L'union des esprits

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La première fois qu’un terrien les vit, il fit une crise cardiaque qui lui fut fatale. Le second terrien eut un peu plus de chances peut-être, mais les autres ne le crurent pas et il fut envoyé dans une maison de repos pour que son esprit guérisse. Il n’y avait rien à guérir. Les apparitions suivantes ne furent pas commentées et nulle trace n’en resta jusqu’à la petite Daisy Brennan. La fillette jouait sur la colline devant sa maison lorsque le bruit avait attiré son attention. Elle avait fini par rentrer en courant chez elle en criant à ses parents :

- Les corbeaux ! Les corbeaux !

Et ses parents n’avaient pas compris les raisons de sa terreur manifeste avant de les voir. Trois énormes masses noires flottaient dans le ciel, éjectant une vapeur noire horrible et à chaque changement de direction ou d’allures, les machines semblaient hurler… Non, elles croassaient. Ce n’était en rien des corbeaux mais l’aura de mort était dans leur sillage. Ils observèrent le phénomène durant plusieurs minutes et un nouveau croassement fit vibrer l’air, les jetant presque au sol. L’instant d’après, ils n’étaient plus là.

Les journaux de la région parlèrent bien des « corbeaux » dans les jours qui suivirent. Certains allèrent jusqu’à faire des dessins de ces grands oiseaux sans becs ni tête mais avec une paire d’ailes et de la fumée noire. Les témoignages étaient nombreux, mais certains parlaient d’un œil qui les observait fixement et de l’angoisse terrible qu’ils avaient ressenti. C’était comme une pression dans l’air et une certitude, cette chose pouvait les tuer.

Il n’y eut plus aucune apparition des corbeaux avant plusieurs décennies et lorsqu’ils revinrent, une dizaine de téléphones tremblotant prirent leur image. Les satellites se braquèrent sur eux. D’où venaient-ils ? Les journaux ressortirent les vieilles histoires des corbeaux et on parla à nouveau d’eux.

Les vaisseaux finirent par se stabiliser, sourd à toute demande, au-dessus d’une maison isolée, loin des villes au fin fond de la Suède et ils attendirent, totalement immobile comme si la gravité n’avait aucun sens pour eux. L’unique habitant de la petite ferme de bois s’appelait Matthew. 24 ans. Engoncé dans plusieurs couches de vêtements épais de mauvaises factures, il observait le ciel et l’horizon tour à tour. Il avait suivi la progression des corbeaux de très loin en allant en ville à deux reprises d’affilés, la première pour se ravitailler, la seconde pour une livraison. Aux dernières nouvelles, ils étaient au milieu de la mer alors que faisaient-ils à présent au-dessus de chez lui ? Il fallut plusieurs minutes pour qu’il admette l’impensable : ils ne bougeaient plus. Trois corbeaux immobiles au-dessus de sa maison. Il pesta entre ses dents, observa l’horizon à nouveau. Les journalistes devaient les suivre de près, peut-être également les flics de toute la région ou l’armée ? Il déglutit et jeta un coup d’œil mal à l’aise au hangar attenant. Ça ne pouvait pas bien se finir.

- Dégagez ! cria-t-il au ciel.

Mais les vaisseaux restèrent immobiles pesant lourdement dans l’air. Au loin, des véhicules approchaient visiblement et on allait forcément lui demander ce qu’il faisait là, dans cette ferme isolée. Ils allaient forcément finir par ouvrir la grange… Le stress monta d’un cran et il fit de grand geste vers le ciel pour les chasser puis il saisit une pierre qu’il jeta dans leur direction. Rien ne les atteint, ils étaient de toute manière trop haut.

Il cria une nouvelle fois et observa les alentours, un peu perdu. S’il n’arrivait pas à les faire fuir, alors le mieux serait de partir. Malheureusement, la maison était à son nom, on finirait par le retrouver. Il ne fallait pas juste s’éloigner quelques jours, s’il partait, ce serait pour une cavale. Il pesta. Réunir toutes ses affaires allait prendre du temps, il fit demi-tour pour se précipiter dans la maison glaciale poussant la porte qui rebondit sur le mur pour revenir vers lui avec force. Matthew grogna et poursuivit tout en pestant. Lorsqu’il voulut ouvrir le tiroir à chaussette, il l’arracha et le fit tomber, alors ce fut au sol qu’il fouilla à l’intérieur. L’une des paires ne faisait pas le même bruit, il l’enfourna dans la poche de son blouson. Le jeune homme était en train de pousser une chaise sous la cachette suivante qui se trouvait dans le faux plafond lorsqu’un long et profond croassement se fit entendre. Son cœur accéléra sous l’angoisse et il se jeta au sol. Le son augmentait de plus en plus et bientôt, sa voix rejoignit la cacophonie. Il était terrorisé, ce son, cette pression, … Soudain le croassement cessa. Matthew était au sol, choqué. Il fallait vraiment qu’il se barre d’ici, le plus vite possible et pas seulement parce que les flics arrivaient… Il remit la chaise en place, elle était tombée avec lui, et il grimpa dessus. Il était en train de pousser le faux plafond lorsqu’un nouveau bruit se fit entendre. Un bruit étrange.

Il se retourna et hurla en tombant en arrière, se cognant contre un mur. Le jeune homme se redressa aussi sec, oubliant les deux rouleaux de billets qui lui avaient échappé. Son corps tout entier se contracta contre le mur derrière lui, incapable d’esquisser le moindre mouvement supplémentaire. Devant lui se trouvait l’un des habitants du vaisseau. Un corbeau. Matthew haleta. La vue monstrueuse sembla lui ôter toute forme de force dans les jambes, elles se mirent à trembler et il glissa contre le mur, les bras blottis contre son torse dans une tentative de défense pathétique.

La forme noire avança vers lui. Il observa ses pattes bouger avec lenteur, hésitant quant à l’endroit où se poser. Chacun de ces quatre doigts se courbait afin de prendre appui tranquillement. La maison était en bordel. Matthew n’était même pas sûr d’avoir un balai quelque part. Et rentrer un aussi grand corps ici était un exploit en soi. L’être -l’animal ?- s’en sortait à merveille, se contorsionnant gracieusement pour éviter chaque obstacle. Matthew observa ses mouvements quelques secondes avant de comprendre réellement qu’il venait vers lui. Ses pieds tentèrent de le faire reculer mais le mur, dans son dos, empêcha tout mouvement. L’alien s’immobilisa, l’avant de son corps démesurément grand se pencha vers l’avant et l’une de ses pattes se tendit vers lui. Matthew se jeta sur le côté pour l’éviter, mais avant qu’il ne finisse totalement au sol, l’autre l’avait saisi, étrangement rapide.

Un croassement sortit de l’être au moment où il hurla de terreur. Les doigts qui s’étaient refermés sur lui avaient mis trop de pression, ils lui faisaient mal. Ils étaient tièdes et leurs textures étranges comme s’ils n’y avaient pas d’os à l’intérieur, le révulsa. Matthew envoya la paume de sa main l’entrechoquer pour le repousser, mais la prise était inflexible et elle le souleva. Il cria à nouveau en se débattant de plus en plus fort, mais il finit debout et bientôt, il décolla du sol. Il hurlait franchement maintenant, espérant que les véhicules qu’il avait vu au loin débarquent dans l’instant ! Mais personne n’arrivait. Il était pendu par le bras, il tentait de se raccrocher à n’importe quoi pour limiter la douleur : en vain. L’alien le garda ainsi quelques secondes avant de le rapprocher de son corps qui sembla s’incurver.

Matthew hurla plus fort en comprenant qu’il allait le manger ! Il remua, tenta de mettre des coups de pieds, mais l’une des autres pattes saisit sa jambe et bientôt tout son corps fut plaqué contre lui, totalement immobilisé. Matthew hurlait toujours, mais il ne pouvait plus du tout bouger, deux pattes l’ayant collé au tronc creusé du corps de l’alien. Heureusement, rien ne venait le mordre pour le dévorer comme il l’avait cru.

Le visage collé à la substance noire, tout aussi étrange que les doigts, il ne pouvait rien observer, mais il sentit le déplacement. Il mit quelques secondes avant de comprendre qu’on était en train de le kidnapper. Kidnapper par des putains d’aliens ! Il redoubla d’efforts et eut envie d’hurler de nouveau en comprenant que le corps de cet être s’adaptait simplement à ses mouvements sans que ça ne lui fasse rien. Il sentit l’air un peu plus frais de l’extérieur à l’arrière de sa tête puis un brusque mouvement vers le haut avec un croassement qui acheva de le traumatiser et puis plus rien. Il se sentait un peu mou, perdu, hagard. Les bras le tenaient toujours. Il avait peur. Il voulait partir, mais il le tenait trop fort. Les larmes coulaient le long de ses joues, détrempant la peau étrange de l’alien. Est-ce qu’il le sentait ? Matthew hoqueta un peu plus fort en tremblant comme une feuille.

On le déposa finalement. Il ouvrit les yeux, plusieurs fois d’affilés. Il était devenu comme aveugle. Non, c’était la pièce qui était noire. Comment pouvait-elle être aussi noire que ça ? Elle semblait aspirer la lumière.

- Qui… Qui êtes-vous ? Laissez-moi partir. Je… Je n’ai rien à faire là.

