22. Coup de froid du matin

9 minutes de lecture

Lyana

J’ouvre les yeux et tombe sur le visage apaisé de Théo, dont le bras repose sur ma hanche alors que nos jambes sont entremêlées. Pour une fois, ma première idée n’est pas de fuir, tout simplement de savourer ce contact et de me dire qu’il est vraiment mignon, le beau barbu. Et la nuit a été particulièrement chaude. Il faut dire que ce genre de choses, quand c’est par envie plutôt que par stratégie ou pour une mission, ce n’est pas du tout pareil. Je ne plaisantais pas quand je lui ai dit qu’il était clairement l’un de mes meilleurs coups. Il est doué, c’est sûr, mais j’étais aussi beaucoup moins dans la retenue. Lâcher prise. J’ai fait ça pour moi, pas pour Pavel. J’ai fait ça sans autre intérêt que celui de partager un moment à deux, sans objectif caché. Et ça, ça change tout.

Et puis vient ce petit moment de panique stupide. Celui où je me dis que recommencer pourrait être sympa, que Théo est un mec bien, que ce serait peut-être cool d’envisager plus. Je ne suis pas faite pour une relation, je ne mérite pas tout ça, pas après toutes ces années dans l’organisation. Pas après tout ce que j’ai fait.

Guizmo doit m’entendre bouger parce que je l’entends se lever et poser ses pattes sur le parquet tandis que j’essaie de me défaire de l’étreinte de Théo. J’ai besoin d’air, même si lui ne semble pas vouloir me lâcher. Je manque d’ailleurs de m’étaler en sortant du lit et fais les gros yeux à la boule de poils qui couine. Pas de câlin au lit ce matin, il est vexé et pressé de recevoir sa caresse. J’attrape vite fait ma robe de chambre et ma culotte qui traînent au sol avant de sortir aussi discrètement que possible.

J’ai la sensation de retrouver de l’air une fois la porte fermée, et je me dépêche de descendre pour aller ouvrir la porte vitrée à Guizmo. Il fait lourd encore ce matin et ce n’est plus seulement ce ciel orageux qui m'oppresse. Qu’est-ce que j’ai foutu ? J’oscille clairement entre la satisfaction de ma nuit et l’appréhension de la suite. Qu’est-ce que ça va donner, tout ça ? Je ne suis même pas sûre de ce que je veux, en vérité. Et puis, vouloir est une chose, pouvoir une toute autre.

Il faut que j’arrête de cogiter comme ça, c’est plutôt contre-productif, en fait. J’aimerais bien aller bosser histoire de me plonger dans autre chose, mais je n’ai que mon ordinateur portable en bas et je ne veux pas risquer de réveiller Théo. En fait, si je suis totalement honnête, ce dont j’ai envie, c’est fuir pour ne pas me retrouver nez à nez avec lui ce matin. C’est horrible, mais ce n’est pas une surprise, je ne suis pas la plus gentille et altruiste des femmes. C’est très égoïste comme réaction. Mais je ne peux de toute façon pas partir en robe de chambre, alors je me prépare un café et m’installe dans la cuisine pour le siroter en vérifiant mes mails pro puis en bossant sur le logo de la fleuriste que j’ai rencontrée il y a quelques semaines et qui, aussi gentille soit-elle, n’est jamais satisfaite de ce que je lui propose.

J’ai l’impression que tout mon corps se crispe quand j’entends la porte de ma chambre s’ouvrir. J’ai ce réflexe stupide de regarder autour de moi si je peux me cacher quelque part, au lieu de quoi je me dépêche de me lever et verse du café dans la tasse que j’ai sortie pour Théo. Et puis, je me dis que c’est con, que c’est une invitation alors que si ça se trouve, il comptait juste me dire bonjour et rentrer chez lui. Oh là là, j’ai le cerveau qui fume ! Et Guizmo l’accueille avec bien moins d’interrogation dans le salon, il lui tourne autour et aboie pour réclamer une caresse que mon partenaire de la nuit lui donne, un sourire aux lèvres, avant de se diriger vers la cuisine, le visage encore ensommeillé et nu comme un ver. Merde, les vêtements sont dehors. Ou… Youpi ? Il va rentrer chez lui plus vite, non ?

