7.

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En pénétrant dans l’airial, Maude frissonnait encore sentant à la noirceur des yeux de l’enfant qu’une présence démoniaque sommeillait toujours en lui, mais son instinct lui criait de ne pas aborder pour le moment son étrange métamorphose avec ses parents. Elle constata qu’Erick était là, sous la véranda, se fondant dans la pénombre, lorgnant dans leur direction. L’espace de quelques secondes, elle eut l’impression qu’il les avait suivis jusqu’à la cabane. Son regard si froid l’arrêta net de marcher. Elle éprouva un tel sentiment de gêne qu’elle pâlit, aussi blanche qu’un drap. Elle pouvait lire sur ses traits un mélange de colère et de méfiance, avec une manière bien particulière de la fixer qui signifiait : la seule chose qui t’intéresse c’est la publicité que cette affaire va t’apporter. Elle fit mine de l’ignorer, continua d’avancer en boitillant, ses escarpins rouges la faisant souffrir à chaque fois qu’elle se tordait la cheville, le talon enfoncé dans le sable. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas le temps de lambiner avec ces conneries, il ne m’apprécie pas, et sans doute il ne m’appréciera jamais, il peut penser ce qu’il veut de moi, je m’en contrefiche, songea-t-elle, exaspérée.

Sous la rotonde, Myriam avait débarrassé la jolie vaisselle en porcelaine, et son absence laissait imaginer qu’elle devait sûrement errer à l’étage, peut-être même dans sa chambre à maquiller ses yeux gonflés, signe qu’elle avait pleuré. Les mains dans les poches, une cigarette au coin des lèvres, libérant la fumée sur son visage, Erick alla s’asseoir dans le rocking-chair sous la coupole dans le jardin. Sa froideur paraissait s’estomper. Il n’était guère plus de treize heures et la chaleur traînait dans l’air. Maude relâcha la main d’Étienne qui bâilla et elle fut presque soulagée de le voir courir en direction de la bâtisse. Alors qu’elle s’apprêtait à ranger ses affaires, Erick esquissa un petit sourire.

« Veuillez m’excuser pour mon accueil, je ne souhaitais pas être désagréable, mais je ne suis pas sûr que vous soyez la bonne personne pour aider Étienne, ce que nous vivons ces derniers temps est… étrange. »

Maude, surprise, plissa le front s’attendant à tout de sa part, sauf à des excuses.

« C’est rien. Je crois que vous faites erreur, dit-elle poliment, ce genre de trouble est ma spécialité.

— Alors, qu’en pensez-vous ? Que lui arrive-t-il ? reprit-il sans cesser de la fixer.

— Je suis certaine que tout va rentrer dans l’ordre, mais vous devez faire preuve de patience, fit-elle sentant le poids de son regard sur elle. Au cours de la promenade, son comportement a changé dès que nous nous sommes approchés de la cabane près de la rivière, avez-vous ressenti ou noté quelque chose de particulier en vous y rendant avec votre fils ces derniers jours ?

— Il s’y trame des choses terribles. Cela frôle l’exorcisme avec des démons qui semblent le posséder. J’ai peur pour lui, dit-il, le visage enfoui dans les mains.

— Je suis prête à parier qu’une explication raisonnable serait de nature à éclaircir cela.

— C’est pourtant la vérité. Au début, je me mentais à moi-même, je ne voulais pas y accorder d’importance, mais la fois où, nous sommes retournés là-bas… »

Erick laissa ses paroles en suspens quelques secondes comme pour mieux faire comprendre à Maude que tout était bien réel.

« Il avait l’air tellement heureux le jour où je lui ai proposé de rafraîchir cette bicoque pour y installer un télescope… j’aurais dû suivre les conseils de notre voisin, ne plus y remettre les pieds. Monsieur Tach m’avait prévenu, Étienne ne devait en aucun cas pénétrer à l’intérieur de la Bruyère.

— La Bruyère ? s’étonna-t-elle.

— C’est le nom de cette maison, elle porte la poisse. »

Le visage livide, on aurait cru qu’Erick se transformait en zombie.

« Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

— Il y a vingt-huit ans, la gamine qui vivait là-bas a disparu. Elle revenait du collège un mercredi après-midi, avec un sourire timide et des bouclettes brunes qui tombaient en cascade sur sa nuque. C’était une très jolie jeune fille, la mèche toujours recoiffée derrière l’oreille. L’autobus l’avait déposé près des boites aux lettres. Assis sur le ponton, sous l’ombre du cyprès chauve, Monsieur Tach, notre voisin l’avait observé longuement marcher dans le chemin, un sac en bandoulière, des écouteurs sur les oreilles. Elle portait une jupe imprimée qui se soulevait sous la brise et lui montait jusqu’en haut des cuisses. Il avait esquissé un salut de la main, mais Pauline n’avait pas répondu, ce jour-là, elle paraissait triste. Au-delà des prairies, la gamine s’était engouffrée dans la forêt en suivant la rivière. Les mois d’après, pas la moindre piste ni progrès dans l’enquête, Pauline avait tout bonnement disparu, seule une peluche fut retrouvée, dissimulée dans un buisson. C’est Alfred, le fermier qui possède cinq vaches, qui la découvrit. »

Il eut une espèce de sursaut des épaules.

« Cette histoire est sinistre et cet endroit si charmant maléfique, vous pouvez me croire, lâcha Erick d’un ton rageux. »

C’était la deuxième fois que Maude entendait le prénom de Pauline. Elle se rappela la camarade de classe dont lui avait parlé Étienne, tout en balayant de la main un moustique qui lui batifolait autour.

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