51. Le saint menteur

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Théo

Nous marchons main dans la main, au bord de la mer, sur les quais, comme deux amoureux, afin de ne pas nous faire remarquer. C’est la folle idée de Suzie qui m’a informé que Lyana nous retrouverait sur le port, ce qui nous permettra de fuir si elle est suivie. J’ai l’impression que ma voisine pense à tout et ça me rassure comme ça m’inquiète. Toujours est-il que la blonde à mon bras profite à fond de la situation. Elle multiplie les contacts, dépose des bisous sur ma joue et m’entraîne même dans certains magasins de souvenirs pour jouer aux vrais touristes. J’essaie de garder mes distances autant que faire se peut, mais elle est vraiment douée dans son petit jeu.

— Voyons Suzie, tu exagères pas un peu, là ? demandé-je alors qu’elle s’est arrangée pour que je passe ma main dans son dos et qu’elle baisse mon bras afin que je puisse caresser ses fesses.

— Mieux vaut trop que pas assez, sait-on jamais, non ?

— Il n’y a personne qui nous regarde, ça ne sert rien de surfaire les choses en public, non ? rétorqué-je sans toutefois bouger ma main.

— C’est si désagréable que ça ? Pourquoi est-ce qu’on n’aurait pas le droit d’en profiter, mon chou ? sourit-elle en se lovant contre moi.

— Parce que je ne ressens rien pour toi, peut-être ? Je te jure que s’il n’y avait pas Lyana, tu serais vraiment mon genre de femme, mais là, c’est mort, tu sais ? Je ne suis pas prêt à passer à autre chose même si je pense qu’il n’y aura plus rien entre ta sœur et moi.

— Qu’est-ce que tu es coincé ! Je ne te traîne pas à l’église pour un mariage, non plus. Y a pas de mal à se faire un peu plaisir, vu les circonstances.

Elle n’a pas tout à fait tort. Au rythme où vont les choses, peut-être que demain je serai mort. Et que je m’en voudrai de ne pas avoir profité de la situation. Parce que clairement, là, elle est prête à tout me céder, Suzie. Ses tétons qui pointent sous son chemisier n’en sont qu’une des preuves, et je suis convaincu que si je me décidais à l’emmener dans une rue moins passante et à faire un petit quickie en public, elle ne me rejetterait pas. Mais honnêtement, je ne peux pas. J’ai Lyana en tête et c’est tout. Je dois vraiment être accro si je parviens à résister à toutes les tentatives de charmes de la blonde qui profite d’un moment d’inattention de ma part pour déposer un baiser sur mes lèvres et onduler contre moi.

— Suzie ! Arrête ! Je t’ai dit que je n’étais pas intéressé, m’agacé-je en la repoussant. Tu sais que j’ai juste en tête la façon dont mes retrouvailles avec Lyana vont se passer ? J’ai l’impression qu’on s’est quittés dans un autre monde et je ne sais pas comment agir quand elle va arriver. Et puis, elle est en retard, non ? Ça fait bien trente minutes qu’on l’attend !

— OK, OK, grimace-t-elle en s’éloignant. Lyana par-ci, Lyana par-là, j’ai compris. Je vais me contenter de Guizmo alors… Au moins, lui ne devrait pas me rejeter comme une vieille chaussette alors que je le bichonne depuis quasiment vingt-quatre heures. Elle va arriver ta meuf, respire !

— Désolé, Suzie. Je te jure que dans une autre vie, je serais en train de te démontrer à quel point tu m’excites, ne te fâche pas, je te suis vraiment reconnaissant. Mais là, j’ai pas le cœur à ça. Tu peux comprendre, non ?

— Oui, c’est bon, j’ai compris, soupire la jolie blonde. Allez, mettons-nous à un endroit moins fréquenté, qu’elle nous trouve plus facilement, ta nana.

Je la suis et nous nous installons à la terrasse d’un petit café sur une rue derrière le port. Elle envoie un texto à Lyana pour lui indiquer où nous retrouver. Avec mes remarques, j’ai réussi à calmer un peu ses ardeurs, mais pas ses regards gourmands à mon égard. Je me demande pourquoi elle agit comme ça alors qu’elle sait et a compris que je ne m’intéressais qu’à la rousse qui arrive justement, en nous cherchant du regard.