Rien ne lui répondit, tout semblait calme, paisible, mais dans sa tête il revoyait cet être étrange bouger tranquillement sans faire le moindre bruit. Il tâtonna autour de lui sans vraiment savoir s’il voulait trouver quelque chose ou s’il espérait surtout ne rien trouver. Il n’y avait rien. Il fallait qu’il se déplace et qu’il sorte de là. Il fallait qu’il réagisse. Est-ce que finalement cette créature l’avait mangé ? Peut-être se trouvait-il dans son ventre ?

- Est-ce qu’il y a quelqu’un ? S’il-vous-plait. Répondez-moi.

Plusieurs sons se firent entendre d’abord sur sa droite puis sur sa gauche. Il chercha à localiser les sources sans les trouver pour autant mais les bruits semblaient venir de loin. La pièce avait l’air immense. Il tâtonna un moment dans une direction, avançant à quatre pattes sans jamais rien trouver. Le sol avait la même texture que l’alien. Il refusa de repenser à l’estomac et s’immobilisa un moment.

- Laissez-moi partir… murmura-t-il avant de reprendre plus fort. Laissez-moi partir ! Je vous ai dit de me laisser partir bande de connards ! Vous m’entendez ! Laissez-moi partir !

Il hurlait franchement à présent, mais le silence fut la seule réponse qu’il reçut. Ainsi plongé dans le noir, il était très difficile de savoir depuis combien de temps s’était écoulé mais il commençait à avoir sérieusement envie d’un joint. Il était à peu près sûr que les véhicules avaient eu le temps d’arriver, leurs occupants avaient dû en descendre et assurément les flics avaient dû fouiller la propriété. Est-ce que c’était en cours ou est-ce qu’il s’était fini ? La grange avait dû livrer ses secrets en dévoilant des centaines de plants de cannabis. Autrement dit, il était fini. Matthew. 24 ans. Fini. Il éclata d’un rire sinistre. Il avait surtout été kidnappé par des -putains- d’extraterrestre alors même s’il finissait en taule, ce ne serait pas plus mal.

Le sol vibra sous lui, attirant son attention. D’abord ce fut doux et délicat puis peu à peu plus violent. C’était sans doute l’armée qui attaquait leur fichu vaisseau, se dit-il en éclatant de rire. Les chocs se durcirent encore, l’envoyant voltiger, heureusement, la texture du sol lui permit de ne pas se faire trop mal mais il se replia néanmoins en boule pour se protéger. Et comme les sons, tout s’arrêta soudain et l’attente reprit.

Il se sentait de plus en plus fatigué et déshydraté. Avaler sa salive aider à calmer la sensation de soif, mais son corps peinait de plus en plus à en produire. Il se laissa tomber sur le côté et se recroquevilla sur lui-même. Il allait mourir là. Il était incapable de trouver la sortie alors il allait simplement mourir là, délaissé et abandonné.

Un grand flash lumineux le réveilla. Il papillonna des yeux un moment et observa autour de lui, se protégeant de son mieux lorsqu’un nouveau flash l’aveugla. La lumière baissa en intensité et il put enfin voir ce qu’il y avait autour de lui. Il hurla. Il y en avait un juste au-dessus de lui. Il était littéralement entre ses pattes. Mais ce n’était pas juste sa présence qui l’affola, il y en avait des centaines, bougeant tranquillement sans faire le moindre bruit. Les lumières s’arrêtèrent mais il continua de crier et de supplier, rouler en boule sur lui-même. Il y en avait de partout. Absolument de partout. Il se revit entrain de tâtonner et devina que les pattes avaient dû bouger au grès de ses mouvements pour l’éviter.

- Non, non, non, non, non… non… non. Arrêtez. Arrêtez, s’il-vous-plait. Laissez-moi partir. Sanglota-t-il sans oser se redresser.

Cela dura des heures… puis l’épuisement le rattrapa et avec lui, la froide constatation de sa faim. Il avait faim. Il n’avait jamais faim normalement alors depuis combien de temps était-il coincé là ? La soif lui faisait mal. Il s’endormit. Au réveil rien n’avait changé à part une certitude. Il savait maintenant qu’il allait mourir. C’était une évidence. S’il ne sortait pas d’ici très vite, il allait mourir. Il n’avait pas vu la moindre sortie mais s’il parvenait à atteindre la paroi la plus proche, en la longeant il trouverait peut-être quelque chose comme une porte. Lentement, il se releva. Il tremblait comme une feuille. Il avança, fermant les yeux et priant pour qu’ils se poussent tous à temps. Il marcha lentement mais il marcha. Au bout d’un certain temps, il pensa à compter ses pas. Il atteignit le triste chiffre de 300, puis 750 et enfin 1200. Il n’avait rien trouvé, rien touché et il était impossible de savoir s’il était proche du but ou s’il n’avait fait que s’éloigner.

Il s’effondra encore, impuissant. Il comatait à moitié lorsqu’on le toucha à nouveau comme la première fois, il fut saisi, plaqué et bloqué puis transporté. On le déposa dans sa propre maison et il fut libéré. Il resta immobile, une seconde, devant l’être horrible, qui se tenait dans son salon. Tout avait été renversé, sans dessus-dessous. Lentement, Matthew se détourna pour courir jusqu’à la cuisine actionner le robinet pour avaler une bonne goulée d’eau. L’alien était encore là. Il le suivait. Matthew trembla. Il avait un tazer dans l’un des tiroirs, il l’ouvrit et découvrit qu’il n’y était plus. Il devait fuir. Il fit un pas en arrière, la créature avança d’autant. Il partit en courant et sans le moindre bruit le corbeau parvient à le suivre. Il se précipita à l’extérieur et s’arrêta en découvrant la scène surréaliste. Plusieurs chars d’assauts tiraient dans sa direction mais leurs munitions semblaient juste disparaitre le long d’une zone invisible sans faire le moindre bruit. Il avança jusque-là, provoquant un grand émoi chez les humains de l’autre côté qui sortirent des véhicules et observèrent avec attention. Le corbeau le suivait toujours. Ses doigts finirent par toucher la barrière, elle était solide. Infranchissable. Il tapa dessus et se fit simplement mal.

De l’autre côté ses congénères l’observaient avec terreur. Il se retourna, le corbeau était juste là, contre lui. Il hurla et se recroquevilla contre la barrière, mais l’alien ne remua pas et le laissa glisser vers le sol pour s’échapper. Il s’éloigna de quelques mètres et attendit, en pleurant, le visage plaqué vers les autres humains qu’il ne pouvait rejoindre.

Finalement, une personne s’approcha avec un panneau sur lequel il y avait écrit :

« Est-ce que vous allez bien ? »

Il fit « non » de la tête en tremblant.

« Est-ce que vous êtes blessé ? »

Il pencha la tête sur le côté tout en touchant son bras douloureux. Rien de vraiment urgent. Il arrivait à le bouger.

« Est-ce qu’ils communiquent avec vous ? »

Il fit de nouveau « non » de la tête après un petit instant d’hésitation. Était-ce vraiment vrai ? Il trembla en se tourna vers le corbeau immobile qui attendait sans faire le moindre geste. Est-ce que les sons, les lumières et les vibrations -parce que visiblement rien ne venait secouer le vaisseau de l’extérieur-, est-ce que ce n’étaient pas des tentatives de communications ?

Il attendit la question suivante un long moment, en tremblotant mais « savez-vous pourquoi vous ? » ce n’était pas une question qui l’intéressait : il n’avait pas la moindre réponse. Il hésita et se redressa. Il était épuisé. Vraiment épuisé. Tout en jetant un coup d’œil au corbeau immobile et flippant, il le contourna, avançant lentement vers la maison. L’autre humain secoua son panneau mais n’arriva pas à attirer Matthew.

Sa maison était un vrai capharnaüm, mais il ne trouva ni papier, ni stylo. Il éclata d’un rire triste. L’alien le suivait toujours tranquillement, sans faire le moindre bruit. Il retourna boire un peu et ouvrit un placard vide pour trouver quelque chose à manger. Il s’était ravitaillé il y a peu, mais il n’avait déjà plus grand-chose et il ne se sentait vraiment pas de faire chauffer un peu d’eau pour faire cuire quelques patates, même si c’était là son aliment principal. Baissant la tête, il dut s’avouer qu’il avait plus urgent à faire. Il devait passer aux toilettes. Ce n’était pas un moment agréable, il fit de son mieux pour fermer la porte, mais l’alien la réouvrit simplement et il dut se résoudre à accepter. Les mains fermement nouées sur les genoux, la tête basse, il fit ses besoins et s’essuya rapidement. L’alien s’écarta ensuite pour le laisser passer alors il attrapa un paquet de chips aux crevettes et un grand verre d’eau puis retourna près de la muraille qui lui interdisait de rejoindre la civilisation. Il s’écrasa contre et se blottit sur lui-même ouvrant son paquet et mangeant. Il était trop épuisé pour faire quoique ce soit d’autres. Le corbeau s’était figé à quelques centimètres de lui à peine.

Les autres avaient dû comprendre qu’il ne répondrait plus pour le moment et se concentraient sur l’observation du corbeau. Son corps étrange à six pattes ou peut-être six bras était difficile à appréhender.

