6.

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Myriam resta quelques instants les yeux portés sur le jouet, pensant que c’était Erick qui la manipulait. Dans le lointain, des éclairs déchiraient le ciel et la moiteur redoublait dans le marais. La peur qui la tenaillait, elle s’écarta du puits et fit un pas en avant vers la table.

Elle risqua une deuxième foulée. Sa curiosité lui dictait de la récupérer et de la tracter jusqu’à la cabane pour la cacher dans le débarras.

Elle devait agir rapidement, Erick était parti depuis une heure. Myriam rassembla son courage, empoigna le meuble et le tira le long de la sente.

La sueur ruisselait et mouillait sa robe. « Fais vite ma fille, dépêche-toi d’arriver avant Erick », se disait-elle. Elle jeta un coup d’œil sur ses bottines sans lacets, ses jambes qui tremblaient et imagina Erick la gifler. Alors, sans s’arrêter, la panique dans le regard, elle se mit à accélérer avec les cheveux collés au visage. De retour à la Bruyère, elle entra dans le débarras. À l’intérieur, la pénombre noyait la pièce d’un bout à l’autre. Myriam se départit de la table derrière le tas de bois et la recouvrit d’une bâche.

Les premières gouttes de pluie fouettaient la cabane quand elle se réfugia dans la cuisine, s’épongea le front, saisit une assiette, une seule, qu’elle posa sur l’évier en pierre. Elle fit revenir un morceau de foie dans une poêle, versa du vin rouge dans un verre, et remit un peu d’ordre dans sa tenue. Myriam attrapa sa brosse à cheveux et sortit sur la terrasse.

Installée sur le rocking-chair, elle attendit patiemment le retour d’Erick, coiffant et lissant avec minutie sa chevelure prématurément blanchie, se rappelant qu’elle approchait de la trentaine. Son visage devint soudain froid.

Trente ans, un teint cadavérique, le corps gonflé par les coups, une fille abandonnée, et une grossesse non désirée. Elle détestait Erick au point d’imaginer qu’un jour elle l’empoisonnerait.

Myriam gratta le dessous de ses ongles noirs, regarda sa peau sale sans le moindre dégoût et serra les poings, se demandant comment elle pouvait supporter cela.

Myriam ferma les yeux et se souvint de la Fondation où elle avait grandi, il y avait si longtemps.

Sa mère lui avait coupé les cheveux courts et l’avait accompagné jusqu’à la grille de l’immense bâtisse. Une femme en blouse blanche était apparue en haut du perron, l'avait saisi par le poignet pour la conduire à l’intérieur.

Quand Myriam s’était retournée, sa mère n’était plus là.

Des mois plus tard, un matin, alors qu’elle dormait paisiblement, une main lui avait effleuré la joue. Elle avait ouvert les yeux, écarté les bras et poussé un bâillement.

Il se dressait devant elle avec sa bouille ronde, le visage parsemé de rousseur et son air malicieux. Un petit bonhomme à peine plus jeune qu’elle qui ne parlait pas.

Se souvenir faisait du bien.

Dans le froid de l’hiver 1976, la veille de Noël, le petit bonhomme aux taches rousse se tenait à ses côtés, un flambeau levé bien haut. Elle fredonnait une comptine qu’il aimait tandis que ses cheveux blonds tressés en deux longues couettes voletaient sous une nuit enneigée. L’eau avait gelé. Ils couraient dans le parc, puis s’étaient réfugiés sous la tonnelle. Il s’en était fallu de peu qu’il l’embrase.

« Étienne jette cette torche, tu vas mettre le feu partout ! », l’avait-elle sermonné.

Mais il s’en fichait et rigolait à tue-tête, s’était hissé sur la pointe des pieds, et l’avait embrassée dans le cou. Elle avait ressenti une vague de tendresse si puissante qu’aujourd’hui, elle gardait en mémoire ce moment merveilleux.

Sur la terrasse, Myriam s’endormit.

Dès qu’il rentra, Erick la trouva dans le fauteuil à bascule avec la brosse qui traînait à ses pieds. Il l’observa ouvrir la bouche, expirer, puis prendre une profonde inspiration.

Les joues empourprées par le vin, il ricana, se pencha sur elle avec la folle envie de se coller à elle et de l’étouffer. Il frôla sa peau du bout des doigts, laissant glisser sa main sur sa gorge si fragile.

Soudain il s’arrêta.

La respiration plus rapide, les pupilles dilatées, il se jeta sur elle, l’écrasa de son poids. Myriam voulut se défendre, mais il lui arrachait déjà la robe tandis que sous la chaleur humide du marais, avec ses gestes violents, il passait outre son désir de femme.

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