47. Sous l'œil de Guizmo

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Théo

— T’inquiète pas, Guizmo, on est bientôt arrivés. Et si tout va bien, c’est là où on retrouvera ta maîtresse. Tu sais, le canon qui vit avec toi ? Oui, la merveille qui fait tous ces bruits bizarres quand elle est dans mon lit. Mais c’est pas grave, hein ? Cela veut juste dire qu’elle aime bien ce que je lui fais. Et ça m’excite de la voir réagir comme ça. Et dire qu’en fait, elle n’est pas du tout graphiste, même si elle a l’air de maîtriser le job. C’est une espionne, une mafieuse, une méchante. Tu sais qu’elle m’a vendu à ses patrons ? Je ne sais pas pourquoi elle a fait ça… J’avais confiance en elle, moi, mais là, elle a merdé. Tu crois qu’elle a couché avec moi juste pour sa mission ? Elle a quand même dit qu’elle m’aimait, ce n’est pas rien. Et elle m’a sauvé la vie. Peut-être que la culpabilité la rongeait trop ?

Le chien me regarde comme s’il comprenait toutes les bêtises que je suis en train de lui sortir. J’ai l’impression qu’il compatit avec ce que je vis et ses grands yeux un peu tristes me scrutent. Cela me fait un bien fou d’avoir quelqu’un à qui parler, même si ce n’est que ce Husky muet. Et entre deux confessions, j’écoute France Info pour voir s’ils annoncent un quelconque événement mais rien ne transparaît. Ma vie est en train d’être bouleversée pendant que le monde continue de tourner. La vie des uns n’est pas influencée par le malheur des autres.

— Merci pour ton écoute, l’ami. Tu es vraiment trop cool de ne pas me critiquer pour mes comportements et attitudes. Franchement, je comprends pourquoi Lyana t’a accueilli dans sa vie. Tu es cool comme chien. Dire que j’avais peur de toi au début. N’importe quoi, hein ?

Je le caresse alors qu’il se redresse sur le siège avant à côté de moi et me lèche la main. J’avoue que je ne trouve pas ça très agréable d’habitude, mais là, je laisse passer et lui souris. Je continue mon chemin et suis les directions indiquées sur le plan laissé par Lyana. Je passe par de nombreuses petites routes, ce qui rallonge le parcours, mais le rend plus sûr, certainement, non ?

Quand j’arrive à Honfleur, je me demande où je dois aller exactement. Le plan n’est pas très clair. J’ai l’impression que je dois faire tout le parcours touristique pour arriver au port, mais je suis fatigué et tous ces détours commencent à me taper sur les nerfs. Je me décide à faire court et file me garer au parking central, déserté à cette heure tardive. Tout ce qui est indiqué, c’est que je dois attendre là jusqu’à ce qu’on me contacte. Mais qui va venir à cette heure de la nuit ? Je devrais peut-être essayer de me trouver un hôtel pas loin d’ici et attendre demain… Avec tout l’argent que Lyana m’a laissé, je peux certainement me le permettre, mais est-ce sécurisé ? Je ne crois pas. Je pense que je vais passer la nuit dans ma voiture, comme un sans abri. En espérant que ça ne dure pas. Avant ça, je vais sortir un peu Guizmo. Ça va, il n’est pas encore minuit, il peut encore manger et se faire mouiller, je ne risque pas la catastrophe.

Je lui mets sa laisse et nous allons nous promener autour du petit bassin qui fait la renommée de la ville. A cette heure-ci, les magasins et restaurants sont fermés et je me dis que ça ne coûte rien de jouer au touriste. Et puis, vu le peu de monde présent, si on me suit, je le saurai tout de suite en faisant le tour. Je m’arrête un instant devant le manège qui est à l’entrée du bassin, juste après un petit pont. J’ai l’impression d’être dans un roman de Stephen King. Je crois qu’il a une phobie des parcs d’attraction et qu’à cause de lui, je commence à la partager. Cela fait un peu sinistre, ce manège éteint et ces silhouettes d’animaux que l’on peut encore distinguer malgré l’obscurité. Bref, je ne m’attarde pas et, de toute façon, le Husky n’apprécie pas mes pauses et veut se dégourdir les jambes. Je cède donc à la pression exercée sur la laisse et nous achevons le tour sans que je ne remarque qui que ce soit d’étrange. Nous retournons à la voiture où je baisse mon siège pour essayer de passer une nuit la plus confortable possible. Quelle vie. Et dire qu’avant, jamais je n’aurais pu même imaginer qu’un tel manque de confort était possible !