Matthew dormait presque et dehors la nuit était en train de tomber, lorsque les doigts tentaculaires du corbeau le saisirent de nouveau. Il hurla encore une fois à s’en déchirer la gorge. De l’autre côté, les autres humains criaient eux-aussi, incapable de l’aider. Son paquet de chips lui échappa et il cria encore mais il se retrouva à nouveau plaqué contre le corps noir étrange. Le transport fut assez court et il fut moins surpris cette fois-ci en arrivant dans un endroit totalement sombre. L’humain se recroquevilla sur lui-même en pleurant jusqu’à sombrer dans un profond sommeil.

Ce fut le bruit qui le réveilla. Le croassement. Il ne voyait rien mais le bruit était de partout. Ses mains fermement plaquées contre ses oreilles ne lui permirent pas d’y échapper et rien ne put le protéger de la pression sur son corps. Mais le pire c’était encore la certitude qu’ils bougeaient. Ils bougeaient. Où l’emmenait-il ?

***

Il y avait un paquet de chips aux crevettes sur le sol. C’était tellement incongrus qu’il mit un très long moment à le tâter puis à l’ouvrir en le reniflant doucement avant d’oser gouter. Il aurait pu jurer que c’était son paquet de chips aux crevettes, de la même marque, à part que le sien était déjà ouvert et tombé lorsqu’il l’avait amené. Ce paquet là était neuf. Plus loin, à tâtons, il trouva un verre rempli d’un liquide inodore qu’il finit par gouter à son tour. De l’eau.

Matthew s’arrêta pour observer le vide autour de lui, le noir était absolu et pourtant il se doutait qu’il y avait des corbeaux de partout et un en particulier qui ne le lâchait pas d’une semelle. Tout en frémissant il fit de son mieux pour se nourrir et pour réfléchir. La première fois il n’avait rien trouvé. Cette fois-ci, il avait trouvé trois choses. Les chips à la crevette, les mêmes qu’il avait prise chez lui. Le verre d’eau, son verre d’eau un peu ébréché avec des formes creusées sur le côté. Et puis maintenant, des toilettes. Ses toilettes. Il avait la désagréable sensation d’avoir été étudié. Tout en reniflant un peu, dans un élan d’auto-dérision, il lâcha :

- Dommage que je ne sois pas allé fumer un pet ou deux… et puis pioncer. Un bon lit vous savez ce que c’est ? Putain.

Personne ne répondit, bien-entendu. Il se passa encore un certain temps avant que la moindre chose ne se passe et il aurait préféré que cela dure encore un long moment. Une main le saisit, il sentit les espèces de tentacules serraient autour de lui jusqu’à ce qu’il lâche un cri. Puis une autre main attrapa son autre avant-bras avec la même force et puis deux autres saisirent ses jambes sans chercher à le soulever mais sans lui permettre de bouger malgré tout. Deux autres mains étranges vinrent à son contact avec plus de délicatesse, caressant ses cheveux, fouillant dedans jusqu’à éteindre son crâne, puis tirant dessus jusqu’à en arracher quelques-uns. Le jeune cria, se débattit et chercha à se défendre, en vain. Il paniqua totalement lorsque les doigts explorèrent son visage, se glissant sur ses paupières, les ouvrant de force et effleurant ses yeux. Cette fois-ci, son explosion de rage et de terreur fut suffisante pour qu’il n’insiste pas. Enfin, pas avant d’atteindre sa bouche. Cette cavité sembla fascinante et il eut beau les mordre de toutes ses forces, les appendices continuaient de l’explorer sans aucune difficulté, caressant ses dents, ses gencives et son palais. Ce ne fut qu’au fond de sa gorge, alors que la panique montait de nouveau et que la colère laissa place à une sourde angoisse qu’il le libérât.

La recherche tactile reprit et avec une douceur étrange, il lui retira son blouson, puis son pull et enfin, son tee-shirt. Quand il saisit sa peau de la même manière pour la soulever, Matthew hurla. Cette fois-ci, le corbeau insista un peu jusqu’à taillader très légèrement sa peau et immédiatement il s’arrêta. Un grand nombre de doigts vinrent tâter la plaie puis parcourent la totalité de son corps, l’explorant sans la moindre forme de pudeur.

Matthew tremblait sans discontinuer. Il savait que le pire était à venir et effectivement, bientôt, son pantalon fut parcouru, faisant frémir son corps sous les caresses intimes. Ça n’allait pas le faire du tout.

Son pantalon fut tiraillé dans tous les sens alors qu’il tentait de le maintenir haut sur ses hanches. Les doigts n’avaient pas l’air de posséder le moindre os, mais ils étaient forts et il dût rapidement abandonner la partie. Matthew ne savait pas quoi faire, les pressions sur le tissu lui faisaient mal. Les larmes se mirent à couler en comprenant qu’il allait finir nu mais également blessé par ses propres vêtements.

- STOP ! Stop ! Arrêtez !

Il y eu un très léger ralentissement et il en profita pour s’écarter autant que possible. Ils avaient baissé son pantalon jusqu’à ses genoux, malgré la ceinture fermement close, râpant fortement ses hanches proéminentes. Il était trop maigre. Ses chaussures allaient bloquer et il était inquiet à l’idée qu’on les lui arrache de force alors sans plus réfléchir, il se replia sur lui-même, défit rapidement ses lacets et les retira. Il défit sa ceinture. Il ne voulait pas enlever son pantalon, il voulait le remonter sur ses hanches, mais plusieurs doigts vinrent tirer doucement sur le tissu, alors il consentit à se déshabiller. Il ne lui restait plus que ses chaussettes et son caleçon. Il ne faisait pas froid ici, alors ce n’était pas si grave que ça. Ou en tout cas, à part l’humiliation, ça ne le blesserait pas.

Les doigts reprirent leur exploration sur sa peau, s’attardant un long moment sur sa pilosité, saisissant quelques poils fins pour tirer dessus jusqu’à les arracher sans s’occuper de ses pleurs. Il n’y eut pas un seul recoin de son corps qui ne fut pas caressé. Par-dessus son pantalon, ça avait provoqué de vives réactions, mais alors sans pantalon, avec seulement le tissu fin de son sous-vêtement, les caresses le long de son entrejambe l’excitèrent au plus haut point. Matthew se tortilla et fit de son mieux pour y échapper en vain.

Il ne pouvait pas être excité par cette situation. Ce n’était pas possible. Puis les doigts se glissèrent sous le tissu pour le retirer tranquillement et il cria, il se débattit, il les insulta. Plusieurs fois, il parvint à les faire douter, mais à chaque fois, les doigts revinrent à l’assaut et bientôt, il se retrouva nu ne portant plus qu’une paire de chaussettes.

Les doigts mirent un long moment avec de revenir le toucher mais ils reprirent immédiatement l’exploration, glissant le long de ses fesses, remontant sur l’extérieur de ses cuisses, se reglissant à l’intérieur, pour venir passer le long de son aine. Pendant tout ce temps, il remua désespérément, tentant de se dégager en vain. Il plaqua ses mains sur son sexe et se recroquevilla dans une attitude clairement défensive, mais l’autre était plus fort.

Ses mains furent saisies et tirées au-dessus de lui pendant que ses pieds étaient immobilisés. Il hurla, mais rien n’arrêta l’autre et bientôt, des doigts longèrent son ventre pour venir jusqu’à son petit sexe recroquevillé sur lui-même. L’exploration de cette zone fut longue et pénible. Les doigts passèrent une première fois de partout avant de tenter de le manipuler. Ce fut d’abord sa verge qui fut saisit. Ils l’emmenèrent sur la droite, puis sur la gauche, ils la forcèrent à se courber vers l’avant puis vers le haut. Comprenant l’élasticité de cette partie de son corps, ils appuyèrent dessus jusqu’à ce qu’il couine puis tirèrent jusqu’à ce qu’il hurle. Malgré la rudesse de certains traitements, les mouvements avaient réussi à provoquer un début d’érection qui les intéressa vivement. Ils le manipulèrent jusqu’à ce qu’il change de forme et de solidité. Ils testèrent à nouveau les mouvements. Caressèrent son gland hyper-sensible, collectèrent un peu du liquide qu’il sécrétait. Un doigt curieux et fin se glissa le long de son urètre et le pénétra légèrement.

Matthew pleurait. Matthew gémissait. Les doigts lui faisaient mal. Les doigts lui faisaient du bien. Lorsqu’il finit par jouir, il s’effondra mollement sur lui-même en larmes et cacha son visage entre ses mains. Les doigts ne le lâchèrent pas pour autant aspirant son sperme, puis ses larmes, et reprenant l’exploration comme s’il ne s’était strictement rien passé. Ils passèrent un long moment à manipuler ses testicules, le terrorisant avant d’abandonner cette exploration.

Le contact sur ses jambes fut relativement délicat. C’était comme des dizaines et des dizaines de caresses réconfortantes. Le retrait de ses chaussettes se fit sans mal et les caresses sur ses pieds le chatouillèrent mais il se sentait bien trop épuisé par ses propres émotions pour réagir davantage. Il frémit lorsque les doigts passèrent entre ses doigts de pieds puis lorsqu’ils manipulèrent son pied pour en observer les mouvements. Ils passèrent un long moment à explorer la texture de ses ongles, sans tenter de tirer dessus, heureusement.

