38. Un contrat aux oubliettes

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Lyana

Je referme brusquement la porte de chez moi et souffle un coup. Qu’est-ce qui vient de se passer, au juste ? C’était quoi, cet étalage de romantisme ? Et c’était quoi, ce putain de sentiment de joie que j’ai éprouvé ? Je déraille totalement.

Là, tout de suite, j’aimerais retrouver la Lyana de Russie. Celle qui s’en foutait de contrarier, de blesser, de manipuler. Celle qui, imperturbable, séduisait, couchait, kidnappait… Celle qui n’en avait rien à foutre qu’un homme qui l’avait vue nue finisse torturé ou pire. J’aimerais tout du moins retrouver celle qui arrivait à mettre de côté toute sa culpabilité pour assurer sa survie. Et avec Théo, je n’y arrive pas. Ou je n’y arrive plus, pour être exacte. Comment ai-je pu tomber amoureuse de ma cible ? Qu’est-ce qui m’a pris de me laisser attendrir, de m’épancher et de me ramollir ? Où est passé mon cœur de glace ?

Même Guizmo semble totalement paumé. Il est couché dans son panier près de la cheminée et si, d’ordinaire, il me ferait déjà la fête, il m’observe comme s’il se demandait lui-même ce que je fous. Je soupire en allant à la cuisine me servir un shot de vodka - cliché quand tu nous tiens - et grimace en sentant la chaleur de l’alcool me réchauffer de l’intérieur. J’ai merdé, et pas qu’un peu. Après ça, je doute que Théo parvienne à me pardonner et il aurait bien raison. Le mec a organisé un petit dîner romantique et tout était parfait. Il a bien vu que cela me déstabilisait et au lieu de m’en tenir rigueur, il m’a mise à l’aise et m’a laissé le temps de m’imprégner du moment. Il a sorti le grand jeu, comme beaucoup de filles adoreraient qu’on le leur sorte, et j’ai vrillé en voyant son cœur dessiné dans l’assiette à dessert. Avec des pépites de chocolat. Peut-on faire plus mignon ? Et moi, tout ce que j’ai fait, c’est foutre en l’air ce moment parce que tout ce à quoi j’ai été capable de penser en voyant ce cœur, c’est au sien se brisant quand il comprendra que je suis une mauvaise personne, et au mien quand Pavel me dira que la situation est réglée. Et s’il me demandait de l’achever moi-même ? J’en serais littéralement incapable...

Il faut absolument que je trouve une solution pour le sortir de là. Il me faut d’abord le nom de son complice. J’ai peut-être retrouvé mon cœur, mais tout ce qui m’importe, c’est que Théo reste en vie. L’autre… Tant pis ? J’ai presque envie de rire en voyant ma cruauté et mon manque d’empathie refaire surface l’espace d’un instant. Techniquement, ma mission à moi, c’est de récupérer le nom du complice de Théo. Ce qui veut dire que Pavel devra tenir sa promesse à partir du moment où il aura ce foutu nom. Pour le reste… ce n’est pas ce qu’il m’a demandé. Est-ce que je pourrais convaincre mon voisin de ne pas témoigner ? L’emmener loin d’ici jusqu’à ce que le procès soit passé ? Ou… On pourrait fuir tous les deux, tout simplement… ce qui ne serait sans doute pas l’idée du siècle. Si je lui dis qui je suis avant de partir, il ne viendra pas et se fera buter, si je lui dis une fois partis, il m’en voudra à mort et n’aura plus aucune confiance en moi.

Mais quel bordel monstre. J’aimerais avoir un confident, là. Une personne à qui je pourrais tout déballer et qui saurait me conseiller, mais mes seuls “amis”, si on peut les appeler ainsi, font partie de l’organisation et je n’ai pas vraiment la sensation de pouvoir me confier sans risques. Et Guizmo, qui me rejoint sur le canapé lorsque je m’y installe et pose sa jolie truffe sur ma cuisse, ne me sera pas d’une grande aide, même si le caresser me pose un peu et diminue mon envie de partir dans tous les sens. Mais je me trouve déjà bien assez folle comme ça sans en plus me mettre à parler à mon chien comme si c’était à Suzie que je me confiais, à cœur ouvert, devant un verre. Ou une bouteille, d’ailleurs. Il me faudrait au moins ça pour calmer mon cerveau en surchauffe.

