50. Recueillement interrompu

9 minutes de lecture

Lyana

Je m’arrête sur le parking de la mairie d’une petite bourgade et sors quelques minutes pour me dégourdir les jambes. J’en profite pour chercher un loueur de voitures qui ne se trouve pas en pleine ville. J’aimerais éviter les agglomérations au maximum, parce que je sais que mes camarades ont, s’ils le veulent, les moyens d’avoir accès à des caméras de surveillance. Si, en plus, ils ont des taupes dans la police, un radar, un contrôle… Tout est risqué.

Je récupère une bouteille d’eau dans mon sac et repars sur les routes de campagne en gardant un œil sur la carte routière à mes côtés. Je crois que je suis tellement concentrée que je mets un certain temps à repérer la voiture noire qui me suit. Elle ne m’est pas inconnue et je me demande si je ne l’ai pas déjà vue garée près de la maison. Ce serait fou que je ne l’aie pas remarquée plus tôt, c’est peut-être une coïncidence qui me pousse, en tout cas, à faire un détour pour revenir sur mes pas.

Lorsque je repasse devant une grande maison absolument magnifique avec une tour, toujours suivie au loin par cette voiture, je comprends que les choses se corsent pour moi. Je ne sais pas si la question la plus importante est de savoir s’il s’agit des flics qui surveillent Théo ou de mes camarades de l’organisation, ou bien de savoir comment je vais me dépatouiller pour les semer… Toujours est-il que je change totalement mes plans. Hors de question de suivre la route jusqu’à Honfleur avec une caravane inconnue au popotin.

Je change de direction, suivant les panneaux qui me mènent sur la départementale qui me fait finalement arriver à Lisieux. Je m’engouffre en plein centre ville avec l’espoir de les larguer, mais il n’y a pas assez de circulation en cette fin de matinée pour que j’y parvienne. Je pense qu’ils ont compris que je les avais repérés, vu les tours et les détours que je fais, mais peu m’importe, tant que j’arrive à les laisser derrière moi. Malheureusement, je peine à les perdre, et finis par envisager une dernière option.

Ado, je suis partie en vacances avec Suzie et ses parents sur la côte normande, et nous nous sommes arrêtés à la basilique Sainte Thérèse. Il y a souvent du monde et je me dis que je pourrais, au pire, partir à pied, chercher l’accès au cimetière et fuir par là. Autant tenter le tout pour le tout, parce que jouer au flic et au voleur en voiture me gonfle déjà. Et puis, au moins, cela me permettra sans doute de voir s’il s’agit des gars de Pavel ou de ce bon vieux Henri.

Alors c’est parti, je monte la côte qui mène à la basilique et m’engouffre sur le parking. Je prends le temps de regarder discrètement par les rétroviseurs si la voiture me suit, mais ne les vois pas immédiatement. J’hésite à repartir, mais me dis qu’ils doivent s’être garés plus loin. Je ramasse donc mes affaires et range tout dans mon sac, enfile un pull à capuche et sors de la voiture par la porte passager en espérant qu’ils ne me voient pas. Je ne ferme même pas la voiture à clé pour éviter de me faire repérer, et profite du passage d’un groupe de personnes pour les suivre et me diriger vers ce grand monument, le nez sur mon téléphone pour ne pas éveiller les soupçons. J’essaie de jeter des coups d’œil autour de moi mais ne parviens pas à repérer un quelconque russe au visage connu, ou le copain de belote de Théo, son fameux cousin…

Il y a du monde dans la basilique et je prends le temps de m’asseoir sur l’un des nombreux bancs. Je ferais bien une petite prière pour que tout ça se termine bien mais je préfère rester sur mes gardes en faisant mine d’observer la structure. Je me souviens de Suzie qui ne voulait pas entrer ici, de ses grimaces pour me faire rire, de son père qui la gronde parce qu’elle fait n’importe quoi… et de Véro qui nous dit qu’il est un peu trop coincé. Et je me rappelle de cette époque où je vivais tranquillement, sans menaces, sans obligations autres que celle de travailler à l’école pour m’en sortir seule et ne pas tomber dans le piège dans lequel mon père a plongé tête baissée à mon âge ou presque.

