25. Les galères du réparateur

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Théo

Aujourd’hui, c’est pas ma journée et je ne peux m’empêcher de regarder l’horloge sur le mur en face de moi en me demandant si d’autres galères vont encore m’arriver avant que je puisse quitter le boulot. Parce que là, entre le photocopieur qui déconne, Roselyne qui n’a pas arrêté de me demander de faire des allers retours entre l’accueil et le bureau du maire pour des broutilles et la chaleur qui règne dans les bureaux parce que la clim est en panne, je crois que je suis presque au bout de ma vie. Et pourtant, alors qu’il ne reste que quinze minutes à souffrir, j’entends la porte s’ouvrir et c’est Madame Chantal qui débarque et se dirige immédiatement vers moi. Je jette un œil vers Roselyne qui, comme par hasard, s’éloigne de son bureau pour aller en réserve, me laissant seul avec la harpie qui veut me mettre dans son lit.

— Bonjour mon petit ! Je suis contente de vous voir. Vous avez bonne mine, vous savez ? Comment allez-vous ?

— Bonjour Madame Chantal. Je vais bien merci. Que puis-je faire pour vous servir ?

J’essaie de rester poli et accueillant, même si je ne sais pas si je vais réussir à garder mon ton avenant si elle recommence ses tentatives de drague.

— J’ai un problème avec mes voisins, je n’en peux plus, j’ai tout essayé, je vous assure ! J’ai été gentille, puis ferme, je me suis énervée… Ils mettent leur musique jusqu’à pas d’heure, ces petits jeunes. Je veux bien être tolérante, mais je me lève à six heures, moi, le matin, je ne vis pas des allocations !

— Ah, c’est vrai que c’est malheureux, ça. Et que voulez-vous que je fasse pour vous, alors ?

— Eh bien… je ne sais pas, moi. C’est votre travail ! Avertir le maire ? En parler à la gendarmerie ? Je ne veux pas qu’ils aient de problèmes, mais quand même… Surtout que… je suis sûre qu’ils cultivent du cannabis dans leur petite serre, continue-t-elle sur le ton de la confidence.

— Vraiment ? Et comment vous savez ça ? Ils vous en ont proposé ? Je vais faire une note à Monsieur le Maire, si vous le souhaitez. Ou vous prendre un rendez-vous avec lui ?

Elle se penche sur le petit comptoir en étalant devant moi son ample décolleté avant de m’adresser un sourire conspirateur.

— Je ne suis pas très fan de Monsieur le Maire… Je n’ai pas voté pour lui, il est un peu… particulier, non ? Bref, je préférerais que vous fassiez une note. Et je n’ai pas eu de proposition des voisins, mais je ne suis ni stupide, ni aveugle, mon petit.

— Bien, je vais lui faire la note alors. C’est quoi, l’adresse de vos voisins ? Vous avez leur nom ?

Je profite de sa demande pour reculer un peu et sortir le formulaire de réclamation qui n’est utilisé quasi exclusivement que par elle pour écrire ce qu’elle a à dire. Une fois terminé, je lui montre et elle tient absolument à la signer elle-même. Ne trouvant pas d’argument pour l’en empêcher, je la laisse gribouiller son nom en bas du document que je mets dans la bannette du maire, sous son regard scrutateur.

— Voilà, c’est fait. Ce sera tout pour vous ? demandé-je plein d’espoir, l’heure du départ ayant sonné.

— Il les lit vraiment, ces notes ? Parce que j’ai l’impression qu’il ne fait pas grand-chose dans son beau bureau, le gars.

— Bien sûr qu’il les lit. Je suis sûr que vous aurez rapidement une réponse de sa part.

Vu que c’est moi qui vais la rédiger, elle l’aura sa réponse. Je crois que je sais déjà ce qu’il va me dire d’écrire. Nous avons bien pris en compte votre demande, chère Madame, et je vous garantis que nous mettons tout en œuvre bla, bla, bla…

— Bien, soupire-t-elle. Je ne vais pas vous embêter plus longtemps. Vous êtes beaucoup plus agréable que votre collègue, vous savez ? Et je ne parle pas que de votre belle gueule, jeune homme.