Quand ils remontèrent entre ses jambes, il éclata en sanglot, sachant pertinemment ce qu’il manquait à leur exploration, mais ils cessèrent avant d’atteindre son fondement. On l’abandonna de nouveau là, sans la moindre explication. Le jeune homme tremblait alors comme une feuille, recroquevillé sur lui-même, recherchant la sécurité sans pouvoir la trouver.

Combien de temps passa ? Il finit par sombrer dans le sommeil. Il s’éveilla plusieurs fois, puis fouilla autour de lui sans arriver à chasser la brève image de tous ces corbeaux autour de lui. Il sursauta quand ses doigts heurtèrent quelque chose. C’était son verre d’eau. Le sien. Il le but en tremblant, il avait si soif ! Il chercha encore, trouva les chips à la crevette, un nouveau paquet, neuf. Il n’en avait acheté que deux alors celui-ci ne pouvait pas venir de chez lui. Il repoussa l’idée étrange qu’ils soient allés faire des courses pour lui. Il dormit encore. Et par trois fois, la boucle se reproduisit avant qu’un long croassement ne se fasse entendre. A ce moment-là, Matthew allait mal.

Vivre dans une maison aussi isolée que la sienne n’était pas anodin, mais il n’avait jamais gouté à cette forme de solitude. Il était isolé de l’humanité. Littéralement. Et puis il avait tellement peur… Par moment, la colère le submergeait avec une force inattendue. Alors il criait, il frappait le vide, il avait même jeté son verre. Il ne l’avait jamais entendu retomber ou se briser d’ailleurs. Par moment, c’était la tristesse et l’angoisse qui prenait le pas et il hurlait à nouveau. Cette fois-ci quelque chose se brisait, malheureusement, ce n’était que lui et son esprit.

Durant ses périodes d’éveils, il se sentit de plus en plus faible, de moins en moins bien… Et puis, à un moment donné, les doigts étaient revenus sur lui et au lieu d’hurler de terreur, il avait reçu un très vif soulagement, simplement parce qu’il n’était plus aussi seul. Les larmes avaient coulé le long de ses joues et il s’était laissé aller contre le corps étrange. Le transport avait été court et un énorme croassement avait retenti au même moment, le terrorisant davantage. Serré contre le corps, il ne comprit pas immédiatement qu’ils étaient sortis puis le vent frais à l’arrière de son corps se fit plus net et l’alien le déposa au sol.

Il était devant chez lui. Nu comme un ver. Matthew observa les alentours, il faisait jour et il n’y avait quasiment plus de militaires en dehors d’une patrouille. Derrière il y avait des barrières et des journalistes qui se mirent immédiatement en mouvement, caméra à l’épaule pour ne rien louper de son retour. Il trébucha légèrement et sans attendre, il tenta de retourner vers eux. La barrière ne fit pas le moindre bruit lorsqu’il s’écrasa maladroitement dessus. Le jeune homme éclata en sanglot, serrant compulsivement ses cuisses l’une contre l’autre et plaquant l’une de ses mains pour cacher son sexe. Prisonnier, encore et toujours prisonnier. D’une main tremblotante il tenta de suivre la barrière dans l’espoir d’y trouver une faille, mais il n’y en avait aucune et bientôt, le froid se rappela à lui. Les autres humains avaient brandi des panneaux avec des questions, mais rien qui ne pourrait l’aider à s’en sortir alors il retourna à l’intérieur pour s’habiller, suivi de près par son corbeau. Il n’en était pas tout à fait certains, mais il avait l’impression que c’était toujours le même.

Après avoir enfilé un jean un peu trop grand, deux paires de chaussettes épaisses et un pull trop large avec une tâche un peu plus sombre sur le côté, il mit de l’eau à chauffer. Il se sentait vraiment très faible, mais il avait faim. Il jeta un demi-sachet de patates dans l’eau dès qu’elle fut à une température suffisante et attendit patiemment qu’elles cuisent. Summum du luxe, il ouvrit l’une de ses conserves de viandes qu’il fit revenir sur la petite gazinière branlante. Il laissa ses mains au-dessus de la plaque pour les réchauffer. Un peu ailleurs, le jeune homme vacillait sur ses jambes. Dès que ce fut prêt, il réunit tout dans un grand bol, prit à nouveau un peu d’eau et se traina avec sa pitance dehors. Il avait besoin de voir d’autres êtres humains. C’était nécessaire. Vital même.

Il mangea comme la dernière fois, tout contre la barrière, rêvant qu’elle cède sous son poids et qu’elle le laisse passer. Il finit par s’endormir là, entre deux bouchées, trop épuisé pour tenir le coup.

Lorsqu’on le saisit à nouveau, il n’eut pas la force de se débattre. La patrouille l’observait, d’autres militaires étaient arrivés sans qu’ils ne les entendent et derrière eux, des journalistes de tout horizon. Il les observa avec la froide certitude que plus jamais il ne reverrait le moindre humain. La peau étrange de l’alien lui sembla réconfortante et il eut un sourire triste en murmurant :

- J’vais t’appeler Hugin comme le corbeau d’Odin… Le corbeau de l’esprit… Enfin, c’est surtout parce que t’as volé l’mien…

Il se tut, la tête enfouie contre son corps. Il ne voulait plus jamais se retrouver seul comme il l’avait été. Plus jamais. Ils regagnèrent le vaisseau et au moment où l’alien tenta de le déposer, Matthew resserra ses doigts sur lui. Le corps se fit totalement mou entre ses doigts, comme s’il ne tenait rien de concret mais il fit de son mieux pour ne pas le lâcher pour autant. D’autres doigts vinrent le toucher, cherchant à le faire lâcher mais il s’y cramponna jusqu’à ce que l’alien abandonne, acceptant qu’il reste ainsi accrocher à lui.

- Me laisse plus seul, salopard ! cracha l’humain terrifié.

Au bout de quelques minutes pourtant, il aurait préféré qu’on ne le touche plus car une armée de doigts le dénudaient de nouveau malgré ses protestations. Il remua tant et si bien qu’il perdit sa prise, mais l’alien ne chercha plus à le fuir. En le cherchant du bout des doigts, il le retrouva sans mal et put de nouveau se saisir de lui. Ses vêtements eux, par contre, avaient disparus.

Lorsque l’exploration de son corps reprit, il n’avait plus assez d’énergies pour se débattre efficacement. Il avait noué ses bras autour de l’une des pattes de l’animal qu’il serrait fortement contre sa poitrine. Les doigts touchaient son ventre et ils descendirent jusqu’à son sexe. Matthew enfouie son visage contre la patte cherchant à ne penser à rien et surtout pas à son érection grandissante. Les doigts laissèrent place à autre chose qui l’engloba plus profondément. Ses pieds dérapèrent alors qu’il cherchait à se dégager, mais il n’y parvint pas réellement. Il couina simplement alors qu’un va et vient le faisait gonfler. Son gland était hyper sensible et peu à peu, il devient le centre de son corps. Il eut l’impression de n’être plus que cette petite parcelle de chaire gonflée et brulante. Ce fut là que ça se produisit. C’était comme un flot de pensées étranges qui n’avait rien à faire dans son esprit.

Une communauté unie dans la curiosité.
Un ennui latent qui flottait derrière.
Un intérêt vif et renouvelé.

Il jouit, le corps s’était activé plus fort sur lui et l’instant d’après, le flux de pensées s’était tu. Il resta accroché à la patte, choqué et se recroquevilla un peu plus sur lui-même. Qu’est-ce qu’il s’était passé ? Il tremblait, épuisé et les doigts s’acharnaient sur sa chaire en vain. Il les repoussa plusieurs fois d’affilés et ils finirent par partir.

Après un temps de sommeil, il se réveilla, encore touché et cette fois-ci son corps répondit aux caresses. Il durcit. La prise sur sa verge se fit plus large et complète, étrange. Il frémit et en tremblant comme une feuille, il tendit la main pour toucher le corbeau qui était sur lui. Il fit de son mieux pour ne pas pleurer lorsque ses doigts touchèrent la texture étrange de l’alien. En suivant la peau élastique, il parvint à remonter jusqu’à la patte qu’il tenait toujours. C’était donc Hugin. L’idée le rassura étrangement et il parvint à se laisser aller aux caresses, malgré les larmes qui coulaient le long de ses joues, honteux.

Un ensemble de communauté tout entièrement concentré sur lui.
Lui le centre d’un monde de pensées.
Lui l’être étrange trop fermé.

Il jouit et tout cessa à nouveau le laissant encore plus perdu. Pendant un instant, il avait vraiment eu l’impression d’être important, mais ça n’avait aucun sens. En faites, ça montrait juste qu’il avait fini de perdre l’esprit pensa-t-il.

Combien de temps passa-t-il ? Il trouva à manger, un mélange infame de patates bouillies, de viandes au goût de boite de conserves et des chips de crevettes. Vraiment. Il soupira tristement, heureusement qu’il n’avait pas pris un carré de chocolat en plus, sinon ça aurait été vraiment immonde. Et puis, il aurait vraiment dû prendre le temps de fumer… Vraiment. Il tremblait encore, épuisé comme toujours lorsque les caresses reprirent. Cette fois-ci, il tenta de se concentrer sur ses pensées, cherchant le moment où les choses allaient devenir bizarres.

