46. Au secours du benêt

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Lyana

Me voilà enfermée dans une petite maison mal entretenue et très sombre. Le style chaumière normande pourrait être sympa, je n’en doute pas, mais pour le coup, elle n’est pas très rassurante, celle-ci. Franchement, on pourrait croire à un repère de serial killer ou une maison hantée de film d’horreur. Il y a tout un tas de gadgets électroniques et de matériel de surveillance, c’en est presque flippant. Et puis, je doute que le franco-russe qui me surveille et m’a ramenée ici soit très à cheval sur le ménage ou une quelconque forme de rangement. C’est clairement dégueulasse. Il y a des cadavres de bière partout, des cartons de pizzas, un sac poubelle à-même le sol qui ne sent pas la rose et l’évier est tout bonnement immonde.

Dimitri se dirige d’ailleurs directement vers le réfrigérateur et s’ouvre une bière en s’installant dans le vieux canapé qui grince. Je dépose mon sac et m’installe devant l’ordinateur pour regarder un peu les moyens mis en place pour surveiller Théo. Ou plutôt, pour nous surveiller, puisque je sais que Pavel ne me lâche pas d’une semelle, même loin de la Russie. Je constate qu’ils ont fait installer une caméra dans la rue, je ne sais trop comment, de telle sorte à ce qu’ils aient une vue sur l’avant de la maison et la cour. C’est fou les moyens qu’ils ont déployés et je me dis que Ruspharma ne doit pas lésiner sur les moyens pour garder mon voisin à l’œil et s’assurer de son silence. D’ailleurs, j’ai un petit moment de panique en voyant le cadrage de la caméra et me demande si j’ai bien fait gaffe à ne pas me changer devant la fenêtre, parce qu’il a dû bien se rincer l’œil, le Dimitri. D’un autre côté, soyons clairs, Pavel savait que je couchais avec mon voisin à peine avons nous débuté, donc je doute d’avoir eu beaucoup d’intimité...

Je ne peux m’empêcher de penser à Théo, enfermé dans mon placard, et une nouvelle vague de stress me gagne en voyant que le placard est pile à la vue depuis la fenêtre. J’espère qu’il ne va pas partir en vrille et faire n’importe quoi, que ce moment solitaire va lui permettre de se poser, de réfléchir à tout ça, aussi bien concernant la suite des événements que ce qui s’est passé entre nous. Je ne peux pas attendre de lui qu’il me pardonne, mais il m’est impossible de dire que tout ça ne me touche pas. Je n’arrive pas à croire que j’ai dit “je t’aime” pour la première fois à un homme à travers la porte d’un dressing, dans un moment de panique total et alors qu’il m’avait rejetée. C’est du grand n’importe quoi.

— Touche pas à tout, je te préviens.

— Tu as peur que je capte que tu as passé ton temps à te tripoter en me regardant dans ma chambre ? lui demandé-je en ouvrant les enregistrements vidéos.

Il va falloir que je me souvienne de ce que m’a appris Sacha, le geek qui a effacé mes traces, à ce sujet, parce que si Dimitri n’est pas allé fouiller chez moi pour trouver Théo, il y a moyen, via les rushs, qu’il apprenne que je l’ai planqué ici et sache que je suis passée du mauvais côté. Suis-je passée du mauvais côté, d’ailleurs ? Il semblerait, puisque j’ai décidé de trahir Pavel… un prêté pour un rendu, en fait. C’est lui qui m’a trahie le premier en voulant me rapatrier à ses côtés, mais il n’acceptera certainement pas que je ne sois pas à cent pour cent fidèle à sa cause.

— J’avais pour consigne de surveiller la cible… et toi. J’ai fait que mon boulot et il faut bien des avantages à rester devant un ordinateur toute la journée.

Bien sûr… Je vais éviter de regarder de vieilles vidéos dans les horaires où je peux être dans ma chambre, je risquerais d’avoir envie de lui couper les couilles, et plutôt me focaliser sur les dernières heures de surveillance.

