44. Une question de confiance

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Lyana

Je dévale les escaliers et vais ouvrir la porte à Guizmo qui continue à aboyer. J’ai un peu l’impression qu’il est furieux contre moi, c’est la blague du jour. Putain de journée de dingue. Si j’avais su ce matin que tout partirait en vrille comme ça, j’aurais emmené Théo à la mer. D’ailleurs, j’aurais dû passer ce coup de fil à Pavel comme ça, après m’être assurée que nous n’étions pas suivis, loin d’ici. Pourquoi est-ce que je n’ai pas anticipé sa trahison ? Pourquoi est-ce que je n’ai pas eu les idées claires ? C’est trop la merde. Sans parler de Théo qui ne me pardonnera jamais. J’aurais aimé pouvoir lui dire les choses autrement, mais dans la précipitation, avec Dimitri qui peut débarquer n’importe quand, c’était compliqué.

Je jette un nouveau coup d’œil à la fenêtre de la cuisine avant de monter avec Guizmo qui daigne me suivre sans vraiment d’empressement. Ce chien a changé son fusil d’épaule, c’est vraiment la poisse. Ou à moitié. Il sera fidèle à Théo, c’est déjà ça.

— Ok, mon beau… Il va falloir que tu sois un vrai chien de garde, là, soupiré-je en m’accroupissant devant lui et en lui gratouillant la tête. Je veux que tu sois aussi protecteur que tu l’as été avec moi quand j’avais besoin de toi.

Je me demande toujours s’il me comprend vraiment quand je lui parle. J’ai l’impression d’être ridicule, mais il me lèche la joue comme s’il validait ma demande. En tout cas, il doit sentir que je ne suis pas vraiment sereine quant à la suite des événements, parce qu’il finit par se glisser entre mes jambes pour me faire un câlin.

— Si tu pouvais en profiter pour rassurer Théo et lui dire que je ne veux que le protéger, ça m’arrangerait…

Je dépose un bisou sur sa truffe et file dans ma chambre récupérer l’argent liquide que je laisse sous mon lit et de faux papiers. Oui, il faut croire que j’aime être toujours prête, au cas où. J’aurais dû davantage anticiper les choses… Si j’avais eu une semaine de plus, j’aurais pu avoir des papiers pour Théo également, mais il faudra se contenter du fric et du peu de possibilités de fuir que je nous ai trouvées.

Je souffle un coup avant de taper à la porte du placard.

— Théo… Je vais ouvrir la porte pour que Guizmo puisse entrer avec toi… Ne tente rien, s’il te plaît, je n’ai pas envie de devoir te frapper.

Je ne lui laisse pas le temps de se préparer davantage et ouvre l’une des portes. Théo est assis au sol et ne bouge pas d’un poil, comme s’il était en état de choc. Plutôt normal, j’imagine… Le pauvre, je m’en veux tellement de lui faire subir tout ça.

— Guizmo…

Ma boule de poil aboie dans ma direction avant de s’engouffrer dans l’étroit lieu et va s’asseoir entre les jambes de mon voisin pendant que je dépose le sac d’argent à l’intérieur. Guizmo a au moins le mérite de le ramener à la réalité. Théo sursaute et lève ses yeux rougis dans ma direction.

— Est-ce que ça va ? lui demandé-je presque timidement. Je veux dire… J’imagine que non, évidemment, mais… Merde, je suis désolée pour tout ça.

— Non, ça ne va pas. Tu comptes me faire rester là encore longtemps ? Et en plus, tu veux que Guizmo vienne partager ce petit espace avec moi ? Mais pourquoi ? Tu fais quoi, là ? J’en ai marre de toutes tes petites manigances !

— Il est là pour te protéger si Dimitri me colle une balle parce que tu as disparu. Je te conseille de rester silencieux quand tu entendras à travers le mur qu’il y a du monde chez toi, il devrait retourner les lieux, tu vois ? Et s’il fait de même ici, Guizmo lui sautera dessus et tu pourras t’enfuir. Il y a de l’argent dans ce sac, et souviens-toi de la voiture sur le parking de l’école. Les clés sont dedans aussi. Il faut que tu comprennes que la mafia peut te retrouver n’importe où, Théo. Ils ont des gars infiltrés dans la police, dans le village ici, et… Bref, je sais que c’est difficile, mais il faut que tu partes. Il y a un plan dans le sac. Il faudra que tu fasses attention à ne pas être suivi.

— Si vraiment c’est si dangereux, pourquoi tu restes ? me demande-t-il, l’air toujours aussi perdu, visiblement sous le choc des événements qui se déroulent autour de lui.

— Parce que peu importe ce que tu penses, ça fait des jours et des jours que je réfléchis à comment te sortir de là et fuir avec toi. Je veux juste te mettre en sécurité. Je…

J’aimerais le toucher, essayer de le rassurer et lui faire comprendre combien je tiens à lui, mais vu sa réaction lorsque je lui ai tendu la main tout à l’heure, je me dis que l’idée est plutôt mauvaise.

