37. Eteindre les chandelles

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Théo

Je sors la pintade farcie du four et la dépose au milieu de la table que j’ai décorée cet après-midi. Je mets les petits plats dans les grands car j’ai décidé de sortir le grand jeu à Lyana ce soir. Je me dis qu’avec tout ce qu’il se passe, je risque de ne plus rester trop longtemps ici et qu’il ne faut pas que j’attende une occasion spéciale pour montrer à la jolie rousse à quel point elle compte pour moi. Je sifflote en montant les escaliers pour aller m’habiller et j’enfile une chemise rouge avec des motifs de flammes blanches et un pantalon noir que je trouve assez classe. Je passe à la salle de bain et taille ma barbe pour que pas un poil ne dépasse. Tout doit être parfait, et quand ma jolie voisine frappe à ma porte, je file lui ouvrir après m’être assuré que toutes les bougies sont toujours bien allumées. Je suis content de l’effet général que mes arrangements créent dans la pièce.

— Bonsoir Madame. Je me présente, Théo, pour vous servir, énoncé-je pompeusement en faisant une petite courbette.

— Heu… Bonsoir, rit-elle. On fait un jeu de rôle, ce soir ? Je n’étais pas au courant.

Je l’observe et suis content de voir qu’elle est surprise par tout ce que j’ai préparé. Elle n’a pas fait d’effort particulier dans son habillage mais elle n’en reste pas moins à croquer. Elle porte un petit short en jean qui moule tout ce qui peut l’être et une chemise blanche sans manches qu’elle a nouée sur son ventre.

— Un jeu de rôle ? Non, non, je voulais juste te faire plaisir, c’est tout. Je te laisse même le choix de la musique, ajouté-je en lui faisant signe d’entrer. Tu préfères la sélection “Le meilleur du romantique classique” ou “Ambiance love” qui est un peu plus rock et pop ?

— Plutôt pop rock… On fête quelque chose ? Qu’est-ce qui se passe ici ? me demande Lyana en observant la pièce une fois entrée.

— Rien si ce n’est le plaisir que j’ai d’être en ta compagnie, Jolie Femme.

Je lui souris et m’approche d’elle pour la prendre entre mes bras et lui offrir ce baiser auquel je pense depuis qu’elle est partie ce matin. Elle répond en nouant ses bras autour de mon cou et nous profitons tous les deux de ce petit moment câlin.

— Je suis étonnée que tu ne te sois pas encore lassé de moi, beau voisin.

— Comment se lasser alors que tu es si mignonne ? Tu veux un apéritif ? Sinon, nous pouvons passer à table, j’ai tout préparé ! Ça te plaît, j’espère ?

— Rassure-moi, tu ne comptes pas me demander en mariage, là ? Tu me fais peur, Théo, plaisante-t-elle.

— Tu n’aimes pas ? demandé-je, inquiet. Je voulais juste te faire une surprise, mais il n’y aura pas de demande en mariage par contre. Je suis désolé, c’est simplement une petite attention que j’avais envie de te porter. Je sais recevoir, moi, tu vois ?

— Oui, oui, je vois ça. C’est gentil… Mais tu n’étais pas obligé. Ce n’est pas quelque chose dont j’ai l’habitude, c’est sûr. Enfin, je ne parle pas de toi, je veux dire, par le passé...

— Eh bien, je suis content de t’offrir ce petit moment. J’espère que tu aimeras ce que j’ai cuisiné. Pintade Royale avec son médaillon de pommes de terre duchesse et ses haricots verts. Tu vas adorer, tu vas voir ! Surtout que j’ai fait des pâtisseries en dessert ! Un petit festin pour la femme qui m’apporte tant au quotidien !

— Eh bien… Merci. Je ne dis pas non à un verre pour commencer, s’il te plaît, souffle Lyana en s’asseyant à table sans quitter les bougies des yeux.

Je lui verse un verre de champagne et remplis le mien avant de trinquer avec elle. Je me dis qu’elle a l’air un peu mal à l’aise et que j’ai peut-être exagéré avec ma mise en scène.

— Ça va, Lyana ? Tu n’as pas l’air dans ton assiette…

— Oui, oui… Je ne m’attendais pas à ça, c’est tout, murmure-t-elle avant de s’enfiler les deux tiers de sa coupe d’une traite.

Je fais le service et nous commençons le repas en silence avant que le récit de mes aventures à la mairie ne la détende un peu. Au fur et à mesure que le temps passe, elle me donne l’impression de se sentir mieux et je suis rassuré quand arrive le moment du dessert de la voir sourire et répondre à mes petites blagues.

— Alors, en dessert, je te donne le choix entre une mousse au chocolat toute simple, ou un petit gâteau au yaourt de ma fabrication. Et si tu veux les deux, je ne pourrai que m’incliner car c’est ce que je vais faire de mon côté.

— Eh bien je vais faire de même, c’est une bonne alliance, je crois.

Je m’éclipse quelques instants et lui ramène une assiette que j’ai décorée avec des pépites de chocolat pour faire une forme de petit cœur autour du morceau de gâteau.

— Tu vas voir, un vrai régal ! Je te promets presque autant de plaisir que quand on est au lit !

— Tu m’as vraiment sorti le grand jeu… Tu te rends compte que tu fais une belle entorse au contrat, là ?