— Lyana, on est là ! l’appelé-je alors qu’elle allait s’éloigner sans nous avoir vus.

— Ah, vous voilà, sourit-elle alors que Suzie se lève pour la prendre dans ses bras et que Guizmo est déjà sur ses pattes arrière pour la saluer.

Je reste un peu en retrait et observe la scène comme si je n’étais qu’un spectateur de ces événements et non un acteur à part entière.

— Ma Chérie, lui dit Suzie. J’ai tout tenté et ce mec, c’est un saint, je te jure. Il n’a jamais craqué et ne parle que de toi. Franchement, il faut que tu me trouves le même parce que là, c’est moi qui vais craquer !

— Je t’ai dit de lui foutre la paix, soupire la rousse en s’asseyant. Désolée, Suzie est un peu dingue, parfois… Comment tu vas ?

— Comme un mec qui s’est fait trahir par la femme avec qui il pensait que c’était sincère, la cinglé-je. Et je ne suis pas un saint, si je n’ai pas craqué, c’est parce que moi, je ne joue que sur un tableau à la fois.

— Ah oui ? On parle de ton cousin et de ton pote roi de la belote, monsieur le roi de l’honnêteté ? grimace Lyana avant de soupirer en caressant la tête de Guizmo, posée sur sa cuisse. Je suis désolée pour tout ça, je comprends que tu sois énervé et crois-moi, j’aurais préféré te rencontrer dans d’autres circonstances.

— Je dois me protéger, moi, alors que toi, tu es là pour me faire tomber. C’est quand même bien différent !

Je m’énerve et m’agite et c’est Suzie qui pose sa main sur les miennes pour me calmer un peu.

— Eh, on se calme, mon chou. Lyana a sans doute ses raisons, et ce serait quand même bête de dire des choses que tu regretteras une fois calmé, non ?

— Mais je lui ai tout donné, moi ! Et pour me remercier, elle m’a dénoncé à ses patrons ! Tu veux quoi ? Que j’accepte ça comme si c’était normal ? Je pourrais être entre quatre planches là !

— C’est ton indic que j’ai dénoncé, et ton cul que j’ai protégé, bon dieu, s’agace Lyana à son tour. Il me semble que tu as dormi dans une chambre d’hôtel, pas enterré au fond d’un jardin, non ?

— Oui, et même que tu as refusé ma compagnie alors que je t’étais offerte aussi sur un plateau. Franchement, toi et les femmes, tu n’y comprends rien ! indique Suzie en se levant. Je vous laisse, je vais voir si je ne peux pas trouver quelqu’un qui sera plus intéressé par mes lolos que par ma soeur, si mignonne soit-elle !

Elle fait une bise à Lyana qui fixe son attention sur moi. Je suis un peu gêné et commence par détourner le regard et observer l’horizon, mais je suis attiré par elle et rapidement, je me retrouve à admirer son nez aquilin, ses lèvres qui m’ont procuré tant de bonheur, cette peau si douce…

— Pourquoi tu ne m’as pas dit que tu bossais pour les Russes plutôt que d’aller les voir et me mettre encore plus dans la difficulté ?

— Est-ce qu’on pourrait aller discuter de tout ça quelque part où il n’y a pas d’oreilles indiscrètes ? Je… Il faut qu’on parle de tout ça, mais pas ici, s’il te plaît…

— Tu crois qu’il y a des oreilles indiscrètes ici ? Tu veux aller où ?

— Je crois que je n’ai pas envie d’étaler ma vie en public, surtout… On peut peut-être aller se promener dans des rues moins fréquentées ? Ou prendre ma voiture et aller jusqu’à la plage, rentrer à l’hôtel… Comme tu veux.

— Allons sur la plage, cela nous rappellera des bons souvenirs au moins.

— D’accord, soupire-t-elle en se levant. J’espère que ça te rendra moins amer aussi, même si j’imagine que c’est plus que justifié…

Je vais payer au bar et la retrouve, Guizmo en laisse à ses pieds, et nous nous dirigeons en silence vers le bord de mer où nous nous installons sur un petit muret qui donne sur la plage. C’est elle qui attaque la première car je ne sais comment réagir quand je suis à ses côtés. Entre l’envie de la tuer et l’envie de lui faire l’amour encore. C’est fou cette ambiguïté.