— Bonjour ma belle ! Bien dormi ? demande-t-il en venant m’embrasser.

— Ça va, mais j’ai le sommeil léger, donc dès que tu bougeais… Bref, on s’en fout. Tu… vas peut-être aller retrouver des vêtements, non ?

— Oh, ça te gêne que je sois tout nu ? Mais oui, je vais y aller. Tu as fait du café, je vois. Je peux en avoir ?

— Je… Heu… Oui, oui, bien sûr, dis-je en lui tendant la tasse que je lui ai préparée. Et pour le reste, je dirais que tu devrais surtout faire gaffe à Guizmo, en fait.

— Ah parce que tu crois qu’il… Non, regarde comme il est sage ! J’ai l’impression qu’il me sourit, même. Déjà adopté par le chien comme par sa maîtresse !

Je lui souris d’une manière que j’espère naturelle et retourne m’asseoir devant mon ordinateur pour bosser. Je n’ai vraiment pas envie de le vexer, mais je ne souhaite pas non plus qu’il s’imagine mille et une choses à notre sujet et je ne suis pas très douée avec tout ce qui concerne le tact et la délicatesse. Surtout pas quand je réfléchis à comment faire.

— Qu’est-ce que tu as de prévu aujourd’hui ? le questionné-je.

— Eh bien, je n’avais pas grand-chose de prévu, mais maintenant, je me dis qu’on pourrait continuer nos aventures de la nuit ? Ce serait agréable, non ?

— J’ai du boulot, je ne vais certainement pas pouvoir passer la journée au lit, désolée…

OK, le tact est là, non ?

— Ah, je vois. Tu étais juste dans le mood “coup d’un soir”, c’est ça ? m’interroge-t-il amèrement.

— J’étais… dans le mood du moment, je dirais. Ça n’a pas semblé te déranger.

— Non, ça ne m’a pas dérangé, mais après la nuit que nous avons passée, je pensais que… Non, rien, j’étais parti dans mes rêves, mais a priori, ils ne sont pas partagés. Stupide de ma part. Je vais te laisser, alors, dit-il en déposant sa tasse sur la table. A plus tard.

— Théo, ne te vexe pas, soupiré-je. Je suis désolée, mais… il vaut mieux que ce ne soit qu’une nuit, tu sais ? Je ne vais pas rester ici très longtemps, j’ai une vie bien compliquée… Ça vaut mieux pour toi.

— Oui, oui, j’ai bien compris. Moi aussi, j’ai une vie compliquée de toute façon. Merci pour la nuit, en tout cas. Je ne suis pas prêt de l’oublier. Salut. On se recroisera.

— Moi non plus, je… Bon sang, tu ne vas pas faire la tronche, quand même ?

— Excuse-moi si je prends mal le fait que tu ne me considères guère plus qu’un sex-toy. Mais ne t’en fais pas, ça passera.

Le ton est sobre, presque froid, et je comprends qu’il cherche à se protéger et à réagir comme moi, je le fais.

— Tu sais bien que c’est plus que ça… Je suis désolée, je ne suis pas douée pour mettre les formes. Et je suis sûre que tu te rendras compte qu’il vaut mieux que tout ça ne se reproduise pas. On est amis, non ? Je ne veux pas qu’on gâche ça…

— Ouais, on est amis, énonce-t-il doucement avant de se diriger vers la porte. Mais si un jour tu changes d’avis et que tu veux avoir les bénéfices aussi, tu me le dis. C’était vraiment agréable, ça, au moins. Plus que le matin.

— On a couché ensemble, Théo, on ne s’est pas mariés, non plus. Je ne crois pas qu’on se soit promis quoi que ce soit, marmonné-je, mal à l’aise et un peu contrariée qu’il le prenne aussi mal.

— Oui, j’ai compris, mon imagination fertile m’a joué des tours, c’est tout. Passe une bonne journée. A plus.

— Bonne journée à toi aussi, Théo, soupiré-je alors qu’il ouvre déjà la porte et sort de chez moi.

Bien… L’avantage, quand je me tape un mec en Russie pour le compte de Pavel, c’est que je n’ai pas ce genre de discussions après la nuit. Beaucoup plus facile. J’en viendrais presque à regretter d’avoir couché avec lui si je n’avais pas passé une aussi belle nuit.