Le réveil quelques heures après est beaucoup moins agréable. Quelqu’un frappe violemment à ma fenêtre et Guizmo se met à aboyer férocement. Moi, j’ai tellement peur que j’ai l’impression de faire un infarctus alors que je me redresse et m’apprête à me faire assassiner sur ce parking loin de chez moi. Mais quand je distingue la forme de la personne qui est en train de frapper au carreau, j’ai l’impression d’halluciner complètement. Je calme Guizmo et ouvre ma portière sans toutefois sortir de la voiture.

— Tu fais quoi, ici, en plein milieu de la nuit ?

— Salut, beau gosse ! Je suis ta porte de sortie, glousse Suzie. J’ai vraiment l’impression d’être James Bond girl, là. Tu es arrivé tôt, Lyana m’a envoyé un message y a quelques heures à peine. Heureusement que je n’étais pas occupée.

— C’est moi, James Bond ? demandé-je, toujours incapable de réaliser que c’est la soeur adoptive de Lyana qui est en face de moi. J’ai plutôt l’impression d’être le Professeur Tournesol, là. Complètement perdu, si tu vois ce que je veux dire. C’est quoi, la prochaine étape ? Tu as des infos à me communiquer ?

— La prochaine étape ? Pour que tu passes de Tournesol à 007, je te propose une nuit d’hôtel tous les deux et des gémissements à n’en plus finir, rit-elle. Bon, techniquement, on est trois, mais Lyana a trouvé un hôtel qui accepte les chiens. Allez, viens, je t’emmène. Enfin, suis-moi en voiture, quoi, y en n’a pas pour longtemps.

— Des gémissements, hein ? Je crois que je ne suis pas dans le mood, mais bon, je te suis.

— Oh, mon bouchon, s’il n’y a que ça, je pourrais faire en sorte que tu sois dans le mood une fois qu’on sera dans la chambre ! Allez, à tout de suite, continue-t-elle avant de déposer un baiser sur ma joue et de rejoindre une voiture garée plus loin.

Je me demande à quoi Lyana pensait en demandant à la blonde qui vient de m’accoster ainsi de venir à mon aide. Je devrais peut-être rappeler Henri, finalement. Parce qu’autant avoir une nouvelle explication avec Lyana, ça m’intéresse, autant passer la nuit avec Suzie, ça risque de m’énerver. Quoique… Un peu de sexe avec une jolie femme, ça peut aider à oublier tous ses soucis, non ?

— Mais non, Guizmo, ne me regarde pas comme ça. J’ai pas envie de coucher avec elle. C’est juste une façon de parler. Enfin de penser. Et de dédramatiser les choses. Parce que franchement, je ne sais pas où on va, je ne sais pas si je vais survivre aux prochains événements et je ne sais même pas ce que vient faire Suzie ici. Bref, tu vois, tu peux être rassuré, je suis encore loin du mood qui me fera tomber dans les bras de notre guide du soir.

Ce chien est vraiment étrange car, suite à ma tirade, il se recouche comme s’il était rassuré. Soit je deviens fou et il comprend vraiment tout, soit je me fais des films dans ma tête. De toute façon, quitte à avoir l’impression de vivre dans un mauvais polar, autant imaginer des scènes plus agréables.

Nous arrivons rapidement à une petite place où je me gare à côté de la voiture de Suzie qui descend tout sourire de son véhicule.

— On va vraiment partager une chambre ? demandé-je en sortant avec Guizmo.

— Mais non, pouffe-t-elle. J’ai pris deux chambres, pas de panique, j’ai bien compris que ton cœur était pris !

Je ne sais pas quoi répondre à ça. C’est clair que je ne me vois pas coucher avec une autre femme que Lyana pour l’instant, mais suis-je encore dans une quelconque relation avec elle ? J’ai à la fois envie de tout reprendre comme avant et je n’ai plus envie de l’approcher car je pense toujours au fait qu’elle m’ait vendu et mis ma vie en danger avant de tenter de la sauver. C’est complexe, tout ça, mais s’il y a une chose que je ne remets pas en question, c’est que coucher avec sa sœur n’arrangerait rien. Je la suis à la réception de l’hôtel où elle récupère les deux clés pendant que je reste un peu en retrait, et nous montons dans l'ascenseur pour rejoindre nos chambres. Elle s’amuse du fait que je reste en retrait et maintient une distance de sécurité plus que respectable entre nous.