L’envie monta prenant source dans son bas ventre. La chaleur remonta dans son dos. Son cœur se mit à battre plus fort. Il se colla un peu plus à la patte de Hugin cherchant une forme de réconfort et de soutien. C’était lui son amant. C’était lui qui était en train de le caresser tendrement. C’était lui qui abattait son corps autour de sa verge. L’envie le troubla totalement et ce fut là que ça arriva.

Lui le centre d’un monde de pensées.
Lui l’être étrange trop fermé.
Lui qui ne répondait jamais.
Lui qui ne parvenait pas à s’ouvrir.

Il haleta repoussant la jouissance qui l’envahissait de plus en plus et qui l’arracherait à tout cela. Il tenta de toute ses forces d’envoyer une réponse, c’était peut-être ça, le but. Il cria dans son esprit : « Je suis là » et soudain, ce n’était plus un monde de pensée qui était tourné vers lui, mais deux, puis trois, quatre, cinq, six, sept… et finalement huit. Huit vaisseaux entièrement concentrés sur cette seule et unique pensée.

Il était là.
La connexion était faite.
La connexion était trop fragile.
Son espèce n’était pas assez évoluée.
Lui au centre d’une immense déception.

Le contact s’accentua et sans le vouloir, il explosa dans une jouissance qui le coupa de toute pensée étrangère. Le lien s’était arrêté. Il tremblait comme une feuille et sans attendre, Hugin arrêta de le toucher. Il avait l’air d’avoir compris que c’était inutile.

Durant quelques jours ou peut-être quelques heures, parce qu’après tout il était bien incapable d’en être certain, on le laissa tranquille puis à un moment sans prévenir. Un autre corbeau le toucha. Ce n’était Hugin. Dès le premier contact, il en fut totalement persuadé.

- Non ! Non, non ! T’es qui toi ? Lâche-moi, putain ! cria-t-il tout en se débattant contre les doigts impudiques qui se posaient sur sa peau.

Il bougeait très peu habituellement, trop inquiet à l’idée de perdre le contact réconfortant, mais pour fuir ces doigts tentaculaires qui s’accrochaient trop facilement à lui, il n’hésita pas. Il sauta sur ses pieds sans lâcher Hugin et tenta de grimper dans ses bras pour retourner contre son corps juste là où il le plaçait pour le porter. Il se blottit contre lui et il y eut un temps d’arrêt avant que les bras de son corbeau ne se referme sur lui. Il souffla, rassuré. Les mains de l’autre le lâchèrent enfin. C’était une certitude, à nouveau. Pourquoi ? Qu’est-ce qui lui permettait de le savoir aussi nettement ? Il n’en avait pas la moindre idée mais il resta dans son giron protecteur, immobile.

Les doigts d’Hugin se promenèrent contre son corps et vinrent butiner son sexe, le tirant, l’aspirant et l’aidant à atteindre un niveau d’excitation suffisante pour établir le lien. C’était ça ou bien sa folie qui s’éveillait pensa-t-il tristement.

La connexion était faite.
Le flot d’informations trop denses pour qu’il puisse le comprendre.
Deux notions clés néanmoins.
Une intimité forte pour les lier.
Une intimité plus forte pour un lien complet.

Les doigts glissèrent contre ses fesses, explorant cette zone qu’ils avaient laissé en paix. Matthew chouina en tentant de le repousser.

Une intimité plus forte pour un lien complet.
Une intimité plus forte pour rentrer dans l’ensemble de pensée.

Il pleura, choqué, mais retint sa main tremblotante offrant la permission à Hugin. Le premier contact sur son anus fut doux. Ce fut surtout étrange. Le doigt se glissa totalement en lui, remuant et il couina. La connexion s’était coupée, l’envie était redescendue.

- Doucement, doucement ! haleta-t-il.

Si l’autre comprit, il ne le fit pas. Au contraire, le mouvement s’accéléra et un second doigt le pénétra, malaxant l’intérieur de son corps, se frottant contre une partie de son anatomie qu’il ne connaissait simplement pas. Il n’avait jamais joué avec cette partie-là de son corps et n’avait jamais cru qu’il pourrait en tirer le moindre plaisir. Haletant, choqué, il sentit ce fameux désir remonter en lui et la connexion se fit tout naturellement.

Une intimité plus forte pour un lien complet.

Il poussa un long gémissement. Il n’avait rien de plus à donner, l’intimité ne pouvait pas être plus forte. Sa certitude fut balayée par une image mentale qui le terrifia coupant toute envie et toute forme de connexion. Hugin insista un moment, du bout des doigts, sans parvenir à le faire revenir alors il abandonna. L’humain avait refusé le contact et cela semblait suffire.

Matthew restait accroché à lui, il continuait de se nourrir, de boire, d’aller aux toilettes, gêné au possible et de dormir. Il n’y avait rien d’autres à faire, alors il ne faisait rien de plus. Et le temps passa de nouveau. Le long de son visage, ses poils avaient poussé et il possédait maintenant une barbe épaisse. Ses cheveux aussi s’étaient allongés, signe évident que malgré sa perte de repère, le temps passait. Et il arriva un moment où cette patte immobile contre lui ne combla plus assez bien ses besoins. Il voulait un vrai contact. Il voulait sentir leurs pensées dans sa tête. Il voulait plus. Il voulait Hugin, le sentir lui, précisément et pouvoir lui répondre.

C’était la première fois qu’il prenait l’initiative, mais il posa la main sur son sexe en déglutissant sous l’effet du stress et il se caressa. Saisissant son prépuce pour le replier, il dévoila son gland qu’il pétrit sans aucune forme de douceur avant d’appliquer un solide va et vient le long de son sexe. S’appuyant totalement sur son alien, il posa sa main sur l’un de ses tétons et le pinça délicatement. L’envie ne mit pas longtemps avant de revenir en force. Dès qu’il sentit que l’état était suffisant, il se retourna, saisit l’un des doigts étranges et le tira doucement jusqu’à sa chaire, créant le lien. Il n’y avait qu’une pensée à faire passer, un message simple. « Oui. » Oui, il voulait communiquer, peu importe ce que ça pouvait lui coûter, il voulait communiquer.

Ce simple « oui » fut malheureusement noyé dans un flot de pensées immenses. Contrairement aux premières fois, elles n’étaient pas synchronisées en quelques idées simples à appréhender. C’était une cacophonie terrifiante faites de mots incompréhensibles, de sensations qu’il ne pouvait pas avoir et de certitudes angoissantes.

Voyager à l’horizon.
Être un maillon dans la chaîne d’information.
Les créatures non évoluées.
Le frottement énergisant manque d’ions.

Il hurla. Il hurla physiquement. Il hurla dans sa tête. Il sentit son esprit lui faire tellement mal et un grand silence se fit. Il n’y eut qu’une seule voix, c’était Hugin. Une partie de lui en était sûr. C’était Hugin qui semblait lui chuchoter tout doucement.

Trop dense pour une espèce non évoluée.

Aux portes de l’inconscience, sa queue battant pourtant toujours d’envies contre son bas ventre, il tenta de pousser une pensée vers l’autre.

Une intimité plus forte pour un lien complet.

Les bras de l’alien revinrent à lui pour le bercer tendrement. Il caressa plusieurs fois sa tête bouillante sans que la moindre pensée ne lui parvienne. C’était comme si Hugin s’était coupé des autres juste pour se réserver à lui. Cela formait un fond sonore très tendre, tout doux et délicat.

Matthew fut manipulé jusqu’à finir à quatre pattes, la croupe tendue vers l’arrière et des doigts revinrent le fouiller. Il avait vraiment très mal à la tête. Il se cambra un peu plus pour l’inviter. Hugin adapta son corps à ses formes sans pour autant poser son poids sur lui. L’humain couina en sentant son conduit envahi de douces pressions puis, ce fut autre chose. Il ne pouvait pas le voir, mais Hugin le lui avait déjà montré alors il savait. Il savait son sexe droit et dur. Un long frémissement le parcourut néanmoins lorsqu’il s’enfonça en lui sans plus de préparation. Il haleta, choqué, devant l’intrusion. Un cri lui échappa lorsqu’un va-et-vient sec fut mit en place mais il avait surtout peur pour la suite. Hugin ne lui avait rien caché et au bout de quelques mouvements à peine, le sexe changea de formes s’hérissant de pics acérés qui vinrent se ficher dans sa chaire. Matthew hurla sous la douleur. Le sexe gonfla, les pics rentrèrent un peu plus en lui, assez par endroit, pour qu’une gouttelette de sang perle. Il allait crier pour demander à ce que tout s’arrête lorsque le lien se fit et soudain, ce fut la communion de leurs esprits.

Tout se passa horriblement vite. Matthew sut comment ils étaient arrivés là en explorant simplement l’univers et en observant, voir en interagissant avec les bizarreries qu’ils pouvaient trouver. L’humanité en était une. Ils avaient eu envie d’un spécimen pour l’étudier, alors ils avaient cherché un individu isolé qui ne manquerait pas au groupe. Ils avaient été surpris de voir à quel point les autres avaient fait des efforts pour le récupérer. Des efforts vains montrant surtout leur manque d’évolution, mais des efforts malgré tout.

Leur espèce était cataloguée comme « sous évoluée », insensible à la communication la plus basique, capable de faire un lien psychique lors de l’abandon du désir, malheureusement le lien ne résistait pas à la montée de jouissance. Matthew n’avait rien à redire à cette analyse. Oui, son espèce était également sensible aux vibrations, aux sons et à la lumière dans une petite mesure. Oui, les corbeaux avaient testés cela avec lui.