— Oui, peut-être que j’ai envie de le faire évoluer un peu, le contrat. A chaque fois que je suis avec toi, je suis tellement heureux que ce serait bête de ne pas essayer de passer plus de temps ensemble, tu ne crois pas ? Et goûte le chocolat avant de répondre, si tu as des doutes, ça va finir de te convaincre, je suis sûr !

— A moins que tu aies mis un litre de vodka, je doute d’être convaincue par un morceau de gâteau, Théo, soupire-t-elle en repoussant son assiette. Tu me fais quoi, là ? On était pourtant d’accord, non ?

— Oh, c’est juste une petite soirée où on peut se permettre de rêver un peu, ça ne fait pas de mal, si ?

— Rêver ? C’est pour les enfants, ça, Théo. Je t’ai dit qu’il ne fallait pas t’attendre à plus que ce que je t’ai proposé… Même si j’avais envie de plus, ce n’est pas possible. C’est comme ça, et ça ne sert à rien de se leurrer avec une petite soirée romantique, marmonne-t-elle en se levant.

— Tu fais quoi ? Tu t’en vas ? Je pensais que ça te ferait plaisir, toutes ces petites attentions. Tu n’aimes pas ?

Je n’aime pas entendre les trémolos qui s’insinuent dans ma voix alors que je me lève à mon tour et lui attrape la main pour essayer de la retenir.

— Tu te fais des illusions sur nous, Théo. Je ne veux pas te faire souffrir, et clairement, là, tu espères plus que ce que je peux te donner. Il vaut mieux que je parte, oui. Pour toi comme pour moi. Je suis désolée.

— Mais non, ne pars pas. Regarde, on éteint les bougies, on se met un petit film et on finit la soirée tranquille. Comme si de rien n’était.

Elle dégage sa main de la mienne alors que je commence à souffler pour éteindre les bougies qui se trouvent à proximité de moi. Je ne sais pas pourquoi je fais ça, c’est comme si c’était leur combustion, le problème, alors qu’en fait, elle est en train de me laisser là et de me ramener sur Terre. Je crois que j’ai réussi à lui faire peur et que je vais le regretter.

— Les bougies ? Tu crois vraiment que c’est le problème ? On en parle de ton petit cœur ? De tes œillades énamourées ? Je peux pas… Je refuse de te faire ça, il vaut mieux qu’on en reste là, tu ne crois pas ? Parce qu’on n’ira jamais plus loin que du cul, Théo, c’est juste impossible. Fuis tant que tu le peux encore… Plus on attendra, plus ce sera difficile.

— Mais je n’ai pas envie de fuir ! Je vais prendre juste ce que tu me donnes. Et je suis un grand garçon, tu sais. Je ne me fais pas d’illusion, je sais ce qui nous attend.

— Alors pourquoi tu t’acharnes ? Tu… Merde, Théo… Vraiment, stop pour ce soir. Je suis désolée, j’ai besoin d’air et d’espace là. Pardon, me dit-elle en sortant précipitamment de chez moi.

Je la regarde partir sans pouvoir la retenir. Sans même pouvoir bouger. La porte se referme derrière elle et je me demande ce qui vient de se passer. Moi, je voulais lui faire plaisir à la base. Je me suis dit qu’aucune femme ne dirait non à une petite soirée romantique, mais je crois que j’ai merdé quelque part. Peut-être que je n’aurais pas dû mettre les bougies, c’était un peu too much avec ce petit coeur dessiné ?

Quand enfin je réalise qu’elle ne reviendra pas, en tout cas, pas tout de suite, je me dirige vers la porte, ma première intention étant en effet d’aller m’excuser et d’aller la retrouver, mais je me stoppe dans le petit couloir qui sépare nos deux logements. Je ne peux pas aller m’humilier encore plus que je ne l’ai fait, si ? Même si j’ai envie qu’elle me pardonne et qu’elle revienne, elle a été claire dans ses propos et, si je réfléchis bien, je n’ai pas à m’excuser de quoi que ce soit. Je n’ai rien fait de mal, pas eu de comportement déplacé. C’est elle qui réagit mal à mes attentions, c’est tout.

Je retourne donc chez moi et arrête la musique. J’éteins toutes les bougies et débarrasse la table. Dire que je me faisais une telle joie de partager ce repas avec elle et elle a à peine grignoté ce si bon dessert que je lui ai préparé. Après avoir tout rangé, je m’installe à ma table et me sers une grosse part de gâteau. Je me dis que ça m’aidera à passer la soirée, mais je ne touche pas à la pâtisserie. Je me contente de rester assis, le regard perdu dans le vide, dans le silence assourdissant de mon appartement. Je tends l’oreille pour voir si je peux entendre du bruit venant de chez Lyana, mais rien. Même pas un aboiement de Guizmo. J’ai vraiment l’impression d’être seul au monde.

Quand je vais me coucher, je réalise encore plus qu’elle n’est pas là. Son absence est douloureuse, d’autant plus que ça faisait longtemps que je n’étais plus allé au lit sans elle. Est-ce que je devrais écouter ses conseils et la fuir ? Pas sûr que ce soit possible pour moi. Je crois que je suis déjà bien trop accro. Ce n’était peut-être pas malin de faire une telle démonstration ce soir, mais j’ai naïvement cru qu’elle allait trouver ça mignon et me sauter dans les bras. Mais non, j’ai fait une grossière erreur. Tout ce qui l’intéresse, c’est le sexe. Le contrat. Le reste n’existe que dans ma petite tête d’imbécile.

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