— Et donc, là on attend tranquillement que le Boss te dise dans quel avion me coller, c’est ça ? Il va se passer quoi pour la cible ?

— Je suppose que quelqu’un va finir par le retrouver et qu’il sera éliminé, c’est tout. Et oui, on attend pour toi. Pavel a dit qu’il me donnerait des consignes. Quand il me dira quoi faire, on le fera. Facile.

Comme si j’allais me laisser faire. Je doute que le patron ait vraiment pris le temps d’apprendre à connaître Dimitri, sans quoi je ne serais pas sous sa surveillance.

— Je serais quand même bien mieux ici à vous donner un coup de main. Je le connais bien, Théo, je suis sûre que je pourrais le retrouver et qu’en plus, il viendrait jusqu’ici sans aucune résistance. Je l’ai dans la poche.

— Ben pourquoi il s’est barré alors ? Appelle-le pour qu’il revienne et on pourra enfin rentrer en Russie tous les deux ensemble.

— A mon avis, vu le raffut que tu as fait chez lui, il a dû t’entendre à l’autre bout du village et prendre ses jambes à son cou… Et, au fait, hors de question que je parte sans Guizmo, tu peux faire passer le message à ton tortionnaire de patron, je ne quitte pas le coin sans mon chien et il ne sort pas de chez le véto avant deux jours.

— Ben on fait quoi alors ? me demande-t-il, perdu.

Visiblement, il n’a pas l’habitude d’avoir à prendre des décisions et il me regarde un peu comme quand il est avec Pavel et qu’il attend des ordres.

— Je doute qu’il apprécie qu’on doive rester pour le chien… Peut-être que tu devrais lui suggérer de me garder à l’œil jusqu’à ce qu’on récupère la cible ? T’auras qu’à lui dire que je suis un atout pour récupérer Théo. Je vais essayer de l’appeler, d’ailleurs, tu as raison. Bien vu, Dimitri, le flatté-je en lui faisant un clin d’œil au loin.

— Ouais, merci, je sais que c’est grâce à moi que tout se passe aussi bien ici.

— C’est toi qui vas gérer les gars qui arrivent ? Y en a combien ? Pavel a l’air de compter sur toi, c’est cool.

Qui ne tente rien n’a rien, alors quitte à devoir passer du temps avec lui en attendant qu’il ronfle comme un camion, autant en profiter pour essayer de récupérer des informations sur la suite des événements. La flatterie, ça marche souvent avec les gros bras. Et ça me permet d’effacer en douce les vidéos de la caméra du jour. Bingo. Merci Sacha !

— Non, moi je dois juste les accueillir. Ils seront trois. Il y a Anton, Viktor et Alexi. Et ils vont m’emmener avec eux, en plus.

— Ok. Bon, je vais appeler Pavel pour essayer de m’incruster. Je déteste ne faire que la moitié des missions, ça m’énerve.

Je remets tout comme il faut discrètement sur l’ordinateur et me lève pour aller squatter la chambre qui pue clairement le fennec. Une horreur qui me donne envie de vomir, si bien que j’ouvre la fenêtre et n’ose même pas m’asseoir sur le lit. Pavel ne met pas longtemps à répondre et j’ai à peine entendu sa voix que j’ai déjà envie de raccrocher.

— Tu l’as chopé dans un asile, ton gars ? Il est plus con que la moyenne, sérieux.

— Eh, la Môme, il est peut-être un peu limité, mais je suis content de voir qu’il a quand même réussi à t’amener chez lui. Prête à venir me retrouver ? Ton voisin a quitté la ville, on dirait, reprend-il avant que je ne réponde. Il est parti sur une petite route et a disparu des radars.Tu es au courant ?

J’ai l’impression que son ton est un peu suspicieux. Il va falloir que je le rassure sur mes intentions et sur mes actes.

— Oui, je suis au courant, mais je n’ai rien vu venir. En même temps, avec ton bourru de service, il a dû griller à deux kilomètres à la ronde qu’on était en train de retourner sa maison, sérieux. Un amateur, ton gars. T’aurais mieux fait de me demander de faire le boulot.