Je ne sais pas combien de temps je reste assise sur mon canapé, toujours est-il que le seul point dont je suis sûre lorsque je m’y allonge, c’est sur le fait que je dois aller m’excuser auprès de Théo au plus tôt. Je ne sais pas encore comment je vais pouvoir m’extirper de cette situation, mais il faut que je lève le drapeau blanc et que je récupère ma bourde. Si je n’arrive pas à rattraper le coup, je ne pourrai jamais savoir si ce Mikhail est bien la source de mon voisin. Toujours est-il que pour ce soir, et vu l’alcool ingurgité, je vais me contenter du canapé et étends le petit plaid que Suzie m’a acheté sur ma boule de poils et moi. Lui semble bien loin de tous mes questionnements et j’en viens à envier la vie de chien. Tout serait tellement plus simple...

C’est après une nuit plutôt mouvementée et peu réparatrice que je file prendre une bonne douche qui me réveille un peu. J’enfile la petite robe blanche que Théo semble particulièrement apprécier, pour son décolleté j’imagine, et récupère ma veste en jean pour supporter la fraîcheur de ce petit matin normand alors que je vais à la boulangerie pour débuter ma mission "Reconquête". J’essaie d’être polie avec la petite serveuse et la mamie qui traîne à choisir entre une boule de pain et une baguette, mais je suis juste obsédée par l’heure qui tourne et le discours que je vais tenir à Théo. Et je ne sais toujours pas ce que je vais lui dire lorsque, pain et viennoiseries à la main, je toque à la porte de chez lui. Il met d’ailleurs un moment à venir m’ouvrir et je m’apprête à frapper à nouveau lorsque le battant s’ouvre sur lui, torse nu, chemise à la main, pantalon ouvert. Ce n’est assurément pas comme ça que je vais réussir à garder les idées claires…

— Salut beau voisin malmené par une idiote…

— Oh, Lyana. Tu es bien matinale, dis donc. Qu’est-ce qui t’amène ? me demande-t-il sans me faire signe d’entrer.

— Un drapeau blanc ? souris-je en levant le paquet de croissants et pains au chocolat. Et beaucoup de culpabilité, aussi…

— Je ne sais pas si c’est une bonne idée, ce n’est pas dans le contrat, ça, il me semble, maugrée-t-il. Mais bon, j’ai faim, alors entre. Je te fais un café ?

Il n’attend pas ma réponse pour se diriger vers sa cuisine en laissant sa porte ouverte pour que je puisse le suivre, ce que je fais sans tarder, de peur qu’il change d’avis. Il plante le décor, pour le coup, avec sa petite réflexion sur le contrat. Il n’a pas tort en soi, mais il faut bien marquer des points.

— Je veux bien un café, merci. Et effectivement, ce n’est pas dans le contrat, mais ce n’est pas non plus une grande nouveauté, le petit déjeuner ensemble. Et puis, il faut bien une entorse au contrat pour des excuses, je crois…

— Tu sais, les excuses, c’est moi qui devrais te les faire. Je pensais te faire une belle surprise, mais après réflexion, c’était un peu bête de faire tout ça pour quelqu’un qui a été claire et ne veut que du sexe. Je suis désolé de t’avoir mise mal à l’aise, me dit-il d’une voix douce, presque triste, en présentant un café devant moi.

Je soupire en récupérant la tasse et le remercie d’un signe de tête. A l’heure actuelle, la question n’est pas de savoir ce que je veux ou pas. Peu importe ce que je peux bien vouloir, j’ai une foutue mission qui me sort par les yeux à accomplir. Pourtant, si je veux être honnête avec moi-même, il y a aussi cette partie de moi qui veut se lover contre lui et tout simplement reprendre les choses comme si hier soir n’avait pas existé.

— La surprise était belle, Théo. Je… J’ai paniqué, c’est bête, mais c’est comme ça que je fonctionne. J’ai peur de m’attacher et aucune envie de te faire du mal. Pourtant, c’est ce que j’ai fait hier soir et j’en suis désolée.

— Tu t’es attachée ou tu m’as fait du mal hier soir ? répond-il en souriant. Parce que si c’est le premier, c’est que je n’ai peut-être pas fait tout ça pour rien.

La réponse qui me vient de prime abord, c’est les deux, et d’y ajouter un malheureusement. Je ne sais pas trop quoi lui dire, d’ailleurs, pour calmer les choses tout en évitant de lui donner de faux espoirs.

