, c’est encore un peu frais. Et pour revenir à la Mafia, ils ne s’inquiètent pas de ton absence?

— Je te laisserai tout le temps que tu veux, mais tu ne peux pas m’en vouloir d’essayer de temps en temps, sourit-elle doucement. Je crois qu’ils commencent à se poser des questions, mais officiellement, je suis partie pour te chercher… Mon boss me harcèle, mais je ne sais pas trop quoi lui dire et il me connaît bien, je ne peux pas lui répondre sans avoir une histoire bien ficelée, sans quoi il va vite me griller.

— Pourquoi tu ne lui dis pas que tu m’as retrouvé et que je crois toujours à ton histoire et que nous sommes en route pour retrouver Mikhail qui a réussi à s’infiltrer en France ? Cela devrait nous faire gagner du temps, non ?

— C’est une idée, en effet. Pas bête, beau voisin, s’enthousiasme-t-elle avant de grimacer. Pardon… les habitudes ont la vie dure.

— Ne t’excuse pas, ça ne me dérange pas, commencé-je avant de m’arrêter devant l’attitude de Guizmo qui vient de se relever et se met à grogner méchamment vers la porte. Il fait quoi, là, ton chien ? demandé-je, inquiet.

— Il doit y avoir des clients dans le couloir, ce n’est rien, dit-elle en se levant malgré tout pour aller regarder dans l’œilleton.

Guizmo se met alors à aboyer, sans raison, alors qu’il était resté calme jusque là.

— Non, mais c’est étrange. Des clients, il y en a plein. Là, il y a un lézard, non ?

— Guizmo, tais-toi ! gronde-t-elle en collant son oreille contre la porte. Je n’ai vu personne… Si ça se trouve, il a senti une femelle. Mon chien est parfait, sauf quand il rencontre le sexe opposé… Il devient un ado rebelle aux hormones en folie.

— Oui, un vrai homme, quoi.

J’essaie de détendre l’atmosphère, mais je sens bien que le cœur n’y est pas. Et Lyana est toute tendue, elle aussi, ce qui ne me rassure pas. Je me lève à mon tour et viens m’agenouiller à côté du Husky en passant mon bras autour de son cou, ce qui a au moins le mérite de le calmer un petit peu. L’instant est vite passé et je sens sa langue venir me lécher. Je me tourne vers Lyana qui se détend à son tour.

— Guizmo, on a besoin que tu nous alertes s’il y a des méchants, pas si tu veux aller draguer, bon dieu, soupire la jolie rousse en s’accroupissant devant nous pour le caresser. Tu veux qu’on panique ou quoi ?

— Lyana, tu vas me prendre pour un fou, mais… ça fait trop longtemps qu’on est ici, non ? Je ne suis pas rassuré. Même si ce n’était qu’une fausse alerte, on est trop vulnérables ici. Tu ne crois pas ?

— Je sais… Je ne veux pas trop te bousculer non plus… Je cherche un coin tranquille et éloigné de tout pour qu’on n’ait pas à bouger tout le temps. Et puis, Suzie doit brouiller les pistes une fois de retour à la capitale. On a une bonne longueur d’avance… mais il ne va pas falloir tarder à partir.

— Et si on partait… maintenant ? demandé-je, pris d’une panique que je parviens avec difficulté à maîtriser. Rien ne nous retient ici et on pourra réfléchir en route sur ce qu’on fait, non ?

— Maintenant genre… tout de suite ? Je… C’est un peu précipité, ça. Mais… OK, si ça te rassure, on peut remballer. Eh, Théo, ça va, je t’assure. Comment veux-tu qu’ils nous trouvent aussi vite ?

— Je ne sais pas. Mais il faut qu’on bouge… Tu imagines s’ils trouvent Suzie ? Elle sait où on est, elle. Et puis, dans les films, c’est quand les gens s’arrêtent et se posent qu’on les retrouve, non ? Je ne sais pas, Lyana… A chaque fois qu’on frappe à la porte ou que Guizmo aboie, j’ai l’impression qu’ils vont débarquer avec leurs armes chargées pour me régler mon compte. Je me sentirais plus en sécurité dans un endroit moins fréquenté, je pense.

— Très bien, on va partir alors. Je vais faire mon sac. Enfin, je vais le chercher… Je te laisse Guizmo, ta meilleure arme, sourit-elle en attrapant ma main. Ça va ?

— Oui, ça va aller. Désolé d’être comme ça, Lyana… Et merci de ne pas te moquer et me suivre.

— Ne t’excuse pas… C’est normal. Range tes affaires, et prends soin des desserts, histoire qu’on puisse se réconforter avec du chocolat sur le trajet.

— Merci Lyana. Et un trajet avec toi et du chocolat, franchement, je crois que ça va être proche de la perfection !

Elle sourit et vient déposer un baiser sur ma joue avant de sortir prudemment de la chambre. Maintenant qu’elle est partie, j’ai l’impression d’avoir cédé à un accès de panique insensé. Mais je ne peux m’empêcher d’être rassuré par l’idée que l’on va partir, qu’on va se remettre en mouvement. Et qu’on va aller à un endroit où personne ne saura où nous sommes. Je ne sais pas où on va, mais je suis ravi de voir que Lyana y va avec moi.

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