23. Le cousin dans le labyrinthe

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Théo

Finalement, ce n’était pas une bonne idée. Maintenant que j’y réfléchis, j’aurais dû ne rien dire à Roselyne parce qu’elle me mitraille de questions, toutes plus personnelles les unes que les autres. Et je n’ai vraiment pas envie de répondre, alors je fais mine de me pencher sur le fascicule qu’on m’a demandé de corriger, en me morigénant sur le mensonge que je lui ai sorti et qui a déclenché cette vague d’interrogations.

— Mais non, Roselyne, je vous l’ai dit, je ne prends pas ma demi-journée pour être avec une femme, mais vraiment parce que j’ai un cousin qui passe dans le coin et qu’il vient me rendre visite. On va aller au château tous les deux, c’est un amateur et il les fait tous. Cela fait tellement longtemps que je ne l’ai pas vu que je n’allais pas le laisser venir sans prendre un peu de temps avec lui quand même ! Il n’y a rien d’autre, je vous l’assure !

— Un cousin, hein ? Ce ne serait pas plutôt un petit rendez-vous secret avec une jolie fille ? Allez, pas à moi, Théo…

— Si, c’est une jolie fille, elle a cinquante ans et s’appelle Henri ! m’énervé-je. Maintenant, laissez-moi travailler. Il vient me chercher ici, vous pourrez le saluer.

— Bien, bien, on se calme, marmonne-t-elle. Qu’est-ce que vous êtes aimable depuis quelques jours, c’est… insupportable.

C’est clair que je suis frustré et en colère depuis que ma voisine m’a éconduit. Elle a essayé d’y mettre les formes, je ne peux pas lui reprocher ça, mais je lui en veux de m’avoir fait côtoyer le paradis avant de m’en exclure, comme si tout ce que nous avions expérimenté pendant la nuit n’était rien. En même temps, elle a sûrement raison, ce n’était que du sexe. Du très bon sexe, peut-être le meilleur de ma vie, mais rien de plus. C’est sans doute moi qui me suis emballé et qui ai cru qu’après de tels moments, je pouvais espérer plus. Bref, c’est ma collègue qui a pris tout mon énervement depuis le retour au travail lundi et elle ne se prive pas pour me le reprocher ou me le faire payer.

Nous continuons à travailler en silence, chacun de notre côté, jusqu’à ce qu’un homme aux cheveux grisonnants se pointe. Séduisant et avec une belle carrure, il a une certaine prestance et Roselyne s’empresse d’aller l’accueillir. Je soupire car c’est pour moi que le policier est venu, même s’il est en civil. Pas pour elle. Cependant, je suis joueur, je la laisse s’occuper de lui et me demande comment Henri va gérer la tentative de charme de ma collègue.

— Bonjour à vous, lui dit-elle d’une voix mielleuse. Est-ce que je peux faire quelque chose pour vous ? Vous venez d’emménager dans le coin ? Votre visage ne me dit rien et je me serais assurément souvenue de tels yeux.

— Oh, vous devez être Roselyne, n’est-ce pas ? répond-il de sa voix grave en venant s’accouder au comptoir où elle se trouve. On m’a parlé de vous mais on ne m’avait pas dit que vous étiez aussi charmante.

Je n’en reviens pas. Il fait quoi, là ? Il la drague ? Mais il n’est pas là pour ça ! Il a des informations importantes à me communiquer et ne voulait pas le faire par téléphone. D’où sa venue, mais s’il veut joindre l’utile à l’agréable, il ferait mieux d’éviter de faire ça avec l’employée de mairie qui est ma collègue !

— Oh, rougit Roselyne, c’est bien aimable et je vous retourne le compliment, d’ailleurs, quel charme ! Bref, bref… Qui vous a parlé de moi ? En bien, j’espère ?

— Ah si vous saviez… Dommage que je ne sois que de passage, mais qui sait ? La possibilité de vous revoir va peut-être me motiver à revenir dans votre beau petit village. Je suis le cousin de Théo, il ne vous a pas dit que je venais ? Salut mon grand ! Cela fait longtemps, hein ? ajoute-t-il en me saluant de la main mais en restant à côté de Roselyne.

— Oh, si, il me l’a dit, mais il n’a pas précisé que… Enfin, il m’a parlé d’un cousin, c’est tout, glousse-t-elle, pas d’un mannequin, en fait.

— Un mannequin ? Rien que ça ? Eh bien, je crois que je vais repasser voir mon petit Théo plus souvent, moi. Charmante Roselyne, vous m’excuserez, mais il faut que ce jeune homme me montre votre beau château. Je meurs d’envie de le découvrir. On y va, Théo ?