Il envoya l’idée d’avoir de la lumière à nouveau mais Hugin répondit instantanément que la lumière lui faisait peur ici. Il sembla troublé en découvrant que ce n’était pas la lumière mais leurs vues et qu’il voulait vraiment pouvoir voir, que c’était important pour lui.

Une douce lueur s’éleva dans le vaisseau, contrariant ses yeux trop habitués au noir abyssal. Ils les vit. Pire encore, il vit à quoi ils ressemblaient tous deux dans l’esprit de Hugin. Son corps immense et noir profond était enfoui dans sa chaire étrange et rosée. Il le recouvrait presque entièrement, fiché en lui comme jamais. Hugin n’avait ni yeux, ni bouche, ni quoique ce soit qui puisse faire penser à un visage, mais néanmoins, il put voir son bonheur sans même comprendre comment.

Matthew tenta de lui communiquer à son tour sa joie d’avoir enfin un interlocuteur mais Hugin comprit tout. Absolument tout de sa terreur profonde, à son angoisse de ressentir un plaisir anal alors qu’il n’était pas gay en passant par sa profonde solitude. Matthew ne parvient pas à lui cacher quoique ce soit. Sa peur d’être arrêté par ses congénères à son envie de les retrouver, son désir de se sentir choyé, … Tout y était. Et à chaque sentiment, à chaque bribe de pensées confuses, l’alien répondait. C’était un soutien absolu et Matthew adora ça.

Ensemble, ils passèrent en revue chaque acte. L’humain frémit en comprenant l’implication de certains d’entre eux. Il avait joui, encore et encore, dans Hugin sans passer à autre chose qu’à la communication. A chaque fois, il avait offert sa semence pour qu’elle s’écoule directement dans le corps de l’alien et de ces contacts, plusieurs fœtus étaient en train de grandir. Il avait fait de Hugin son partenaire d’une manière plus profonde qu’il ne l’aurait jamais cru. La panique fut vive, l’apaisement proposé tout autant. Un vague reproche concernant son manque de contrôle fut formulé et chassé aussitôt. Cette pensée n’appartenait pas à son alien. Il en était certain à présent mais Hugin en un doux flot d’idées parvient à lui faire comprendre l’importance de n’être que deux et la bizarrerie que c’était également. Il l’avait saisi en voyant le jeune homme se blesser en entrant à leur contact de lui-même.

Il l’aida à se concentrer sur les petits. Trois petits qui grandissaient en lui. Il ne resterait pas seul bien longtemps. Matthew frémit encore. Pourquoi avait-il fait ça ? Simplement pour l’expérience, parce que ça n’avait rien de grave à ses yeux. Les petits auraient les caractéristiques de leurs deux espèces pouvant muer d’une forme à l’autre via un processus lent similaire à celui des chenilles et des papillons. Ce n’était pas une première pour eux et ça n’avait jamais posé de soucis.

Hugin fut tendre, doux et délicat dans chacune de ses pensées mais son sexe dur hérissé pulsait contre la prostate de son amant. La jouissance allait finir par devenir inévitable. La pensée provoqua un vif émoi chez l’humain qui ne voulait surtout pas se retrouver seul. Il voulait de ce contact en permanence. Hugin remua, le tiraillant, chassant la jouissance de ce simple mouvement.

Ne pas jouir, rester dans cette zone diffuse emplie d’envie, ce ne serait ni évident, ni tenable. L’humain avait trop de besoins à suivre. Cette simple idée montra à son compagnon à quel point ses besoins avaient été négligé et Hugin nota mentalement tout ce qui pouvait manquer à partir de l’intimité car au fur et à mesure de l’échange, d’autres corbeaux s’étaient approchés. Hugin les chassa.

Cela ne dura que quelques minutes, les pensées les plus complexes n’ayant pas besoin d’être expliqué, la communication devenait franchement aisée. Puis, le sexe envahissant de Hugin bougea tranquillement et lui arracha une jouissance terrible. Son corps remuait et se contractait en rythme, se blessant contre sa forme agressive et jouissant de plus belle à chacun de ses micros-mouvements. Matthew jouissait et pourtant, il avait envie de pleurer. Il l’avait perdu. Il avait perdu Hugin. La connexion était rompue.

L’alien lui permit néanmoins de se blottir contre lui et silencieusement, il le hissa de manière à ce que ses mains touchent la zone étrange où les petits grandissaient. Sans contact aucun, Matthew comprit.

***

Matthew tremblait dans ses vêtements trop grands. Hugin ne pouvait reproduire que ce qu’il avait personnellement vu et analysé. Impossible de faire un costume trois-pièces sur mesure donc. Mais tant pis… Au moins cette fois-ci, il ne serait pas intégralement nu.

Le vaisseau avait produit son immense croassement en retournant au-dessus de la petite ferme où il avait toujours vécu. Hugin avait accepté de reproduire un grand nombre de choses mais il faudrait l’emmener dans un supermarché digne de ce nom et qu’il s’entraîne réellement pour la nourriture. Sa tendance à tout mélanger posait vraiment soucis.

L’air frais sur sa peau lui fit du bien. Le sol recouvert d’herbes également. La Terre lui avait manqué. Six mois étaient passés. Six mois de captivité et presque autant de jouissances et de communication. Il connaissait de mieux en mieux Hugin et quelques autres corbeaux avaient même commencé à rejoindre leurs discussions. Son espèce était toujours considérée comme sous-évoluée et sans vrai potentiel. S’il avait bien compris cela venait en partie de leur mode de nourrissage non optimal et de leurs canaux de communication inadapté. Néanmoins, ils avaient accepté de rentrer en communication avec les humains à la demande de Matthew. Ce n’était presque rien, juste une façon de revoir son peuple et de repartir avec l’impression d’avoir réellement fait quelque chose pour sa planète. Il ne resterait pas. Les petits grandissaient bien dans le ventre de Hugin et si la majorité des corbeaux lui faisaient encore peur, il n’avait plus du tout envie de le quitter. Les contacts pensées à pensées étaient d’une trop grande intimité, il le connaissait parfaitement et au-delà de son corps, il s’était pris à aimer celui qu’il était. Doux. Tendre. Patient. Capable de rester immobile durant des semaines simplement parce qu’il n’avait pas envie de le lâcher ! Hugin était tout ça et bien plus encore.

Avançant le long des herbes sauvages, seul, Matthew s’arrêta près de la barrière. Elle s’ouvrit, juste pour lui et il le sut. Comment ? Il n’en avait pas la moindre idée. Ça arrivait de plus en plus souvent. Il percevait. Il savait sans savoir pourquoi. Il avança vers la patrouille qui l’observait arme aux points.

- Ne bougez plus ! cria l’un des agents.

Il s’immobilisa, vacillant légèrement sous le choc d’entendre la voix d’un autre être humain. Il baissa la tête, timidement, essayant de repousser la pensée horrible qu’ils avaient dû le voir à la télévision ce jour-là, nu et terrifié, suivi par un corbeau qui devait les horrifier.

- Bonjour… chuchota-t-il presque plus pour lui-même que pour les policiers.
- Veuillez décliner votre identité ! cria le second.
- Bonjour… répéta-t-il, un peu perdu. Je… Je suis Matthew.

Son nom de famille. Quel était son nom de famille déjà ? Il y avait eu tant de pensées parasites dans son esprit qu’il se sentit mal. Il s’appelait… Il s’appelait… Il frémit.

- J’habite ici. C’est ma maison. Je… J’ai… Je suis porte-parole. Ouais c’est ça. Porte-parole.

L’un des agents avait déjà dû appeler des renforts car un groupe de voiture venant de la ville la plus proche roulait à vive allure vers eux. Plus d’humains, des tas d’humains. C’était ça, son monde et pourtant il s’y sentait étranger. Expliquer allait être horriblement compliqué là où avec Hugin, il suffisait d’une pensée. Juste une pensée pour tout dire et pour tout transmettre.

- Mains sur la tête ! aboya le premier.

Matthew ne réagit pas. Ça n’avait aucun sens. Pourquoi criait-il ? Il l’entendait. Il déglutit mal à l’aise. C’était une mauvaise idée visiblement, il avait déjà trop changé et l’humanité ne lui correspondait plus. Il recula d’un pas. On le mit en joue. Il trembla.

- Je suis porte-parole. Répéta-t-il tristement.
- De qui ? Des corbeaux ?
- Oui.
- Que veulent-ils ? Pourquoi est-ce qu’ils nous envahissent ?

Matthew fit « non » du visage sans savoir comment transmettre son incrédulité, ses besoins et la grande quantité d’informations qu’il pouvait offrir avant de partir.

- Je reviendrais parler aux différents portes-paroles de l’humanité dès qu’ils seront réunis ici.
- Quoi ?
- Je reviendrais. Je reviendrais pour parler. Parler aux portes-paroles de l’humanité. Je reviendrais dès qu’ils seront réunis ici. En même temps.