Je n’ai pas le temps de terminer ma phrase qu’un bruit à l’extérieur me remet totalement sur le qui-vive. Je me précipite à la fenêtre et constate que Dimitri a dû recevoir les ordres de Pavel.

— Dimitri arrive, il faut que tu restes silencieux, Théo. Si… Si toi et moi, ça a compté pour toi, je t’en prie, fais ce que je te dis. Ne le fais pas pour moi mais pour ta survie. Je te promets que je ferai tout le nécessaire pour que tu sortes de tout ça en vie. Je te le répète, tu es quelqu’un de bien, Théo, et… mon premier amour, sache-le.

— Je n’arrive toujours pas à croire à tout ça, Lyana. Je… Si je m’en sors, il faudra qu’on parle, que je comprenne pourquoi tu m’as ainsi trahi. Là, je suis complètement perdu. J’ai envie de te croire, mais tu travailles pour eux. Et c’est toi qui as déclenché tout ça, je pense…

— Je te promets que je te raconterai tout et que je répondrai à toutes tes questions. Je ne sais pas si j’ai déclenché tout ça, mais j’y ai participé, j’en ai conscience… A tout à l’heure, j’espère. Guizmo, tu sais ce que tu as à faire, mon beau.

Je referme la porte et ne tarde pas à redescendre alors que j’entends déjà Dimitri s’énerver à côté. Ça pue, tout ça, parce que je n’ai absolument pas pensé à ce que j’allais lui dire. Je merde sur absolument tout aujourd’hui, et c’est sans aucune certitude que je le rejoins chez Théo.

— Mais qu’est-ce que tu fous ? lui demandé-je alors qu’il descend les escaliers comme un fou. La discrétion et toi, ça fait dix, c’est dingue !

— On s’en fout d’être discret. On m’a dit de tout détruire et tout nettoyer. Et le mec, il est où ? On l’a vu revenir avec son pote, le flic. J’ai rien trouvé, fait chier, Pavel va me tuer si je ne l’élimine pas !

— Il est parti au parc tout à l’heure, vous ne surveillez pas les portes à l’arrière ou quoi ? Vraiment des branquignoles, c’est pas possible, marmonné-je. Mais s’il est proche de la maison, je ne doute pas qu’il va se barrer en entendant tout ce raffut !

— N’importe quoi, c’est pas possible, on a des drônes partout, on l’aurait vu. Il y a une cave ici ? Il faut que je le retrouve sinon le Boss va m’écharper. Aide-moi plutôt que de faire ta mijorée ! Bordel, on dirait pas que tu es une des meilleures agentes de Pavel. Il est où ton salopard de voisin ?

— Je t’ai dit qu’il est parti se balader au parc, t’es sourd ou t’es con ? Vous avez dû le manquer à cause de tous ces arbres. De vrais amateurs, c’est pas possible. Après toi…

— T’as pas un chien, toi ? Il peut pas nous aider à le trouver ? On lui fait renifler un truc et hop, c’est parti. Putain, le parc. Comment j’ai fait à manquer ça ?

— Il est chez le véto. Vous êtes vraiment des amateurs, c’est dingue ! Je l’ai emmené cet après-midi, il a bouffé une connerie.

Je sors sur la terrasse à sa suite et l’observe ouvrir la vieille porte de bois qui donne sur le parc sans aucune discrétion. Je ne sais pas où Pavel l’a chopé, celui-là, mais il mériterait une formation. Il sort comme un gros bourrin et se plante au beau milieu de l’étendue d’herbe pour observer ce qui se passe. Je sens qu’il est bien énervé, et vu sa carrure, je sais que j’aurais dû mal à avoir le dessus s’il me cherche des noises.

— Bon ben il a dû retourner voir le flic, il n’a pas l’air d’être ici, lui dis-je en me plantant à ses côtés, l’air blasé.

— Retourner voir le flic ? Mais pourquoi ? Il était rentré à la maison, non ? Il n’y a pas un autre tournoi quand même ? Je fais quoi moi, maintenant ?

Eh bien, on peut dire qu’il y a des muscles, ça, c’est certain, mais niveau cerveau, il est pas bien doté, le gros bras de Pavel.

— J’ai envie de te dire de te démerder, que ce n’est pas mon problème, franchement. Votre rôle c’était de ne pas le lâcher d’une semelle et tu n’es même pas capable de le suivre dans le village. Heureusement qu’il n’était pas planqué à Paris, lui dis-je alors qu’il sort son téléphone. Je doute que tu devrais faire ça. Il va t’incendier…

— Ouais, ben tant pis s’il m’incendie. C’est le boss, je dois le prévenir s’il y a un os. Et là, c’est la merde. Ouais Chef ? continue-t-il, le téléphone vissé à l’oreille. J’ai un souci, il n’est pas chez lui. J’ai perdu sa trace.