— J’arrive, oui, dis-je, intrigué du comportement du policier mais sans faire de remarque.

Je finis de ranger mes affaires et sors avec Henri sous le beau soleil de cet été particulièrement chaud.

— C’était quoi, ça ? lui demandé-je alors que nous marchons vers le monument qui fait la fierté du village.

— Sois proche de tes amis, mais encore plus de tes ennemis, non ? Allez, viens, je t’offre l’entrée du château, on va aller papoter dans le parc.

Mes ennemis ? C'est quoi, cette histoire ? Il croit que Roselyne me veut du mal ? Je préfère ne rien répondre et ronge mon frein en silence le temps de passer par la petite boutique qui sert d'accueil au château. Elle nous remet un document de présentation du bâtiment avec une énigme à résoudre, ce qui fait rire le policier qui l'accepte avec un sourire charmeur. Ce type n'arrête pas, c'est fou.

— Encore une ennemie à charmer ou c'était juste le décolleté, cette fois ?

— Hé, y a pas de mal à se faire plaisir, non plus, si ? rit-il. Elle est jolie, tu devrais songer à te changer les idées avec des filles plutôt que de passer ta vie à la maison. Ça ne te ferait pas de mal.

— Je vous rappelle que c'est vous qui me demandez de me cloîtrer chez moi. Pour ma sécurité. Et c'est quoi cette idée de venir faire du tourisme en plein milieu de la semaine ? Une envie soudaine de se cultiver ?

J'ai beau être énervé et inquiet, je suis quand même sous le charme du spectacle qui nous est proposé. On dirait un mini Versailles avec plein de fenêtres et, à l'entrée des douves, au milieu de l'eau, une motte recouverte de végétation où un labyrinthe a été construit. C'est là que m'entraîne le policier et je crois comprendre l'intérêt du choix de ce lieu public loin de toute oreille indiscrète.

— Tu ronchonnes vraiment tout le temps comme ça ? ricane-t-il. Bon, comment tu vas, cousin ? Et arrête de me vouvoyer, j’imagine que tu ne disais pas “vous” à Priscillia quand tu l’avais dans ton lit. Je ne te demande pas le lit, mais au moins un “tu”.

— Je vais comme un moine… Et d'ailleurs, qui t'a dit que Priscillia partageait mon lit ? l’attaqué-je brusquement.

— Elle. On travaillait ensemble, je te rappelle.

— Et tu ne lui as pas dit qu'elle déconnait, de fricoter avec un témoin ? Je suis surpris qu'elle t'en ait parlé.

Je vais m'asseoir sur le petit banc au milieu du labyrinthe et l'observe s'intéresser aux haies qui forment les chemins.

— Priscillia et moi, on bossait ensemble depuis un moment… et on était amis. Ça arrive à tout le monde de déconner, mais on n’est pas des machines et elle avait un cœur tendre, sourit-il doucement. Bref, on n’est pas là pour ça. Est-ce que tu as repéré des choses étranges dans le coin, ces derniers temps ? Tu as encore la sensation d’être suivi ?

— A part un cambriolage qui a mal tourné, la vie du village est calme. Rien d'inhabituel… Et non, je n'ai pas l'impression d'être suivi. Je n'ai même pas été rappelé pour de nouvelles menaces. Comme si j'étais sorti de leurs radars.

— Bien… On a chopé un petit groupe sur Paris qui était impliqué dans la fusillade. Possible que dans le lot, il y ait l’imbécile qui t’a appelé. Tu sais, avec eux, c’est un peu chacun pour soi, si ça se trouve c’était le seul à savoir où tu étais, il voulait faire le boulot et récolter tous les lauriers. Sinon, on se pose des questions sur ta collègue, alors reste vigilant.

— Ma collègue ? Celle qui te compare à un mannequin ? Il va peut-être falloir que tu fasses don de ta personne pour faire avancer l'enquête, me moqué-je.

— Eh bien, je ne dirais pas non, rit-il. Elle n’est pas vilaine, non plus. Même si elle m’a l’air un peu… coincée ? Je sais pas. Toujours est-il qu’on se renseigne sur elle, mais ne l’invite pas à partager ton lit, OK ?

— C'est déjà chasse gardée pour toi ? Tu ne perds pas ton temps, dis donc ! Et pourquoi vous la soupçonnez ? Je t’assure qu'elle ne fait rien d'étrange au travail. Même si c'est vrai qu'elle était très curieuse de savoir qui venait me rendre visite.

— Non, on va juste éviter que vous vous retrouviez en tête à tête dans un lieu où on ne surveille pas constamment, tu vois ? Disons qu’elle semble très intéressée par cette histoire de laboratoire peu scrupuleux. Elle s’est beaucoup documentée sur le sujet. Peut-être qu’elle est juste curieuse, mais nous sommes vigilants.