— Dimitri est un excellent nettoyeur. Rien ne lui résiste d’habitude. Je ne suis pas sûr que ce soit lui qui se soit fait griller. Je pense plutôt à la surveillance des flics. Des fois, ils sont surprenants. Et toi, tu as fini ton job, tu sais ? Je me suis engagé à ce que tu n’aies plus rien à voir avec l’organisation, une fois ta mission finie. Et puis, j’ai hâte que tu rentres, ma Belle.

— N’organise rien avant deux jours, alors. J’ai déposé mon chien chez le vétérinaire et ton Dimitri pourra faire tout ce qu’il veut, je ne partirai pas sans lui. Alors, quitte à devoir patienter, autant que j’aide les mecs, parce que je déteste ne rien faire de ma peau.

— Les mecs ? Dimitri n’a pas su tenir sa langue, le con, s’énerve Pavel au téléphone. Attends un peu qu’il rentre celui-là, il va passer un sale quart d’heure, je te promets. Et c’est quoi cette histoire de chien ? Tu pouvais pas le faire soigner à un autre moment ? Tu fais chier, la Môme.

— Parce que tu crois que j’ai eu le choix ? bougonné-je. Je ne lui ai pas dit de se jeter sur je ne sais quelle merde pour qu’il s’empoisonne, réfléchis un peu, bon dieu. Et puis, tu sais que ce chien, c’est… Enfin, je ne fais rien sans lui, j’y tiens trop, je ne veux pas partir sans lui.

— Et ça ne te dérange pas de donner un coup de main à Dimitri pour retrouver Théo ? Il en aurait besoin, je crois. Enfin, tu as vu de quoi il était capable, hein ?

— Je confirme qu’il en a besoin, soupiré-je théâtralement. Aux dernières nouvelles, Théo me fait encore confiance, donc j’ai plus de chance de le trouver. Je viens de passer deux mois avec lui, c’est pas rien. Ce sera… mon dernier rodéo, on va dire. C’est bon pour toi, alors ?

— Fonce, la Môme. Tu as quarante-huit heures pour retrouver la Cible et l’éliminer. Dimitri te secondera. Il n’a pas inventé le fil à couper le beurre, mais il est fidèle et efficace. Tu peux compter sur lui.

Un sourire se dessine sur mes lèvres et je prends le temps de me calmer avant de lui répondre pour ne pas me faire griller. Il me connaît bien, Pavel…

— Ok Boss. Je gère. Je te laisse lui envoyer un message, il serait capable de ne pas comprendre si je lui disais moi-même, il est trop occupé à lorgner mes seins pour vraiment m’écouter.

— Il te mate ? Mais c’est quoi ce rigolo ? Il ne sait pas que tu es à moi ? Je vais lui envoyer un message tout de suite, oui. Je vais lui dire de faire tout ce que tu lui demandes et d’arrêter de jouer au voyeur, sinon il repartira de France les pieds devant.

Je grimace en l’écoutant parler de moi ainsi et me jure de tout faire pour ne jamais retourner en Russie. Je préfère encore y passer que d’être sa propriété. Je ne veux plus de tout ça.

— Je pense qu’il a dû bien kiffer la caméra installée devant la maison, ouais. J’aurais aimé être au courant, j’aurais foutu ma piaule de l’autre côté pour éviter qu’il joue le voyeur. A très vite, Pavel. Et sois sage un peu, ça te changera, souris-je.

— Je te promets que quand tu seras avec moi, plus personne ne pourra te mater comme ça. A part moi, bien sûr ! A très vite la Môme.

Je raccroche et soupire en me demandant jusqu’où ce fou serait capable d’aller pour me retrouver. Je sens que tout ça va être bien compliqué à gérer, mais le plus important, pour le moment, c’est de retrouver Théo et de le garder en sécurité. Et pour ça, je récupère ma seconde carte SIM et j’envoie un message à l’une des seules personnes en qui j’ai confiance ici. J’espère que mon voisin sera au rendez-vous…

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