Aden et l'écaille du Dragon

3 minutes de lecture

Il l'avait ramassé sans la moindre malice, cette belle écaille mordorée. Il terminait juste le nettoyage de l'autel de sang, celui sur lequel on déposait, à chaque nouvelle lune, les offrandes au Dieu-Dragon. Aden n'était qu'un serviteur, à peine plus qu'un esclave. Mais il possédait le don unique de percevoir au-delà de l'apparence ou de l'aspect, l'histoire, les capacités, les particularités d'une personne ou d'un objet. Bien sûr, ce don, il le dissimulait depuis toujours, il n'était jamais opportun au sein du royaume d'Obéor d'en faire état. Sa cruelle reine obscure aurait eut tôt fait de le faire capturer, lui voler son âme et accaparer son pouvoir.

Ainsi vivait-il d'expédients depuis qu'il était enfant, acceptant toutes les basses besognes, aussi répugnantes soient-elles. Cette proposition venant du temple lui était apparue comme une aubaine. Le prêtre intendant, lui avait dit : 

"Tais-toi, fais ce qu'on te dit et surtout ne parle pas à l'extérieur de ce qui se passe ici !"

En échange, on le logeait, le nourrissait et on lui avait même donné des habits propres et des chausses neuves.

Durant un mois, il s'était astreint à donner satisfaction aux résidents du temple, nettoyant, rangeant, lavant, portant de lourdes charges. Se levant avant l'aube pour ne se coucher que bien après le crépuscule. Le travail était dur certes, mais il vivait en sécurité, mangeait à sa faim et ne grelottait plus de froid durant les nuits glacées.

Pourquoi ce jour-là ne s'était-il pas contenté de jeter cet artefact dans le seau à ordures qu'il trimballait toujours avec lui ? Pourquoi avait-il fallu qu'il le tienne dans le creux de sa paume plus longtemps que nécessaire ? Pour quelle raison s'était-il mis à l'écoute de l'écaille ? 

Il lui avait été tout simplement impossible d'ignorer la vibration émanant de sa trouvaille. Elle envahissait tout son corps, propageait sur son âme une onde de joie, et dans son cœur la certitude qu'il ne pouvait pas se contenter de cette existence sans saveur. 

Un chant avait bercé son esprit : "Conduis-moi au pic d'Émeraude et tu connaîtras une destinée glorieuse digne de toi et de tes ancêtres."  

Les accents tentateurs et suaves l'avaient convaincu ; laissant là son matériel de nettoyage, il avait regagné discrètement son grabat, rassemblé ses affaires, puis s'était enfui du temple, assez facilement d'ailleurs.

Depuis il sillonnait la contrée, une armée de poursuivants sur ses talons, traqué par tous les procurateurs royaux d'Askor. Sans relâche Aden recherchait cet endroit mystérieux, le pic d'Émeraude, un endroit mythique de légende, et dont l'emplacement exact n'était pas connu.

Jour après jour, il avançait, ne se nourrissant que très peu, maigrissant à vue d'œil, guidé par la voix de l'écaille qui susurrait à son esprit de mirifiques promesses. 

Il traversait des forêts sombres, des déserts brûlants, des steppes glacées. Il évitait les lieux habités pour ne pas se faire repérer. 

Des semaines après sa fuite, il arriva au pied d'une montagne couronnée de neiges éternelles. La voix de l'artefact le guida sur une sente étroite, lui assurant qu'au terme de cet ultime obstacle, sa quête se terminerait, et qu'il obtiendrait sa récompense.

Il s'engagea sur le raidillon glacé, frissonnant dans son habit léger et déchiré, mais toujours confiant…

Quand il arriva au terme du chemin, une tempête de neige soufflait sur lui, il fixa l'anfractuosité rocheuse qui blessait la montagne et d'où émanait une chaleur attirante pour lui qui tremblait de froid. Il s'approcha et sans hésiter y entra, alors le sol trembla et la caverne se referma derrière lui…

Depuis plus personne n'entendit parler d'Aden. Une seule certitude ; peu de temps après, la reine obscure d'Obéor mourut dans d'atroces souffrances, et son fils, un être doux et juste lui succéda sur le trône et la vie devint plus facile pour tous les habitants du pays. 

Le Temple dans lequel le jeune homme avait trouvé l'écaille, tomba dans une sorte d'oubli. Plus personne ne vint prier, plus personne n'apporta des offrandes. Le temps passa sur l'édifice qui se couvrit de lierre, et dont les pierres s'écroulèrent. Il devint légende, tout comme le nom d'Aden le voleur de l'écaille du dragon…

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Beatrice Luminet-dupuy ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0