— Merci, Madame Chantal. Je vous souhaite une bonne soirée. A très vite, dis-je alors que ladite collègue s’éclipse discrètement par la porte d’entrée. Vous revenez si vous avez besoin, surtout.

— Oui, je n’y manquerai pas. Bonne soirée à vous aussi, sourit-elle en me faisant un clin d’œil avant de faire demi-tour.

Je suis soulagé qu’elle n’ait pas tenté plus. Je m’attendais à une attaque en règle et une invitation à dîner, mais cette fois-ci, je m’en sors bien. Peut-être que la chance est en train de tourner ?

Je sors derrière Madame Chantal et je ferme la Mairie avant de traverser la rue pour rentrer chez moi. Je salue les petits vieux qui jouent à la belote ou au bridge dans le garage de l’un d’eux qu’ils laissent toujours ouvert et suis vraiment ravi de retrouver mes pénates afin d’y passer une soirée tranquille. A peine ai-je franchi la porte de mon logement que je me débarrasse de ma chemise trempée de sueur. Que ça fait du bien de retrouver le confort de cette vieille bâtisse qui garde très bien le frais si on laisse les volets fermés et les portes closes. Je me décide à aller profiter de mon petit jardin privé à l’arrière de la maison et m’installe dans un fauteuil, à l’ombre du tilleul dont les feuilles frémissent et bruissent au moindre souffle d’air. Quel bonheur d’être ainsi posé, un verre de jus de raisin à la main, après une telle journée de travail !

Je suis à peine installé là depuis une dizaine de minutes que j’entends le bruit sourd d’un grognement. Je me demande ce qu’il se passe quand je vois le Husky de ma voisine finir de se frayer un chemin dans les petites haies qui séparent nos deux espaces. Le chien se précipite vers moi, la queue frétillante et me saute dessus pour me lécher, ravi de me voir.

— Mais qu’est-ce que tu fais là, toi ? dis-je en le repoussant.

Cet abruti de chien ne me répond pas bien sûr, à part en baissant la tête pour la poser sous ma main afin d’obtenir de nouvelles caresses que je ne peux me retenir de lui donner, tellement il a l’air suppliant.

— Bien, c’est pas tout ça, mais il faut que je te ramène à ta maîtresse, sinon elle risque de s’inquiéter. Allez, Guizmo, viens, suis-moi.

A l’évocation de son nom, il se relève, les oreilles dressées et il m’emboîte le pas. Je frappe chez Lyana en continuant à caresser l’animal pour qu’il ne s’éloigne pas.

— Lyana ! C’est moi, Théo ! crié-je pour qu’elle m’ouvre la porte.

— J’arrive, j’arrive ! dit-elle en ouvrant. Salut. Un sou… Ah oui, un souci. Qu’est-ce qu’il fait là, lui ?

Je ne peux répondre tout de suite car la vision qu’elle m’offre est une pure merveille. Elle est en bikini et devait être en train de se reposer dans son coin de jardin aussi, et elle a juste passé un petit paréo qui ne fait rien pour cacher toutes ces jolies formes que j’ai caressées et embrassées il n’y a pas si longtemps.

— Je crois qu’il avait besoin de caresses, finis-je par dire, non sans qu’elle m’ait capté en train de la mater. Il a réussi à se faufiler entre les haies pour venir me lécher, le coquin. Mais je lui ai dit de ne pas te faire d’infidélité et je le ramène au bercail !

— Rentre tout de suite, espèce de vilain ! gronde-t-elle tandis que le chien s’exécute, les oreilles basses. Je suis désolée, je me suis assoupie et ce filou en a profité. Merci de me l’avoir ramené, Théo…

— De rien, Lyana. A plus tard, je ne te dérange pas plus.

— Théo, attends ! Je... Je sais que j’abuse clairement, mais j’ai un problème avec le sèche-linge et je ne peux pas le descendre de sur la machine à laver toute seule… Est-ce que tu voudrais bien me donner un coup de main ?

— C’est quoi le problème avec ton sèche-linge ? Je veux bien t’aider à le descendre, mais je ne suis pas réparateur, moi. Juste employé de mairie, tu sais ?