— Pas de concours de belote aujourd’hui ? soupiré-je en voyant Serge, le flic planqué depuis le début pour assurer la protection de Théo, s’asseoir à un mètre de moi à peine.

— Je ne vous savais pas si religieuse. Vous êtes venue prier pour le salut de votre âme damnée ? Il est où, Théo ? attaque-t-il tout de suite.

— J’aime me cultiver, que voulez-vous. Et je ne sais pas où est Théo. Pourquoi est-ce que je le saurais ?

— Il a disparu et vous travaillez avec les Russes. Donc, je vous arrête pour vous faire parler ou bien vous me dites tout de suite où il est pour qu’on le retrouve sain et sauf ?

— Je ne vois pas de quoi vous parlez, lui dis-je en maudissant Théo qui a dû balancer. Les Russes ? C’est quoi, cette histoire ?

— Vous ne voyez pas ? Vous me prenez pour un con ou quoi ? Théo est en danger de mort, on doit le retrouver pour le protéger. Vous le savez aussi bien que moi. Là, vous faites entrave à la justice et à l’ordre public, c’est grave, vous savez ?

— Je ne vous prends pas pour un con, Serge, j’essaie de comprendre. Théo est en danger de mort ? Mais de quoi est-ce que vous parlez au juste ? Ce que vous me racontez me semble totalement dingue, vous savez ? ris-je.

Je le vois commencer à s’énerver à mes côtés alors que je joue à l’ingénue. Je me demande s’il va mettre sa menace à exécution, m’arrêter et ainsi m’empêcher d’aller retrouver Théo et Suzie.

— Vous savez, les gens pour qui vous travaillez ne sont pas des tendres. Je ne sais pas à quoi vous jouez, mais j’ai la mission de surveiller et sauver Théo. Et là, vous ne m’aidez pas du tout. A chaque instant qui passe, ils ont de plus en plus de chance de le retrouver. Vous alliez où comme ça ce matin ?

— J’ai suivi le circuit touristique. J’ai encore le droit d’aller où je veux, non ? Pour quel motif voulez-vous m’arrêter ? Vous avez des preuves de cette folie que vous avancez ? Parce que c’est juste totalement incohérent. Moi, travailler avec des méchants Russes, c’est ça ? m’esclaffé-je.

— Arrêtez de jouer à votre petit jeu, Lyana. Théo a prévenu Henri sur vos activités, on est au courant. Et de ce qu’on a vu, ils sont venus dans la maison mais ils ne l’ont pas trouvé. Vous avez fait quoi pour qu’il s’échappe ? Si ce n’est pas vous qui l’avez aidé, il n’y a aucune explication logique à sa fuite. Lyana, Théo a dit que vous vous étiez sacrifiée pour lui ! Arrêtez donc de nous mentir. Il faut qu’on le retrouve pour le protéger !

Je soupire et réfléchis à ce que je pourrais lui dire pour qu’il me lâche la grappe. Evidemment que je ne peux pas lui faire confiance. On parle d’un flic et je suis une vilaine, même si je tente de me racheter une conduite.

— Il est en sécurité. J’ai brouillé les pistes. Vos méchants Russes ont quelques trains de retard sur moi, pour le moment. A condition que vous ne vous soyez pas fait repérer, bien entendu…

— Je ne me suis pas fait repérer, vous voyez bien que nous sommes seuls ici. Quelle idée de venir dans un endroit si touristique, j’ai failli vous perdre. Et pourquoi vous brouillez les pistes ? Vous jouez à un double jeu dangereux, il me semble. Dites-moi où il est qu’on puisse remettre en place notre protection rapprochée. C’est la seule solution pour le sauver.

— Non mais vous plaisantez ? Votre équipe de protection rapprochée ? Vous vous rendez compte que j’ai eu des centaines d’occasion de le tuer sans que vous ne vous rendiez compte de rien ? Qu’on a des infiltrés partout là-bas ? Vous feriez mieux de vous occuper de l’équipe qui cherche encore au village, ce sont eux, les dangers. Je ne l’ai pas aidé à se tirer pour aller l’achever au calme.

— Une équipe le cherche au village ? Mais il n’y est plus. Que font-ils là-bas ? Et que voulez-vous qu’on y fasse ?