Mais quel con… jusqu’au bout. Comme s’il ne pouvait pas rameuter son pote pour aller fouiller les alentours. J’espère que Théo n’a pas décidé de sortir maintenant, parce que ça veut dire que la maison est sans doute encore surveillée. A moins que le compère de Dimitri soit en train de se branler dans la salle de bain. Vu l’énergumène qui a clairement la queue entre les pattes, là, ça ne m’étonnerait qu’à moitié.

Quand il raccroche, peu de temps après, il me rejoint alors que je fais mine de regarder du côté des jeux pour enfants.

— Alors, c’est quoi le plan ?

— Il m’a dit que je devais quitter le coin, parce que les flics n’allaient pas tarder à rappliquer. On va le coincer autrement, j’ai pas tout compris, mais il y a des hérissons ou des taupes dans la police, et avec ça, on saura où il est. Et toi, tu viens avec moi. Il veut que je te ramène et que je t’envoie à lui. Alors, c’est parti, ma jolie. Tu ramènes tes jolies fesses et on va retrouver la planque le temps qu’il organise ton retour.

C’est bien ce que je pensais. Monsieur le Boss est très pressé. Comment je vais me sortir de cette galère, moi. Fait chier.

— Je vais aller faire mon sac, je te rejoins à la planque alors, soupiré-je en prenant déjà le chemin de la maison.

— Il m’a dit de pas te quitter des yeux, je viens avec toi. Mais dépêche, il a dit aussi de partir vite.

— Bien, gentil toutou, grommelé-je en rentrant dans la cour de Théo après avoir fait mine d'observer s’il était rentré. Je vais pouvoir aller pisser tranquille, quand même ?

— Ouais, si tu laisses la porte ouverte. Je dois pas te quitter des yeux, il me l’a dit au moins cinq fois et moi, tu sais, j’obéis. C’est tout.

— Je ne suis pas magicienne, tu sais, je ne peux pas me téléporter des chiottes à une plage où je ne verrai pas ta tronche. J’en ai pour cinq minutes.

J’accélère le mouvement pour lui fermer la porte de mon appartement au nez et je verrouille rapidement.

— Hors de question que tu en profites pour me mater à poil, Pervers ! crié-je alors qu’il cogne contre le battant. Je me dépêche !

Je file au premier et récupère mon sac de fringues sur le lit en lorgnant sur la porte du placard. Guizmo ne fait pas un bruit et j’hésite à ouvrir pour donner des infos à Théo. Le Husky pourrait me sauter dessus, par habitude… Et Théo pourrait paniquer. Pourtant, je ne me vois pas le laisser là sans lui dire ce que j’ai appris, alors j’approche de la porte et parle tout bas.

— Théo, Guizmo, c’est moi. Je vais ouvrir une minute, ne faites pas de bruit, dis-je avant d’ouvrir doucement.

— On peut sortir ? demande Théo qui caresse mon chien pour le garder près de lui.

— Pas encore… Je vais devoir suivre Dimitri. Mon… patron veut que je rentre en Russie au plus vite. Ecoute, je sais que tu fais confiance aux flics, mais fais gaffe quand même, il compte te retrouver grâce à ses taupes. A ta place, j’attendrais que la nuit tombe et je sortirais le plus discrètement possible pour rejoindre la voiture et partir. En restant sous les arbres du parc, on ne devrait pas te repérer. Il faut… Je dois partir, je n’ai pas le choix, mais j’essaierai de te retrouver, si tu suis le plan qui se trouve dans le sac. Et pas pour te faire du mal, m’empressé-je d’ajouter.

— Ouais, j’espère que c’est pas un plan foireux. J’ai envoyé un message à Henri de toute façon. Il va rappliquer, je crois. Lui, ce n’est pas une taupe, j’ai confiance en lui.

— Comme tu le sens, mais ton cousin a des supérieurs à qui il doit rendre des comptes, tu sais. Fais attention à toi, beau voisin. Et… garde Guizmo près de toi, d’accord ? J’ai confiance en lui, et… il mérite qu’on le chouchoute, ce gros bébé.

— Ouais, les chiens, ça ne ment pas au moins. Et ça ne trahit pas. Je ferai attention à lui. Promis.

J’entends Dimitri cogner à la porte et ne m’attarde pas, mais avant de refermer, je me penche dans le placard et surprends Théo en l’embrassant rapidement.

— Pardon, mais ça me manque déjà, soupiré-je avant de déposer un bisou sur le crâne de Guizmo. A très vite, j’espère…

Je referme la porte, récupère mon sac et y glisse mon arme avant de redescendre. C’est trop la merde, tout ça, et je ne sais vraiment pas comment je vais réussir à m’échapper. Tout comme je ne sais pas si Théo va suivre mes consignes ou pas. Après tout, à sa place, je ne sais pas si je le ferais. Ce serait un peu dingue de suivre les conseils d’une mafieuse, non ? Comment avoir confiance en moi après tout ça ?

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