Quoique. Vu tout ce que je sais faire en tant qu’ingénieur, je pense que je pourrais aisément réparer tout son équipement, mais bon, il faut bien que je joue mon rôle un peu sérieusement quand même. Déjà que je suis bien déconcentré par la vue de sa peau nue qui m’attire contre toute raison.

— Le tambour ne tourne plus… Je crois que la courroie a sauté. Enfin, c’est ce que dit Internet. Et ça, c’est le meilleur des cas. Si ça se trouve, elle a carrément lâché, soupire-t-elle. Je vais me débrouiller pour le reste, je ne veux pas abuser de ton temps, mais j’aimerais juste ne pas mourir écrasée par une machine en tentant de la descendre seule…

— D’accord, pas de souci, j’ai tout le temps qui faut, tu sais ? dis-je en la suivant chez elle, jusqu’à l’étage où se trouve sa salle de bain.

Arrivé devant les machines, je prends néanmoins le temps d’allumer le sèche-linge pour voir ce qu’il se passe. Effectivement, il y a un code d’erreur qui apparaît immédiatement et je me dis que je suis bon pour déplacer le sèche-linge. Par acquis de conscience, avant de faire la manœuvre, je regarde néanmoins le filtre que je sors et découvre totalement encrassé, comme s’il n’avait jamais été nettoyé.

— C’est fait exprès de ne jamais nettoyer ce filtre ou alors ton linge est particulièrement sale ? l’interrogé-je en commençant à le frotter pour le débarrasser de toutes ses impuretés.

— Un filtre ? Heu… Je n’avais pas connaissance de cette chose, rit-elle, gênée. Jusqu’à ce que j’arrive ici, je n’avais jamais eu de sèche-linge, tu sais ?

— Attends, on va essayer de voir si ça change quelque chose, maintenant qu’il est clean.

Je le remets et rallume le sèche-linge où la lumière verte apparaît tout de suite.

— Voilà, ma p’tite dame. Il est comme neuf ! Cela vous fera cent euros le déplacement, mais bon, comme il est sous garantie, encore, ce sera à moitié prix. Ça vous va ?

— Ça fait cher le déplacement, vous devez en faire des kilomètres pour venir jusqu’ici ! Un verre du bon jus de pommes du Manoir du coin, ça peut faire l’affaire ?

— Ah, mais je ne voudrais pas déranger, non plus. Après, il y en a qui vont croire que je fais tout ça pour leur sauter dessus. On ne veut pas en arriver là, quand même.

— Il n’y a pas de témoins ici, et je ne crois que ce que je vois. Allez, viens, toute peine mérite salaire, me dit-elle en attrapant ma main pour m’entraîner à sa suite.

Qu’a-t-elle voulu dire par “il n’y a pas de témoins ici” ? C’est plutôt étrange comme réflexion, mais je la suis avec un plaisir non dissimulé, surtout quand je vois ses jolies jambes se pavaner devant moi. Nous arrivons dans la cuisine où elle se penche dans son frigo pour récupérer la bouteille de jus de fruits, m’offrant une vue imprenable sur son postérieur, avant de récupérer deux verres et me servir.

— Merci, dis-je, mais ne te sens pas obligée non plus. Je t’ai juste rendu un service normal entre voisins, tu sais ? Je ne veux vraiment pas te déranger.

— Tu ne serais pas là si tu dérangeais… C’est moi qui t’ai ennuyé avec mon incompétence à utiliser un sèche-linge. Merci, d’ailleurs.

— Maintenant, tu sais, dis-je en souriant.

— Oui… Je me coucherais moins bête ce soir. Je change de sujet, mais… je suis retournée au lac avant-hier. C’était… différent, sans toi. Même Guizmo faisait la tête.

— J’espère que tu t’es quand même amusée. Il faisait beau, ça devait être agréable.

— Ouais, j’ai marché autour du lac, quoi, rien de fou, rit-elle. Si des fois ça te tente de venir avec nous, je referai une tentative demain soir, je pense. J’ai vu qu’il y avait des barbecues, j’ai bien envie d’emmener de quoi manger. L’ambiance est sympa. Et tu es le bienvenu.

