24. Good job, la Môme

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Lyana

Je suis quasiment certaine que l’employé de l’épicerie est un espion de Pavel. Il n’a pas d’accent russe et je me demande où il les pêche, mais si le clin d’œil qu’il vient de me faire est de la drague et non un signe qu’il sait qui je suis, il n’est vraiment pas doué. Toujours est-il qu’il n’est pas là depuis très longtemps et que je n’ai absolument rien trouvé sur sa personne, contrairement au type qui bosse à mi-temps à la Poste et qui est clairement un flic infiltré. Qui pourrait croire que dans ce petit patelin se cachent police et mafia, hein ? Témoin sous protection et tueurs sans pitié ? C’est juste fou, et je suis sûre que tous les exemplaires de l'Éveil Normand seraient vendus en moins d’une matinée si c’était le gros titre plutôt que le cours de salsa qui vient d’être créé pour le troisième âge de la commune nouvelle.

Pour le moment, tout ce qui m’intéresse, ce sont ces bons œufs d’une ferme du coin qui coûtent un bras mais vont me permettre de tremper mes mouillettes ce soir, souvenirs de mes dimanches soir avec Véronique, Martin et Suzie.

— Wow, mollo, ça se bichonne, des œufs, je n’ai pas envie d’une omelette, moi, ris-je alors que le propriétaire de la boutique nous observe depuis sa caisse.

L’employé me tend la boîte en s’excusant et je ne traîne pas pour aller régler mes achats avant de reprendre la route et rentrer à la maison. L’épicerie à vingt mètres de chez soi, c’est pas mal pour un village perdu en pleine campagne. Honnêtement, je crois que je m’y verrais bien sur le long terme. Avoir les commodités de la ville en étant entourée de champs, c’est possible ou presque.

Évidemment, quand j’entre dans la cour, j’ai l’agréable surprise de trouver Théo qui a dû rentrer du travail pendant ma balade. Il est agenouillé devant son potager alors que j’entends Guizmo aboyer depuis le côté de la maison, où un petit portillon me permet d’accéder à ma cour.

— Guizmo, silence ! crié-je, faisant sursauter mon voisin. Désolée pour le dérangement, je crois qu’il a envie de venir t’embêter.

— Oui, je vois ça. Contrairement à sa maîtresse qui a envie que je la laisse tranquille. Tu as raté son éducation, à ce chien, non ?

— Non, il accepte de s’attacher, contrairement à sa maîtresse, c’est tout, soupiré-je sans réfléchir.

— Il fallait me le dire si tu étais du genre à vouloir une laisse au cou, se moque-t-il, visiblement ravi de son petit trait d’humour.

— Non, je suis plutôt du genre à préférer attacher les hommes, dis-je sérieusement en m’accroupissant près de lui. Je peux te prendre un peu de persil ?

— Oui, tu vas faire quoi à manger ? me demande-t-il, curieux, après avoir marqué un moment de silence suite à ma petite phrase.

— Des œufs à la coque. J’adore ça, ça me rappelle des souvenirs de quand j’étais gamine. Y a de bons œufs à l’épicerie, c’est l’idéal.

— Et tu mets le persil dans l'œuf ? C’est étrange, ça !

— Non, je vais me faire des pommes de terre sautées. Pas le repas le plus light, mais j’avais envie, aujourd’hui, dis-je en récupérant mon téléphone qui vibre dans ma poche. Désolée, il faut que je réponde, c’est… le boulot.

Je soupire en me relevant et me dépêche de rentrer chez moi pour répondre à Pavel qui tente déjà une deuxième fois de m’appeler parce que je n’ai pas répondu à la première tentative.

— Qu’est-ce que je peux faire pour toi ? lui demandé-je d’emblée en déposant mon sac de courses dans la cuisine.

— Bonjour, la Môme ! Ça faisait longtemps qu’on ne s’était pas parlé ! Tu vas bien ? Tu as fait tes petites courses pour ton petit repas ?

— Faut bien que je m’occupe, vu que je suis en standby depuis une éternité. Tu pourras dire à ton sbire d’arrêter les clins d’œil glauques ? Il me ferait presque flipper.

— Ahah, il fait ça à toutes les jolies femmes. Il n’arrive jamais à les séduire, mais ça l’amuse, le petit con.

— Je vois… Bref, qu’est-ce que tu veux ?

— Mais te féliciter, la Môme ! Franchement, tu m’impressionnes ! Tu n’as même plus besoin de consignes, en fait, c’est ça ?

Je reste silencieuse, essayant de comprendre ce qu’il entend par-là, tout en rangeant mes courses.

— De quoi tu parles, au juste ?

— De quoi je parle ? Mais de la façon dont tu as approché la Cible bien sûr ! Quel talent ! Les images au drône étaient un peu floues, mais franchement, je ne doute pas qu’il va bientôt finir par se confier !

Je referme la porte du réfrigérateur et m’adosse contre le mur. La cible ? De quoi ? Donc, j’ai déjà approché le type sous protection ? Alors, c’est qui ? Le barman ? Non, il est là depuis longtemps… Le mec de la boulangère ? Je lui ai à peine parlé. Le propriétaire de l’épicerie ? Pourquoi est-ce qu’il aurait collé l’un de ses gars dans ses pattes si tel était le cas ?