— Parce que je ne t’ai pas fait du mal, hier ? Vu comme j’ai été désagréable, j’en doute…

— Ce n’est pas grave, je le méritais, je crois. Cela m’apprendra à rêver ma vie plutôt que la vivre réellement. Tu as eu raison de me ramener sur Terre.

— Je sais pas… J’aurais peut-être dû prendre plus de pincettes, être moins… Enfin, on n’y peut rien si on s’attache, c’est ça d’être humain. C’est logique quand on passe autant de temps ensemble, non ?

— Oui, c’est clair. Mais je n’ai pas envie de passer moins de temps avec toi, tu sais ? Plutôt l’inverse.

— Tu comptes en manger ? lui demandé-je en ouvrant le sachet de viennoiseries pour récupérer un pain au chocolat. Parce que moi, j’ai faim.

Et besoin de gagner un peu de temps.

— Bien sûr que je compte en manger ! Ce n’est pas tous les jours qu’une jolie femme sexy vient me réveiller en m’offrant du chocolat ! J’espère que ce n’est pas un nouveau piège pour me faire craquer et oublier le contrat !

— Pourquoi ? Il compte tant que ça pour toi, ce contrat ?

— Non, mais j’ai clairement eu l’impression hier soir que si je ne le respectais pas, j’étais puni et finissais la nuit tout seul. Il vaut mieux que je le respecte, il me semble, si je veux avoir le plaisir de ta compagnie.

— Je te propose un nouveau contrat, si tu le veux bien… Un truc plus léger, je dirais, moins prise de tête…

— Un truc plus léger ? Tu veux dire quoi par là ?

— Qu’on balance ce contrat à la con et qu’on vive, tout simplement.

— Ah oui ? Et donc, si je fais ça et que c’est hors contrat, tu ne diras rien ?

Il se penche vers moi alors que j’allais porter ma tasse à ma bouche et me stoppe dans mon mouvement pour poser ses lèvres sur les miennes et m’embrasser avec une intensité folle.

— Je n’ai absolument rien à dire, ris-je lorsqu’il s’éloigne enfin un peu. Sauf peut-être… encore ? T’en penses quoi ?

— J’en pense que cette idée est encore meilleure que le petit déjeuner improvisé ! Et qu’on a du retard à rattraper vu que la nuit dernière a été si sage.

Je dépose ma tasse sur le comptoir et me love contre lui sans attendre, profitant de cette étreinte pour retrouver ses lèvres. J’ai le plaisir, et le déplaisir, de retrouver cette sensation de bien-être que je ne vis qu’auprès de lui, et je me demande comme je pourrais faire sans ça, maintenant que je l’ai connue.

Je finis malgré tout par le repousser gentiment et lui souris en passant ma main dans ses cheveux que j’ai un peu ébouriffés.

— Tu vas être en retard à la mairie, beau voisin. Il va falloir songer à finir de t’habiller et à filer bosser…

— D’accord, mais ce midi, je te veux nue dans mon salon pour m’accueillir. Et je te garantis que si c’est le cas, je vais encore plus oublier le contrat.

— Laisse ta porte ouverte, alors. Et sois en forme, surtout. Je nous ferai des sandwichs pour que tu aies tout de même le temps de te remplir l’estomac… Et je m’occuperai volontiers de ça, aussi, murmuré-je à son oreille en faisant courir mes doigts le long de son entrejambe.

— Pas sûr que je sache attendre jusqu’à ma pause… Il y a urgence, là, on dirait. Tu crois que c’est grave si je suis un peu en retard ?

— C’est ton boulot, c’est toi qui décides. Je te suis… Mais tu n’as pas intérêt de bâcler les choses, beau voisin.

Pour toute réponse, il me repousse et m’allonge sur son canapé, le regard plein d’envie, les mains baladeuses, et c’est avec une douceur exquise mais aussi un empressement envoûtant qu’il fait passer ma robe au-dessus de ma tête. Autant dire qu’il n’a aucune intention de bâcler les choses, qu’importe si la mairie l’attend. Je ne sais pas ce qui m’a pris de balancer ce contrat aux oubliettes, mais il me semble que je ne suis plus capable de faire quoi que ce soit de réfléchi quand il s’agit de lui. Suis-je seulement capable de vivre, tout simplement ? Et à quel prix ?

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