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Erick était le genre de bonhomme à effrayer les bonnes gens dans les rues sombres. Il avait la gueule de travers, sûrement qu’un gars encore plus corpulent la lui avait arrangé un soir de beuverie, une tronche et des dents aussi pourries que les premières marches de la cabane.

Myriam sentit son regard se poser sur elle, la déshabiller dès qu’elle apparut sous l’appentis.

La forêt engloutissait la baraque, nichée sur ce bout de terre tandis que la rivière voisine, à la fois magique et mystérieuse, renversait les troncs de quelques bouleaux dans les eaux tumultueuses. De simples squelettes décharnés, leurs cimes s’élevant droit vers le ciel.

Personne ne mentionnait l’endroit. Seuls quelques ruraux un peu plus courageux, s’aventuraient sur la rive opposée, comme si près de la maisonnette dormaient de mauvais esprits, prêts à se jeter sur eux.

Myriam s’appuya contre la balustrade, chercha une dernière fois sa fille. Mais très vite, son visage se durcit, et elle comprit qu’elle devait l’oublier jusqu’à son prénom.

Erick souriait. Maintenant que Pauline était partie, il savourait sa victoire en pensant aux jouets qu’il trouverait dans la décharge. Il grimpa les marches, s’avança vers elle et la gifla.

« Va chercher d’l’eau fraîche à la fontaine ! »

Myriam se laissa tomber à genoux, les yeux gonflés. Cette fois, il n’avait pas attendu d’être saoul pour la cogner. Dans un sursaut, elle se rebiffa en se redressant d’un bond, se garda de verser une larme, puis elle se précipita et lui enfonça les ongles dans la peau. Il ricana avant de la gifler à nouveau d’un simple revers de la main. La joue brûlante, Myriam s’empara du cruchon sur la table et s’exécuta.

Sur le chemin, ses jambes lui semblaient lourdes et butaient contre les racines. Elle resta plantée là, à regarder la rivière.

Enfin, elle éclata en sanglots.

Myriam reprit sa marche, les yeux remplis de larmes, et atteignit le puits artésien. Elle jeta le seau, le plongeant d’une dizaine de mètres jusqu’à heurter l’eau avec fracas.

Tandis qu’elle peinait à le remonter, la pointe de ses pieds qui partaient en glissade sur la pente boueuse, il y eut un bruit dans son dos qui la fit sursauter. Myriam relâcha la corde, resta un moment sans bouger.

Le craquement se tut.

Elle parvint à ravaler sa peur et regarda autour d’elle.

Elle était seule.

Elle retint son souffle et se dirigea vers les hautes herbes. Ses sabots écrasèrent une grosse touffe pour laisser apparaître des gouttes rouges qui coulaient sur la terre. Ses battements redoublèrent. Cela paraissait incroyable, jamais du sang ne pouvait ruisseler sans la présence d’une carcasse d’animal.

Pour en avoir le cœur net, elle écarta les fourrés et avant même de pouvoir reprendre sa respiration, elle découvrit une table. Une console carrée constellée de taches pourpres. D’où venait-elle ? Quelle pouvait être cette supercherie ?

Ses doigts caressèrent les gouttelettes sur le plateau qu’elle retira aussitôt. C’était du sang frais, mais quand elle renifla sa main, une odeur violente l’assaillit.

Ça sentait le soufre.

S’essuyant le nez, elle chercha en vain une explication.

Tout à coup, le visage flamboyant d’une Vierge apparut au milieu de la table. Un gel huileux dessinait les traits d’une femme qui pleurait. Prise de panique, Myriam voulut s’enfuir, mais ses jambes fléchirent.

Autour d’elle, la forêt semblait tournoyer. Elle s’imaginait flotter dans les airs, comme si le vent l’emportait. De façon étrange, Myriam eut l’impression de survoler la rivière, de s’enfoncer dans la bruine éparse du delta. L’instant d’après, elle ressentit la blessure d’un poignard lui transpercer le dos. La douleur d’une lame qui la pénétrait lentement et lui brisait les os.

Dans le lointain, le ciel s’assombrit et un bruit de tonnerre roulant résonna. La température chuta au point de la faire frissonner. Ses poumons brûlaient et un cognement sourd lui frappait la poitrine et les tempes.

Ce fut alors que le fracas s’arrêta, que la forêt se tut, et que le vent cessa.

Myriam tomba et resta allongée sur l’herbe, face contre terre.

« Comment diable une chose pareille était-elle possible ? », se demanda-t-elle retrouvant peu à peu les sensations de son corps.

Elle n’en revenait toujours pas, elle reprit son souffle, les jambes aussi froides qu’une congère. Elle sentit de nouveau l’humidité sous ses pieds, sa gorge sèche, et ses muscles endoloris. Elle eut envie de crier, mais sa voix resta éteinte. Elle ferma les yeux, saisie par un besoin irrésistible de dormir.

À son réveil, elle crut avoir rêvé. L’endroit si peu éloigné de la maisonnette rendait la situation encore plus absurde. Il fallait qu’elle se lève, qu’elle se sauve au plus vite, mais la petite table demeurait là. Elle n’était pas une illusion.

Elle pensa à demander de l’aide bien qu’elle savait qu’Erick l’attendait à la cabane et que personne ne viendrait à son secours au milieu du marais. Elle courut, priant que ce ne soit que le fruit de son imagination.

En arrivant à la maisonnette, les cheveux en désordre, on eût dit qu’elle revenait des enfers. Elle resta un moment pétrifiée sur la première marche, voulant dire quelques mots, regardant sans relâche les alentours. Elle gravit l’escalier d’un pas hésitant, atteignit la terrasse, se cogna contre la rambarde et remarqua à quel point sa robe était sale.

Erick décela bien l’effroi sur son visage, mais au lieu de s’inquiéter, il ne pensait qu’à se rafraîchir le gosier. Il saisit la cruche qu’elle lui tendait.

« Qu’est-ce que tu foutais tout c’temps ? »

Il but une lente gorgée, s’essuyant d’un revers de manche l’eau qui coulait sur son menton tandis que Myriam ne disait mot.

« J’m’en vais chez Charly.

— Est-ce que je peux venir avec toi ? le supplia-t-elle, en s’agenouillant, les mains cramponnées à son pantalon.

— Contente-toi d’préparer le déjeuner. », répondit-il avant de la repousser du pied.

Il écarta les bras, bâilla et descendit les marches. Se dirigeant d’un pas rapide vers son pick-up, il ouvrit la portière et s’engouffra à bord.

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