— Une équipe le cherche, évidemment ! Je vous ai dit que j’avais brouillé les pistes. C’est pas possible, grommelé-je, ils vous recrutent où, dans la police ? Vous êtes bien sûr de ne pas avoir été suivi ? Parce que trois hommes devaient surveiller votre domicile ce matin. Faites votre boulot, j’en sais rien, arrêtez les pour possession d’armes ou je ne sais quelle connerie, mettez-leur des bâtons dans les roues !

— Je ne suis pas repassé par mon domicile, donc non, je ne suis pas suivi. Mais… je ne peux pas abandonner la recherche de Théo, c’est pour ça que je suis payé.

— Bon courage alors, soupiré-je en me levant. Je vais réussir à vous semer et vous le savez. Si vous m’avez trouvée, c’est parce que je le voulais, j’avais besoin de savoir qui était derrière mon dos. Théo est en sécurité et l’objectif c’est qu’il le reste. Il y a tellement de taupes chez vous que ça ne durera pas bien longtemps si je vous dis où il est. Je peux vous donner les identités et la localisation de la planque des russes au village, mais je ne vous dirai pas où lui se trouve. Et vous pouvez m’arrêter, faire ce que vous voulez, je ne parlerai pas. Je n’ai rien à perdre, vous savez ? La Mafia m’a trahie, je n’ai pas de famille… Tout ce que je veux, c’est que votre témoin s’en sorte et ainsi pouvoir faire un beau doigt d’honneur à mon boss.

Je le vois hésiter sur la conduite à tenir. Il me regarde avant de diriger ses yeux vers la grande croix à l’autre bout de la cathédrale.

— Je pense que je peux gagner un peu de temps, murmure-t-il comme s’il se parlait à lui-même. Si j’arrête ces trois gus, ça laissera croire que j’ai fait mon travail. Mais… je peux vous faire confiance ? Pourquoi vous faites tout ça pour lui ?

Je me rassieds et sors de mon sac un calepin pour noter les informations dont je lui ai parlé.

— On ne choisit pas tous de faire partie de la Mafia, vous savez ? Cette mission devait être ma dernière avant d’enfin être libérée, mais j’ai commis deux fautes : j’ai fait confiance à mon patron et je suis tombée amoureuse de ma cible. Alors à défaut de pouvoir être libre, je veux au moins réussir à l’aider, lui, me confié-je en lui tendant le papier. Il y a toute une caisse d’armes sous le lit et les gars en ont sur eux. Ils sont quatre, et pas très futés, mais faites attention à vous.

— Vous lui direz qu’il fasse attention, on a une revanche à prendre à la belote, hein ? me répond-il en me tendant la main. Et faites attention à vous. Mais je vous jure, il se passe quoi que ce soit le concernant, vous aurez toute la police aux trousses en plus de la Mafia. Et appelez-nous au moindre souci, vraiment, ajoute-t-il en me tendant une carte.

— C’est noté. Vous pouvez compter sur moi. Il faudra m’expliquer ce que vous trouvez d’agréable à la belote, plaisanté-je en récupérant la carte avant de lui serrer la main. Vous n’allez donc vraiment pas me suivre ?

— Ce n’est pas l’envie qui me manque, mais j’ai un bon feeling vous concernant. Vous savez, c’est le genre de trucs qu’on développe à la belote, sourit-il. Et puis, si je vous suis, je vais vous faire perdre du temps, parce que clairement, vous ne savez pas aller d’un point A à un point B en ligne droite ! se moque-t-il.

— Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Bref, j’imagine que Théo vous donnera des nouvelles, puisqu’apparemment il est incapable de tenir sa langue et de respecter une consigne, même quand elle est donnée pour lui sauver la vie… A jamais, j’espère, lui dis-je avant de m’éloigner.

Je vais tout de même faire très attention. Je n’ai pas envie qu’on me la mette encore à l’envers. J’hésite même à reprendre ma voiture, mais il faut que je me rende à proximité d’un garage qui en loue. Avec tout ça, j’ai pris du retard mais il ne faut pas que je me précipite pour éviter de faire une boulette. Un peu de patience avant de subir la colère de Théo… Je devrais y survivre. Au retard, j’entends, parce qu’à sa colère, j’ai des doutes…

Annotations

Vous aimez lire XiscaLB ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0