Il recula, mal à l’aise devant les humains. Observa les voitures qui s’approchaient et bientôt les soldats qui le mettaient en joug. On lui redemanda son identité. Les humains aboyaient plus qu’ils ne parlaient. Et dire qu’à une période ces bruits lui avaient manqué. Il recula encore et lorsqu’un soldat tenta de l’intercepter, il se cogna simplement contre une barrière invisible qui se trouvait autour de lui. Cette muraille qui l’isolait de l’humanité, il l’avait haï. Aujourd’hui, il l’aimait pour ce qu’elle était devenue, un symbole d’amour et de protection.

- Les portes-paroles. Répéta-t-il avant de s’enfuir.

Il se précipita en tremblant jusqu’au vaisseau, rentra à l’intérieur de lui-même et observa la zone principale qui s’ouvrait devant lui. Une douce lumière tamisée éclairait la scène, elle était là juste pour lui et pour son confort. Des dizaines et des dizaines de corbeaux attendaient immobiles et silencieux. Certains se frottaient au sol silencieusement, se nourrissant. D’autres avaient noués leurs corps, copulant. Il marcha au milieu d’eux sans la moindre gêne, les contournant pour aller vers un corbeau précis. Hugin avait dû manger, il avait bougé. Son corps était très similaire aux autres ou en tout cas, en tant qu’humain, Matthew n’arrivait pas du tout à le différencier, mais une partie de lui savait que c’était lui. Hugin, son ami. Hugin, son protecteur. Hugin, son amant. Il lui sauta dessus sans plus de cérémonie et se lova contre sa peau étrange. Hugin n’était jamais surpris parce qu’il savait ce que savait la communauté alors il enroula juste ses bras autour de lui et le caressa parce qu’il avait découvert à quel point l’humain aimait ça, même à travers les vêtements.

***

Le ventre de Hugin ne grossissait pas, mais les petits à l’intérieur si. Matthew n’avait jamais réfléchi à avoir des enfants, il se sentait trop jeune, trop inadapté, trop… pleins de choses négatives. Mais il n’avait guère le choix. Il serait le père de ces petits. Alors, il se cambrait, poussant sur son anus, invitant Hugin à lui faire l’amour et il se retenait de jouir de son mieux pour mêler leurs pensées. Il serait le père de ces petits et ils allaient connaitre quelques trucs humains. Le sexe profondément fiché en lui, torturé de désir et devant se retenir à l’extrême, son corps et son visage devenait rouge et lorsque la jouissance le balayait enfin une vague de déception s’abattait sur lui alors qu’il perdait la connexion. Il détestait ça. Il aimait tellement sentir les pensées de Hugin.

***

Devant le vaisseau se tenait plusieurs membres de plusieurs gouvernements. Les corbeaux avaient observés à leur manière les différents attroupements. Ils étaient incapables de distinguer les humains présents, mais certaines choses avaient changées. Hugin pensait que cela pouvait être intéressant d’aller vérifier, alors Matthew avait réenfilé les vêtements et était descendu à pas lent. Pour qu’il puisse être autonome, une petite rampe avait été ajoutée puis il avait réclamé une barrière et alors ils avaient fait la chose la plus étrange qui soit. Le sol était devenu une espèce de sable mouvant dont il était impossible de tomber et qui le laissait glisser jusqu’à la terre ferme. La remontée était similaire d’ailleurs et la sensation d’autant plus étrange.

Il avança tranquillement jusqu’aux humains, la tête basse et le cœur battant la chamade. Il n’avait pas été bien accueilli la dernière fois. On le regardait comme s’il était un corbeau. Oh dieu qu’il aurait préféré naitre corbeau. Leur communauté était si tendre.

- Bonjour Matthew, lança un inconnu dès qu’il fut assez proche.
- Salut… Est-ce que… Vous êtes les portes-paroles ?
- Et bien, nous sommes prêts à relayer votre message.
- Quel pays ?

Il y eut un blanc, puis une femme s’avança, déclarant être la traductrice de la porte-parole des Etats-Unis. Un homme en fit de même en désignant être là pour plusieurs pays asiatiques. La Russie était également représentée et un porte-parole européen était venu. Tous n’étaient pas là. Il manquait énormément de petits pays et de pays pauvres. Ça ne lui convenait pas.

- Ce que je donne doit être public. Mondial. Tout le monde devra y avoir accès.

L’un des étrangers parla dans une langue froide et sèche qu’il ne comprit pas et sa traductrice écouta avant de proposer une version compréhensible pour le jeune homme.

- Nous ne savons pas ce que vous voulez donner. En fonction de ce que c’est, nous ne transmettrons rien au reste de l’humanité.

Matthew frémit et observa le vide en se dandinant sur place. Il hésita, bredouilla et finalement parvient à lâcher.

- Je suis revenu pour… pour faire quelque chose pour vous. Je… vais vous donner des réponses. Des réponses à des questions peut-être en mathématiques ? En sciences ? En connaissance spatiale ? Je vais répondre pour eux. Je vais vous donner des choses utiles à l’humanité. Et si vous le voulez vraiment, alors vous pourrez discuter avec Hugin.
- Qui est Hugin ?
- C’est un … corbeau, vous les appelez encore comme ça non ?
- C’est leur chef ? demanda un autre traducteur.
- Il n’y a pas de chef. Hugin… Hugin est mon choix. Est-ce que vous voulez ces réponses ?

Il attendit un moment, ignorant les autres questions. Il ne se sentait pas très bien. Finalement, il y eu assez de oui pour le satisfaire et le moment le plus gênant arrivait.

- J’aurais besoin d’un certain nombre de choses pour moi. Pour… vivre mieux. Et pour l’entretien aussi. Je suppose que ça va être long… Je… J’ai besoin de choses étranges.
- D’accord, dis-nous tout.

Il entama alors une longue liste, une liste étrange de choses que l’on peut avoir besoin dans une vie. Il demanda un lit avec une couette et un bon oreiller, il demanda des livres, des cds et un autoradio, il demanda une table et des couverts. Il demanda des jouets pour bébés et tout le nécessaire pour s’occuper d’un petit. A ce stade-là, les portes-paroles tiraient franchement la gueule et écoutaient moins qu’il ne l’aurait aimé la suite de ses demandes. Il n’en était pourtant pas à la partie la plus gênante. Il attendit qu’ils se calment, refusant de répondre à un grand nombre de questions pour ajouter doucement.

- On va également avoir besoin… d’objets… intimes. Il faudrait que vous demandiez tout ce qui peut ralentir une jouissance.
- Est-ce que c’est une blague ?
- Je reviendrais lorsque tout sera réunis… pas avant. Et laissez venir d’autres portes-paroles, pour des pays Africains, des pays d’Amériques centrales ou d’Amériques du Sud… et y’a aussi… merde comment ça s’appelle.

Il avait oublié. Zut. Il haussa d’une épaule et se détourna retournant à la sécurité du vaisseau. En remontant pourtant, il pleurait, horrifié de comprendre à quel point il n’était plus apte à les rejoindre. Il n’était plus humain de culture et de communication. Mais comme toujours Hugin était là, il put se réfugier contre lui.

Combien de temps se passa-t-il avant que la liste ne soit réunie sous un grand chapiteau ? Au moins plusieurs semaines. D’autres humains, des portes-paroles et des traducteurs s’étaient ajoutés aux premiers. Des mobiles-homes les abritaient et leurs fournissaient des quartiers habitables. Régulièrement, Matthew demandait à observer les objets et Hugin les lui montraient. Comment savait-il ? Ce n’était qu’une technologie du vaisseau auquel Matthew n’avait pas accès.

Et puis un jour, les objets furent tous là, alors la porte du vaisseau s’ouvrit et Matthew eut envie de pleurer. Ce qu’il allait faire, c’était tellement peu humain et il faudrait affronter leurs regards, leurs parler, tout ça juste pour les aider…

Le chapiteau n’avait rien d’intimistes. En descendant seul, Matthew se serait sentit des plus mal, mais cette fois-ci, Hugin venait avec lui. Il marchait totalement silencieusement, posant ses immenses bras et ses longs doigts tranquillement sans la moindre trace de stress. Hugin n’avait pas peur. Il savait néanmoins son stress et sa manière d’y remédier était de conserver un bras enroulé autour de lui. Rien qui ne rassurerait les autres humains, mais rien dont il ne se sentait capable de se passer non plus.

Durant quelques instants, personne ne parla. Ni Matthew immobile contre son amant. Ni les portes-paroles et leurs traducteurs. Ils s’observèrent juste. Enfin les humains observèrent le couple, dans un coin, plusieurs caméras tournaient en permanence collectant un maximum d’informations. Un des portes-paroles s’avança et s’exprima dans le suédois le plus parfait.

- Bonjour Matthew. Je m’appelle Viktor. Je me suis dit que ça pouvait être un peu impressionnant alors si tu veux, tu peux ne parler qu’à moi. Les autres écouteront, m’écriront leurs questions et je te les lirais. Est-ce que ça te va ?
- Oui… Oui, c’est peut-être mieux.
- On a essayé de réunir tout ce dont tu pouvais avoir besoin. Certaines de tes demandes ont provoqué beaucoup de polémiques mais tout est là.

Matthew s’éloigna vaguement de Hugin pour faire le tour des objets. Il caressa distraitement une cabane pour enfant et son regard s’arrêta sur une table qui ressemblait plus à un alignement d’objets de tortures qu’à autre chose. Il s’en approcha néanmoins. Il allait devoir utiliser tout ça. Matthew baissa la tête, ferma les yeux et retourna contre Hugin. Il se sentait horriblement mal mais ce fut lui qui parla le premier.