— Attends… Est-ce que tu parles de… Non… Ce n’est pas… bafouillé-je. C’est impossible, j’ai fait des recherches sur lui, il n’a pas bossé dans cette boîte ! Tu dois te tromper, Pavel, ça ne peut pas être Théo.

— Eh bien, pourquoi ça ne pourrait pas être lui ? Tu trouves qu’il a une bonne tête d’employé de mairie, c’est ça ? s’esclaffe-t-il, hilare. C’était magnifique l’opération séduction en terrasse. Franchement, la Môme, tu m’impressionnes. Mais je suis déçu, je pensais que tu me réservais ton joli petit cul.

Je reste totalement sur ce cul qu’il pensait posséder, cet imbécile. C’est impossible, pourquoi est-ce qu’il a fallu que ça tombe sur lui ? Et pourquoi est-ce que je n’ai rien trouvé ? Les flics ont fait du bon boulot, à ce que je vois… Et… Merde, pourquoi lui, sérieux ?

— Donc, il faut que je me renseigne sur son indic, c’est ça ? Et ensuite ? lui demandé-je en tentant de masquer mon choc.

— Tu ne l’as pas déjà fait ? Tu étais trop occupée à le sucer, c’est ça ? C’est vrai qu’on ne parle pas la bouche pleine, en fille bien élevée, tu ne peux pas faire autrement, hein ?

— La jalousie ne te réussit pas Pavel. Et dire que je ne t’ai même pas dit qu’il en a une plus grosse que toi, m’esclaffé-je.

L’actrice est de retour, parce que sa remarque me dérange profondément. J’en ai marre de n’être cataloguée que comme une fille facile, c’est insupportable. Je joue de mon corps si j’en ai envie, pour ce que je veux, et j’assume. Mais il fait chier, et je ne suis pas du tout d’humeur.

— N’importe quoi, la Môme, me répond-il, énervé. Je ne suis pas jaloux de ce minable qui se terre dans un coin paumé de la France tellement il a peur de son ombre. Alors, dépêche-toi de faire ce pour quoi tu es payée. Il nous faut le nom de l’indic, même si on commence à avoir des soupçons et surtout la nature des informations qu’il détient. Tu l’épuises au lit, ce con de Théo, et tu en profites pendant qu’il se remet de ses émotions pour fouiner dans son ordi, dans ses papiers. J’ai besoin d’un max d'éléments si on veut justifier une intervention de nos forces spéciales pour tuer ce con qui a fait capoter tous les plans de ceux qui nous paient !

— Y a vraiment besoin de le tuer ? S’il est si trouillard, pourquoi ne pas lui foutre la trouille ? Ça m’emmerderait qu’il meure, franchement, c’est un coup du tonnerre, ce soi-disant minable. Pas besoin de simuler avec lui, au moins, le provoqué-je.

— Tu es vraiment conne, ma fille. S’il est mort, il ne pourra pas témoigner, c’est tout ce qui nous importe. Et si tu continues à me provoquer, je te jure que tu vas le retrouver plus vite que prévu au Paradis, ce petit imbécile incapable de garder un secret.

Je soupire en sortant la bouteille de vodka de mon placard. Je crois qu’il va au moins me falloir ça pour encaisser ces conneries. Je vais devoir me rapprocher de Théo pour obtenir des informations et ça ne va pas être de la tarte, vu comme j’ai réagi après avoir couché avec lui. Et puis, merde, je l’aime bien, moi, Théo.

— Franchement, me laisser là sans me dire qui était la cible, c’était pas l’idée du siècle, Pavel. Je ne comprends pas ce qui t’a pris. J’aurais fait les choses autrement avec lui si j’avais su. Et puis, le Paradis, sérieux ? T’as pas d’autres conneries du genre à me sortir ?

— On voulait que tu sois naturelle, qu’il ne flaire pas le problème, et on a eu raison, non ? Il ne se doute de rien. Même qu’il se fait des films sur des flics en civil, je suis sûr, mais pas sur sa jolie voisine qui le dragouille ! Tu fais ça si bien, la Môme. Mais bon, là, fini de rigoler, il faut des résultats. Je te rappelle très vite, j’espère avoir quelque chose !

— C’est ça, à bientôt, Boss, soupiré-je en raccrochant.

Je me verse un shot et le liquide d’une traite avant de grimacer. Me voilà devenue le cliché, la russe qui boit de la Vodka. Mais pour le coup, il me faudra sans doute plus d’un shot pour anesthésier mon cerveau qui carbure à cent à l’heure. Il va falloir que je trouve des preuves chez Théo... avant qu’il ne soit tué. On peut dire que je ne l’ai pas vue venir, celle-là. C’est surprenant, et ça m’ennuie vraiment. C’est une sacrée mauvaise nouvelle et juste une preuve de plus que je ne suis pas faite pour m’attacher aux gens. Parce qu’il a fallu que je m’attache au type que je vais devoir espionner et qui va se faire tuer parce que c’est un mec bien qui a dénoncé des cons qui n’ont aucun respect pour l’être humain.

Si ça, ce n’est pas la poisse… Je me demande si un jour la roue peut tourner, parce que j’ai vraiment l’impression d’accumuler les galères depuis bien trop longtemps pour pouvoir encore le supporter.

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