10.

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La vision de Pauline dansait encore dans l’esprit de Maude lorsque, frigorifiés et trempés, ils arrivèrent au pied de la véranda.

« Entrez, dit Erick, je vais préparer un chocolat chaud. »

Maude ne comprenait pas pourquoi elle était la seule à percevoir la jeune fille. À la cuisine, la bouilloire était déjà remplie et les tasses attendaient sur la table. Erick servit Maude aussi rapidement qu’il le put et l’invita à s’asseoir dans la canfouine. En entrant dans le bureau, elle se sentit enfin détendue et but par petites gorgées pour se réchauffer. Ils demeurèrent silencieux un moment, puis Erick se leva en repoussant sa chaise et lui suggéra de patienter ici pendant qu’il se chargeait de débarrasser. Arrivée à ce point, Maude n’osa même pas lui demander si Étienne était là, se contentant de lui adresser un remerciement. Tandis qu’elle s’efforçait de reprendre ses esprits, elle observa avec attention l’intérieur de la pièce. L’endroit était sombre, aussi exigu qu’une largeur d’escalier, avec un énorme meuble Louis XV agrémenté de quelques bibelots en porcelaine et de bouquins qui s’y étalaient. De rares cadres chinés dans les brocantes tapissaient les murs. En les regardant de plus près, elle eut l’impression d’être en plein cauchemar, repérant d’anciennes divinités qui exhibaient des griffes tranchantes, des démons revêtus de peaux de léopards qui dansaient. Sur le chariot de l’Underwood, une feuille attira son attention. Maude s’approcha et lut le début du paragraphe qui y était frappé. C’était une trouvaille inattendue. Sa première réaction fut la sidération.

25 mai 1994.

Le marais s’éveillait, l’aube n’allait pas tarder à poindre et à jeter ses premières lueurs sur la Bruyère. Myriam referma la penderie, le seul meuble de la chambre. L’armoire, les portes recouvertes de papier peint, dressait sa masse au-dessus du matelas. Le bahut, planté là, ne risquait pas d’encombrer l’espace sombre et réduit. Elle rentra la tête dans les épaules pour se rapetisser, soucieuse de ne pas réveiller sa fille qui dormait. La pièce ressemblait à un triangle de billard, biscornu et bancal avec les planches du sol déclouées. La fenêtre aux carreaux cassés laissait l’endroit ouvert à tous les vents. En ce mois d’avril, une nuit étouffante et une pluie chaude s’étaient abattues sur le marais rendant l’air comme une étuve. Où que le regard se pose, la chambre paraissait vide. Myriam recula sur la pointe des pieds pour s’éloigner sans bruit, agrippa la poignée avec une larme coulant sur sa joue. Elle observa sa fille.

Ce n’est que quand elle eut terminé sa lecture qu’elle se retourna et sursauta de stupeur appuyant une main sur la poitrine. Erick, grand et imposant, se tenait sur le seuil, le visage presque caché par l’ombre de la porte. Il lui jeta un regard froid, parfaitement insensible.

« Dès le début, votre présence chez nous ne m’a guère enchantée, je vous surprends à fouiner dans mes affaires, sûrement votre curiosité malsaine.

— Pas du tout, je me suis dit que tant qu’à rester seule ici, je pouvais m’attarder et survoler les objets de votre bureau. Ai-je fait quelque chose qu’il ne fallait pas ? »

Erick continua à la regarder impassible.

« Cela fait deux mois que je n’ai rien écrit d’autre. Je suis las, sans le moindre désir de poursuivre », dit-il en mettant les mains dans les poches.

Maude aurait voulu lui mentir, dire qu’elle n’avait rien remarqué de particulier dans le début du roman, au lieu de cela, elle ressentit un vif embarras.

« Je n’ai pas eu le temps de lire…

— Vous vous débrouillez à merveille pour tromper les gens », dit-il comme s’il pouvait s’immiscer dans ses pensées.

Maude, morte de honte, se mit à rougir, comprenant qu’avec Erick, elle devait agir avec franchise. Sa présence dans le bureau lui semblait à présent ridicule

« Je suis vraiment désolée Erick, est-ce que vous accepteriez de me faire visiter la chambre d’Étienne, il doit sûrement s’y trouver ?

— Myriam peut s’en charger, elle est dans la cuisine, maintenant, laissez-moi tranquille, exigea-t-il, le visage assombri.

— Merci pour le chocolat, murmura-t-elle en se frayant un chemin dans la pièce étriquée.

— Pas la peine de me remercier ».

En sortant, elle remarqua qu’il avait les larmes aux yeux. Une petite voix dans sa tête lui criait : quelle idiote tu fais !

« Je suis ravi que vous le pensiez », dit-il en souriant.

Abasourdie, elle releva le menton vers Erick, sentit son cœur se serrer, croyant avoir parlé à haute voix.

Maude prit une profonde inspiration, quitta le bureau. Dans le vestibule, elle sortit son portable de la poche et envoya un texto à Seeker :

Est-ce que tu es bien arrivé à Toulouse ?

Puis, elle s’empressa d’aller rejoindre Myriam. La cuisine était déserte. Maude s’avança près de la fenêtre donnant sur les pâturages et le ruisseau à l’arrière de la Créole, entendit le vrombissement du tracteur de Monsieur Tach au loin et aperçut Myriam qui étendait le linge. Son téléphone vibra :

Oui, c’est tout ?

Maude sourit légèrement :

Non, je t’aime.

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