— Vous surveillez tout, c'est fou. Il faut que je me méfie de qui d'autre ?

— C’est déjà pas mal, non ? Mais globalement, il faut rester sur tes gardes et te méfier de tout le monde, tout le temps.

— Quelle vie… Et comment tu veux que je profite de la petite jeune à l'accueil en restant enfermé chez moi ? Des fois, je me dis que je ferais mieux d'arrêter de me cacher. Quand ils m'auront tué, au moins tout ce cauchemar s'arrêtera.

— Ne dis pas n’importe quoi, bougonne-t-il en venant s’asseoir à côté de moi. Je sais que ce n’est pas facile, mais une fois le procès passé, tout ça sera un lointain souvenir et tu pourras reprendre une vie normale.

— Parce que tu crois vraiment qu'ils s'arrêteront ? La seule chose positive, c'est qu'ils ont arrêté leurs essais abjects et que plus personne ne décède à cause de leurs médicaments pourris.

— Eh bien, on espère bien que ça arrangera les choses, oui. Est-ce que tu as eu des nouvelles de ton contact ? Il fait un peu n’importe quoi, il est beaucoup moins sérieux que toi pendant sa planque. Il a appelé ses parents plusieurs fois et a même fait le trajet jusque chez eux, cet imbécile, alors, je me demandais s’il t’avait appelé.

— Non. Il m'a juste envoyé un mail pour me demander mon numéro de téléphone. Je n'ai pas répondu. Et je crois que si mes parents étaient encore de ce monde, j'irais les voir, moi aussi.

— Je comprends… La situation est difficile, j’ai conscience que l’envie d’abandonner peut être forte. Courage. On s’est un peu renseigné sur ta voisine aussi, surtout que vous semblez bien vous entendre. Bref, on fait le nécessaire pour qu’il ne t’arrive pas de bricole.

— Sur ma voisine aussi ? Et vous avez trouvé quelque chose ?

— Elle est arrivée récemment, on ne pouvait pas te laisser là sans faire de vérifications, voyons ! Non, pas spécialement. Elle n’est pas facile à trouver, pas de réseaux sociaux, pas de parents… Une société tout juste créée. Bref, une nana sans attaches.

— Comme moi, quoi. Tu m’étonnes qu’on s’entende bien, murmuré-je. Tu vas revenir souvent, cher “cousin” ?

— Je vais essayer de venir de temps en temps, mais ne compte pas sur moi pour te câliner sur mon temps perso, sourit-il en me faisant un clin d’œil. Et puis, on a des hommes ici pour surveiller.

— Comment ça se fait que je ne les vois jamais ? Ils surveillent depuis la station spatiale internationale ou quoi ?

— Ce sont des professionnels. Tu as rencontré Jérôme pour récupérer ton nouveau téléphone. Il y en a deux autres qui vivent ici et se relaient sans que tu le saches, et c’est parfait comme ça. Tu vois, tu n’es pas laissé là tout seul et ce n’est pas pris à la légère.

— Ça fait beaucoup de moyens juste pour me protéger, tout ça. Et ça va vraiment durer jusqu’au procès ?

— On réfléchissait à te coller une femme dans les pattes pour que vous passiez pour un couple, à la base. Moins de moyens et une personne H24, mais on n’est pas dans une romance non plus. Jusqu’au procès il y aura toujours au moins une personne pour faire la surveillance. L’un des gars va partir bientôt, mais on avait besoin de monde pour surveiller un peu les mouvements et prendre la température du lieu. Tu sais, c’est un petit patelin, des nouveaux arrivants, il n’y en a pas souvent, alors on repère facilement les changements.

— Franchement, vous pouvez arrêter. S’ils me retrouvent, eh bien, tant pis, ça vous fera plus de preuves qu’ils sont coupables. Il y a déjà Priscillia qui est morte pour moi, je n’ai pas envie qu’il y en ait d’autres, tu sais ?

— Ce sont les risques du métier. On ne va pas arrêter, c’est notre boulot.

Je soupire et me dis que de toute façon, je ne peux rien faire. J’ai lancé la machine quand je suis allé voir la police et que j’ai dénoncé toutes leurs magouilles. Maintenant, c’est trop tard. Nous sommes interrompus dans notre discussion par une jeune maman avec deux petits enfants qui courent dans le labyrinthe et qu’elle poursuit nonchalamment. Nous nous levons sans même nous concerter et nous ressortons du château sans l’avoir visité. Ce sera pour une autre fois. Si les méchants ne me règlent pas mon compte avant.

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