— J’étais sincère, tu sais ? Sur mes sentiments. Et j’essayais de te protéger autant que j’essayais de me sauvegarder de tout ça… Il y a un truc particulier entre nous, quelque chose que je n’ai jamais ressenti, et ça m’a fait peur autant que ça m’attirait. Je… Je n’étais jamais tombée amoureuse d’un homme, alors… je n’ai jamais été douée pour autre chose que donner et prendre du plaisir.

— Un truc particulier ? Tu veux dire un secret à me faire dévoiler pour mettre en danger encore plus de personnes ?

— Théo, je t’assure que quand on a commencé à se fréquenter, je n’avais aucune idée que tu étais ma cible. Je te jure que quand mon patron m’a dit que c’était toi, j’ai… Bon sang, j’ai voulu tout t’avouer un millier de fois, mais cette mission, c’était ma porte de sortie…

— Ta porte de sortie ? demandé-je à la fois curieux et touché parce qu’elle me dit.

— Je n’ai pas choisi de faire partie de la Mafia, tu sais. Je n’ai juste pas eu le choix. Des dettes de mon père à éponger… Et avoir le nom de ton indic, c’était censé être ma dernière mission. Je n’étais pas là pour te liquider ou le tuer lui, je devais juste découvrir son nom, pour enfin sortir de l’organisation et vivre une vie normale…

— Et tu croyais vraiment que ça s’arrêterait là ?

— Quand je suis arrivée ici, tout ce à quoi je pensais, c’était en finir avec tout ça. Réussir ma mission et enfin être libre. C’est… Je ne suis pas une bonne personne, tu sais, je m’en fichais de savoir ce qui pourrait arriver à ma cible ou à son informateur, tant que j’étais enfin tranquille. C’est plus facile de se mettre dans cet état d’esprit-là, ça évite la culpabilité, les remords…

— N’empêche que j’ai toujours l’impression que je n’ai été là que pour que tu m’utilises. Tu peux comprendre ça, je pense.

— Oui, je comprends. Et tu as sans doute raison. Si j’ai cherché à passer un maximum de temps chez toi, c’était pour la mission. Mais… le temps que je passais avec toi, c’était pour moi, pour toi, pour ce que nous vivions. Je te jure que je n’ai jamais simulé un seul geste tendre, que je ne me suis jamais forcée à quoi que ce soit, que tout ça, nous, c’était sincère pour moi. Parce qu’elle est bien là, la réalité, je suis tombée amoureuse de toi et je peux t’assurer que je ne m’y attendais pas du tout, cible ou pas. C’était juste… Toi.

C’est beau ce qu’elle me dit et j’avoue que l’entendre me dire tout ça fait fondre la couche de glace que j’avais essayé de bâtir entre nous. Je passe mon bras au-dessus de ses épaules et elle se love contre moi, en silence. Nous regardons les vagues qui vont et viennent sans échanger un mot pendant de longues minutes avant que je ne reprenne la parole.

— On fait quoi, alors, maintenant ?

— En voilà une bonne question, sourit-elle tristement. Pour la suite, en ce qui concerne ta situation, on se planque et on fait en sorte que personne ne te trouve. Je te l’ai dit, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que l’organisation ne te trouve pas.

— Se planquer encore et toujours ? Quelle vie… Tu n’as pas une meilleure idée ? demandé-je en souriant.

— Eh bien… Il y a se planquer dans les hôtels et changer de lieu tous les jours, et trouver un coin perdu qui nous permettra de nous poser tranquillement… Je cherche la seconde option, au moins. Il faut attendre le procès. Tu as prévenu ton informateur, au fait ?

— Non, il fait le mort. En espérant qu’il ne le soit pas déjà…

C’est comme si parler de mort avait remis en place toutes les barrières qui avaient commencé à s’effriter. Aucun de nous deux ne trouve un truc à dire suite à ce constat qui nous a ramenés à la réalité. Et c’est dans le plus profond des silences que nous retournons à notre hôtel. Je ne suis pas convaincu qu’il soit possible de renouer le fil de notre relation, mais ce n’est pas si grave que ça pour l’instant. C’est fou, mais sa seule présence me redonne espoir et envie de vivre. C’est déjà une bonne chose, non ?

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