Je l’observe un instant en silence et la trouve un peu étrange. Comme si elle manquait d’assurance alors que je ne lui connaissais pas du tout ce trait de caractère. Et puis, cette invitation, ça veut dire quoi ? Qu’elle a envie de passer du temps avec moi même si elle ne veut plus coucher ? Je suis tenté de lui dire oui car je sais que je vais passer du bon temps, mais quand même, si c’est pour qu’elle se remette à faire son jeu de séduction, qu’on finisse par coucher et que je me fasse jeter, c’est pas une bonne idée, je trouve.

— Un barbecue ? Pourquoi pas… indiqué-je, du ton le plus neutre que je puisse maîtriser.

— Comme tu le sens… Départ dix-sept heures trente, si ça te tente. Ça me ferait plaisir qu’on passe un moment ensemble, me répond-elle avec un petit sourire presque gêné.

— Lyana, je peux te poser une question ? Je n’ai pas envie que tu joues avec moi, tu sais. Tu attends quoi de moi ? C’est vraiment juste pour le barbecue ou tu veux encore profiter de moi une nuit et me jeter ? continué-je en ne retenant pas ces pensées qui me trottent dans la tête depuis qu’elle m’a rejeté après notre nuit de sexe.

— Profiter de toi ? Mais… Théo, enfin, tu crois quoi, que j’ai manigancé je ne sais quoi ? J’avais envie de toi, et je crois bien que c’était réciproque, non ? Je… Tu me plais, bon sang, je ne sais plus sur quel pied danser, c’est tout, soupire-t-elle en me tournant le dos avant de souffler. Je ne suis pas faite pour plus que du cul, moi, je… je suis désolée.

— Et moi, je crois que je ne sais pas faire du cul pour du cul… Mais bon, là, ce ne sera qu’un barbecue, n’est-ce pas ? Amis sans bénéfice, ça occupera nos solitudes au moins, vu que côté sexe, on n’est pas compatibles.

— Oui, juste un barbecue entre amis… Si être mon ami t’intéresse.

J’hésite parce que clairement, ce n’est pas être son ami qui m’intéresse mais être son amant. Elle m’attire, me plaît et j’ai tellement envie d’elle que je serais presque prêt à accepter de n’être que son plan cul. Mais je sais que si je me lance là-dedans, je vais souffrir quand elle me jettera. Ou quand je devrais me barrer parce que les Russes m’auront retrouvé.

— Ok, on fait comme ça, finis-je par dire en souriant aussi largement que possible. Qui serait assez bête pour refuser une telle invitation venant d’une aussi jolie femme que toi ? Dix-sept heures trente, c’est ça ?

— C’est ça, avec plus ou moins dix minutes, j’imagine, me dit-elle en me rendant mon sourire. Ça me fait plaisir que tu acceptes, vraiment.

Moi aussi, ça me fait plaisir, mais je ne me vois pas lui dire. J’essaie de laisser les barrières mentales que je m’impose pour me protéger vis-à-vis d’elle. Je sais que ce n’est pas l’idée du siècle de passer du temps avec elle, alors qu’elle me tente tellement et n’attend que du cul. Mon petit cœur risque de morfler si je m’engage dans cette voie, mais bon, avec le peu de temps qu’il me reste à vivre si les mafieux retrouvent ma trace, ne vaut-il pas mieux que j'écoute ma queue ? Quitte à mourir jeune, autant le faire en ayant profité de la vie, non ?

— Bonne soirée Lyana. A demain, alors, pour une sortie au lac. Je ramène les saucisses.

— C’est de l’humour ou tu ramènes vraiment les saucisses pour le barbecue ? rit-elle. Pardon… Ça marche, je ferai une petite salade alors. Bonne soirée à toi aussi, Théo.

Je sors sans répondre car j’ai eu la même pensée qu’elle quand ma phrase est sortie. Et ma saucisse personnelle, si je l’écoute, elle va encore me faire faire plein de bêtises. Le meilleur en attendant le pire ?

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