— Hé, respire ! Je te promets que je n’ai jamais mangé un homme contre sa volonté, mais t’aurais peut-être besoin d’un massage ou d’une pipe, histoire de te détendre un peu, non ?

— Ecoute, je n’ai aucune idée sur ce que tu sais de ce qui m’arrive, mais franchement, si je peux éviter de nouvelles emmerdes, je vais le faire. Et ça n’a rien contre toi, je t’assure. Dans d’autres circonstances, je n’aurais pas dit non à un petit soixante-neuf, mais là, ce n’est pas le moment.

— OK, OK, je plaisante, Théo, sourit-elle. De toute façon, Lyana me tuerait si je touchais à son petit chéri. Je n’ai pas envie d’avoir des ennuis, moi non plus.

— Son petit chéri ? Mais qu’est-ce qu’elle t’a raconté ? J’ai besoin de savoir ce qu’elle t’a dit, insisté-je en la suivant alors qu’elle ouvre la porte de sa chambre.

— Ce qu’elle m’a dit ? A ton sujet ? Ou sur ce que je fous là ?

J’entre à sa suite et elle se défait de sa veste, révélant un petit chemisier sexy qu’elle s’amuse à présenter sous mon nez alors que Guizmo lui aboie dessus.

— Tu vois, mon garde du corps n’approuve pas tes méthodes, ris-je en m’asseyant sur son lit. Je veux tout savoir, Suzie. Ce qu’elle t’a dit sur moi, ce que tu fous là. Je suis perdu, moi.

— Je n’ai pas grand-chose à te raconter, Théo, je suis désolée. Lyana m’a juste dit qu’elle était dans la merde et qu’elle était revenue à cause de son père, qu’elle avait besoin d’un coup de main… Et à ton sujet… je ne crois pas que ce soit à moi de te dire quoi que ce soit, non ?

— Mais j’ai besoin de savoir. Je suis quoi pour elle ? Juste un plan cul qu’elle utilise ? Plus que ça ? Ce matin, je pensais tout savoir, mais là, je ne sais plus rien. Et me voilà à me planquer à nouveau dans un hôtel. Tu dois me parler, Suzie. Si tu ne le fais pas, je vais devenir fou.

— Tu sais, Lyana et moi on n’est pas du genre à nous poser avec un mec. Enfin… pour ce que je sais de sa vie et ce qu’elle m’a dit quand elle est revenue. Elle est partie pendant plus de seize ans, tu te rends compte ? Je ne sais pas du tout ce qu’elle a fait pendant ce temps, et… ce n’est plus l’ado avec qui j’ai grandi, soupire-t-elle en venant s’asseoir à côté de moi. Mais elle a une façon de parler de toi, je te jure… J’ai bien vu qu’elle n’était pas bien, ces derniers temps, mais elle n’a jamais rien voulu me dire.

— Et là, pourquoi tu es venue alors ? Elle t’a raconté quoi ?

— Pourquoi je suis venue ? Parce que c’est ma sœur ! Peu importe les années, si elle appelle, je rapplique. Pour ce qui est de ce qu’elle m’a dit, elle m’a simplement expliqué qu’elle traînait avec de mauvaises personnes qui cherchaient à te faire du mal et qu’elle voulait avoir une porte de sortie pour qu’ils ne te tombent pas dessus. Alors, je suis là. Et toi aussi. Son beau voisin, celui qui lui fait croire qu’un avenir à deux est vraiment possible. Elle est devenue nunuche à cause de toi, ricane-t-elle. Une vraie romantique !

Je ne réponds pas et me demande si je suis au milieu d’une mise en scène vraiment très poussée, très réfléchie, avec des acteurs dont la qualité n’est plus à mettre en doute, ou bien si ce n’est que la réalité qui me joue des tours. J’ai envie de répondre à ses propos, je sens une intense fatigue me saisir. Je n’arrive plus à garder les yeux ouverts et me sens partir alors que la voix de Suzie disparaît peu à peu de ma conscience. Cette journée se termine enfin et je m’endors là où je me suis assis, sans plus me préoccuper ni de Suzie, ni des Russes, ni de quoi que ce soit. La nuit porte conseil, on dit, mais là, c’est le trou noir qui me saisit. Espérons que je sois vraiment en sécurité…

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