2.

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L’haleine d’Erick sentait déjà l’alcool et son cerveau était aussi ramolli que de la guimauve. Il tourna la tête pour la regarder entrer dans la cuisine, pensant qu’il se passerait bien de cette tête de linotte toujours à fouiner dans la grange où il cachait ses bouteilles.

Ce gars-là pesait bien ses cent dix kilos et, dès l’aube, engloutissait quatre à cinq litres de bière et de vinasse. Il conduisait souvent en état d’ébriété, mais connaissant la contrée mieux que quiconque, il se gardait d’emprunter les routes où la police patrouillait. La nuit tombée, il buvait pour de bon et s’endormait sur le fauteuil de la terrasse s’effondrant parfois au pied de l’escalier. Quand Myriam l’écoutait ronfler depuis la chambre, elle était soulagée de ne pas avoir à le traîner jusqu’au lit.

Quand les gens du patelin le voyaient débarquer à la foire, son sourire idiot au coin des lèvres, à fureter d’un œil louche autour des étalages, son bâtard de chien entre les jambes, les vieilles dames pressaient leurs sacs contre leur ventre et les commerçants le surveillaient, assurés qu’il préparait un mauvais coup. Un jour, alors qu’il venait de décrocher du boulot à la scierie du village, il s’était rasé de près et lavé le visage. Seule sa bouche empestait à plein nez. Pendant que la lame équarrissait un énorme billot, Erick s’était assoupi, la tête posée sur les avant-bras à environ dix centimètres du feuillet. Par chance, le chef d’atelier l’avait surpris et renvoyé sur-le-champ.

« Qu’est-ce que tu fais ? hurla-t-il, j’en ai m’claque d’toi, tu entends, petite sotte. Apporte l’tabac, vont arriver les gars d’la ville », le reste des mots demeurèrent coincés dans son gosier au moment où un véhicule se pointa sur la passerelle.

Myriam déboula sur la terrasse, le paquet de Caporal « gris » à la main et vit à l’entrée du chemin un nuage de poussière, qui perdura suspendu un instant puis se dissipa. Le bruit du moteur se tut. Erick porta la trappiste à ses lèvres, l’avala d’une seule gorgée, rota avant de l’envoyer au pied du cyprès. La bouteille traversa les mousses blanches, ces sortes de lianes qui la nuit, avec leur couleur argentée, pouvaient effrayer un rôdeur, et s’éclata sur un tas de chopines vides.

Dans la chambre, au bruit du moteur de la voiture, Pauline sursauta. Elle se précipita vers la fenêtre. Ses doigts écartèrent le journal qui bouchait la vitre ; elle pencha la tête, jetant un rapide coup d’œil vers le chemin puis sur l’arrière de la cabane, à l’endroit, où la carcasse d’un camion disparaissait sous les ronces.

Elle hésita quelques secondes.

L’ours en peluche serré contre elle, l’adolescente escalada par-dessus le châssis, l’enjamba et sauta de l’autre côté. Tombant lourdement au sol, elle poussa un petit cri, se releva, épousseta sa robe et partit se cacher dans le hangar.

Erick ne l’avait pas vu trop occupé à se recoiffer, un cracha dans les mains pour lisser ses cheveux. Il se mit à fredonner une fadaise entre ses dents pourries.

« Surtout, ne fais pas de bruit, ne parle pas », se répétait Pauline quand elle ouvrit la porte doucement pour ne pas faire grincer les gonds rouillés. Elle la rabattit aussitôt derrière elle.

Dans la pénombre, elle marcha pieds nus, les bras tendus, le bout des doigts palpant les choses. La prudence s’imposait ; l’endroit ployait sous le fatras de bric-à-brac qu’Erick avait rapporté de la décharge, de vieux meubles en piteux état, des jouets cassés, et une pile d’anciens bulletins de vote jaunis et rongés par les rats. Elle trébucha contre un tabouret, étouffa un cri de la main. Finalement, elle s’aplatit sur la terre battue, et rampa jusqu’à un stère de bois, contre lequel elle s’écorcha le genou.

Elle se mit à pleurer à chaudes larmes avant de se consoler en pensant que sa mère la tiendrait bientôt dans les bras pour la protéger.

Dans la fournaise de la grange à charrettes, l’atmosphère était écrasante, oppressante comme une jungle. Elle suffoquait. Lorsqu’elle entendit des pas s’approcher, sa bouche s’ouvrit. Dissimulée derrière les bûches, elle arrêta de respirer.

La tête pressée entre les cuisses, elle chuchotait à son ourson que tout irait bien.

« Chut Boum, ne fait pas de bruit, maman va venir pour nous sauver, chut ! dit-elle en lui mettant le doigt sur le museau, puis nous irons nous balader près de la rivière, tu sais là où la petite table nous raconte des histoires. »

Une attente insupportable commença.

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