— Pas la peine de me regarder comme ça, Guizmo.

J’ai l’impression que même lui m’accuse, allongé sur son coussin près de la cheminée. C’est la meilleure, je deviens complètement dingue. Et je n’arrive plus à bosser, en prime. Je finis même par monter changer les draps et fais une tournée de linge avant de m’installer dans mon bureau pour une nouvelle tentative qui s’avère tout aussi infructueuse. J’hésite à aller courir, mais le temps est lourd et ça ne me donne pas envie de faire d’efforts. J’ai eu ma dose cette nuit en plus, non ?

Je file donc me préparer un nouveau café et m’installe dans le canapé avec mon ordinateur portable pour appeler Suzie en visio. Elle ne tarde pas à répondre et je vois sa mère derrière elle qui me salue chaleureusement.

— Salut les filles, vous allez bien ?

— Oui et toi ? On dirait que tu as des cernes… Tu as fait des galipettes toute la nuit ? me demande mon amie alors que sa mère nous laisse discuter entre filles.

— Je te remercie, ris-je. Et oui, bien possible que j’aie passé une très bonne nuit. Très, très bonne, même.

— Wow ! Raconte ! Il est comment ? Tu nous le présentes ? Ou c’était juste du bon sexe ?

— Tu t’emballes un peu, Suzie, souris-je. On parle d’une nuit, pas de fiançailles. Tu me connais, quand même… Enfin, non, l’ado rêvait du grand amour, j’avoue. L’adulte s’est fait une raison. Mieux vaut être seule que mal accompagnée, je suis pas faite pour une romance, moi.

— On cherche toutes le Prince Charmant, quand même. Et si c’était juste un bon coup, profites-en tant que tu peux apprécier le bel étalon !

— Sauf qu’on est amis et qu’il s’attache, je crois. Donc… mauvaise idée, ton conseil.

— Ah oui, la galère, ça. Si tu veux, je débarque et je m’occupe de lui. Je le mets dans mon lit, je profite du bon coup et toi, tu es libérée. Ça te dit ?

— Non, ça ne me dit pas du tout, ton plan.

Je grimace après avoir parlé sans réfléchir. Pourquoi ça ne me dit pas ? Je me suis bien amusée avec Théo, mais ça n’engage à rien. Je suis sûre qu’il ne dirait pas non à la jolie Suzie. Mais non, en fait, je n’ai aucune envie qu’ils couchent ensemble.

— Je… Non, je gère, je veux dire, bafouillé-je bêtement.

— T’inquiète va, j’ai compris. Tu veux te garder le bon coup sous le coude. Mais tu m’appelles, si besoin. Je ne suis pas encore mariée, moi ! J’ai envie d’en profiter tant que je peux !

— Faudrait peut-être que tu t’habitues à un style de vie plan-plan, non ? Un truc chiant mais où tu te sens bien ?

— Ouais, je crois tout simplement que Paul, c’est pas le bon. Il faudrait que je lui dise, mais j’ose pas trop. On devrait peut-être se faire un petit échange. Tu t’occupes de lui, je me tape ton plan et on est toutes les deux débarrassées de nos mecs relous.

— Paul ne m’intéresse pas, désolée, je te laisse ton boulet, me moqué-je. Mais je peux me charger de lui dire que tu le largues, si tu as besoin d’un coup de main. Laisse mon coup à moi tranquille, tu veux ? Je t’ai demandé conseil, pas de me le piquer. Merde, Suzie, j’ai un appel, c’est pour le boulot. Je te rappelle. Bisous à ta mère !

Je raccroche rapidement, agacée de son insistance à vouloir se taper Théo sans même savoir qu’il s’agit de lui. Elle qui le trouvait mignon, j’imagine qu’elle serait d’autant plus volontaire si elle était au courant que c’est avec lui que j’ai passé la nuit. Je n’ai même pas le temps de me calmer que je réponds à la fleuriste. Elle est arrivée à point nommé, quand même, parce qu’elle va me permettre de prendre du recul sur mes réactions et ma colère injustement tournée en direction de Suzie. J’ai bien l’impression que cette nuit était une mauvaise idée, de celles qui restent mauvaises, finalement, une fois le plaisir passé.

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