- Est-ce que vous avez la liste de questions techniques ?
- Oui, oui, nous avons réunis de grandes énigmes et de grandes interrogations scientifiques.
- D’accord… Euh… Pour que Hugin communique avec moi, on est forcé de faire certaines choses. Il a proposé que nous fassions véritable union pour que la communication longue soit possible. Alors euh… je vais devoir me déshabiller et … vous allez voir des choses qui ne vont pas vous plaire.

Viktor une seconde avant de lâcher à voix basse :

- Nous avons des armes, Matthew. Si vous le voulez, venez vers moi, on fera tout pour vous protéger et vous sortir de là.

Matthew l’observa un instant sans comprendre avant de remuer la tête pour dire « non ». Il était strictement hors de question qu’il s’éloigne davantage de Hugin.

- Je reste avec Hugin. C’était juste… juste pour vous prévenir, pour que vous n’ayez pas trop peur. Il ne me fera rien de mal vous savez. C’est… gênant.

Le jeune homme se détourna et prit le temps de souffler avant de se déshabiller. Il remarqua bien les humains qui se détournaient, gênés au possible devant son corps nu et maigre. Vraiment se nourrir exclusivement de pâtes, de viandes en conserve et de chips de crevette, ce n’était pas une bonne idée. Il frémit un peu à cause du froid et s’approcha de Hugin jusqu’à le toucher. Il répéta, doucement :

- Il ne me fera rien de mal.

Et son amant se saisit de lui pour le serrer contre son tronc. Son corps bougea, changeant tranquillement de forme. Pour Matthew, c’était comme s’enfoncer dans un matelas épais, lentement. Son corps était toujours à la température idéale, d’une tiédeur absolue. Il poussa un gémissement alors que Hugin le manipulait pour se retrouver exactement dans la bonne position. Son visage était alors tourné vers les spectateurs qui les observaient avec horreur. Ses jambes et ses bras étaient tendus, tordus, vers l’arrière et sans plus de préliminaires, son amant s’enfonça en lui, débutant l’échange. Au plus ils pratiquaient, au plus cela venait vite. Hugin saisit immédiatement que son corps nu, au sexe à demi-bandé vers les portes-paroles et les caméras le gênaient alors il fit un effort supplémentaire pour enfoncer son amant plus loin en lui-même jusqu’à recouvrir sa taille, lui offrant un peu de pudeur. Ses joues rosies et ses halètements ne cachaient pourtant rien.

- Est-ce vraiment nécessaire !? s’exclama quelqu’un dans une langue que Matthew ne comprit pas.

Les autres humains s’agitaient, mais Matthew avait à peine débuté la connexion et il demanda à Hugin de le laisser utiliser ce qui se trouvait sur la table. Le corbeau les approcha et libéra l’une de ses mains pour qu’il saisisse tout ce qui lui semblait nécessaire. En tremblant, Matthew saisit un cachet, qu’il avala, il glissa un anneau le long de son sexe pour enserrer sa verge et bloquer sa jouissance. Il fit tout ce qu’il pouvait pour retarder l’issu fatidique. Puis Hugin les ramena devant Viktor qui, d’une main tremblante, avait sorti différents papiers.

L’immense corps noir du corbeau s’était penché pour que le visage de son amant soit à la bonne hauteur pour observer l’homme. Matthew sentait le coulissement délicat en lui et il couina lorsque la verge s’hérissa. Cherchant à se distraire, il lut l’intitulé de la feuille. « Savoirs mathématiques. » Il lut attentivement le document, laissant Hugin à travers lui réfléchir à ce qu’il voyait, puis lentement, Matthew prit un stylo et griffonna les annotations que son amant lui indiquait. Il n’était pas sûr que ça ait le moindre sens pour qui que ce soit, mais le corbeau semblait satisfait. Il réclama la feuille suivante, elle portait sur l’espace et le temps. Son écriture brouillonne tenta de traduire au mieux les pensées reçues. L’envie grimpait de plus en plus, améliorant la connexion mais menaçant également d’y mettre fin alors Matthew se pinça lui-même jusqu’à avoir envie de pleurer juste pour que son érection baisse un peu. Ce n’était pas si dur que ça, dès qu’il se prenait à y penser il avait tellement honte.

La feuille suivante portait sur les corbeaux, sur leurs vaisseaux et Hugin lui demanda de la tourner sans plus attendre. Ce savoir n’apporterait rien à l’humain. La suivante était dédiée à la santé humaine, il y passa davantage de temps. Quand la connexion s’amenuisait, Hugin laissait ses doigts courir sur la peau de son amant. Quand elle se faisait trop bonne par contre, il avait du mal à intervenir et c’était Matthew qui faisait de son mieux pour la faire baisser. C’était une véritable torture et il fut très rapidement épuisé. D’une main tremblotante il tentait de retranscrire les pensées de l’alien sur les sources d’énergies, mais c’était très compliqué.

- Je fatigue… murmura-t-il au bout d’un très long moment.

Il se tourna vers les portes-paroles et leurs traducteurs et admit en direction de Viktor :

- Si vous avez des questions c’est le moment.
- Des questions… pour vous ou pour Hugin ?
- Pour Hugin.
- Très bien. Que voulez-vous des terriens ?
- Rien, ils ne veulent rien. Ils étaient juste curieux et … visiblement, on ne les intéresse déjà plus.

Viktor hésita avant de demander :

- Pour qui sont les objets pour enfants ?
- Pour… Ça… Ça ne vous regarde pas.
- Est-ce qu’ils ont kidnappé des enfants ?
- Non ! Non. Bien-sûr que non. Ils n’ont pris… que moi.

Le sexe en lui ondula légèrement lui arrachant un halètement choqué. Hugin le flatta comme pour s’excuser, pour l’union qui se poursuivait devant ces témoins, de plus en plus profondément.

- Est-ce que vous allez rester ?
- Non. Nous allons repartir.
- Est-ce que vous allez revenir ?
- Non. La Terre ne les intéresse pas.
- Pouvons-nous établir un dialogue durable ? Peut-être des échanges ou un accord commercial ?
- Non. Les humains ne les intéressent pas. On n’a rien à leur apporter.
- Et dans une centaine d’année ?
- Jamais. A moins que notre évolution en tant qu’espèce ne change totalement.

Les questions se poursuivirent. Hugin était patient et il répondait à chacune sans jugement. Même lorsque Viktor demanda :

- Pourriez-vous, Matthew, être le porte-parole d’un autre corbeau ?

Il le poussa à répondre « oui », car techniquement c’était possible. Mais Matthew refusa tout net. Il ne voulait que Hugin, personne d’autres. Les autres corbeaux l’effrayaient encore et il n’y avait qu’avec son amant en filtre qu’il parvenait à apprécier leurs pensées.

Lorsqu’ils rentrèrent enfin, il était toujours tenu à moitié enseveli dans le corps de son amant. Hugin n’attendit pas, il le pénétra plus profondément encore, le faisant gémir et pleurer, puis il ondula tranquillement le long de sa prostate jusqu’à le faire jouir. La connexion se rompit doucement avec les dernières bribes d’envies mais Hugin ne le libéra pas. L’union, c’était quelques choses d’horriblement long chez eux. Alors l’envie finit par revenir alors qu’il caressait tendrement la peau noire de l’alien. Ce fut là, pour la première fois, qu’il attrapa une idée au vol.

Les humains étaient horriblement simples.

Cette pensée n’avait aucune forme de jugement de valeur, c’était plus une surprise et pas une surprise concernant leurs esprits, mais concernant leur forme. Elle était passée trop vite, trop vite chassée pour en comprendre les implications exactes mais tout de même bien assez lentement pour comprendre qu’elle était importante.

***

Une partie du vaisseau avait été aménagé rien que pour lui. Un lit, une table, un frigo qui s’emplissait automatiquement, de la musique, tout pour être bien. Ils avaient quitté la Terre, définitivement et ça lui allait. Ça lui allait vraiment. En réalité une seule chose le perturbait. A chaque fois qu’il entrait en communication avec Hugin, il saisissait dans le fil de pensée collective cette même idée.

Les humains étaient horriblement simples.

Alors il avait fini par en parler, fini par mettre son amant et le reste du vaisseau face à cette même idée. Les humains étaient horriblement simples. Qu’est-ce que cela signifiait exactement ? Hugin s’était refermé pour la première fois, hésitant à répondre avant d’admettre autre chose.

Trop dense pour une espèce non évoluée.
Une évolution possible.
Une communion avec les …

Aïeux. Anciens. Ancêtres. Les mots se bousculèrent pour traduire la pensée profonde égrenée de respect et d’adoration qui le parcourait. Matthew fit de son mieux pour répondre, pour tenter de comprendre et les réponses le terrifièrent.

Il pouvait changer. Il pouvait devenir un meilleur communiquant. Il pouvait évoluer. Il suffisait de donner son accord. Hugin était resté contre lui, rassurant dans son immobilité et dans son calme, comme d’habitude. Et puis le temps avait passé, chaque jour, ils avaient plus coïts durant lesquels ils communiquaient activement. Il avait découvert, médusé, que Hugin commençait déjà à communiquer avec leurs petits alors qu’ils étaient encore dans son ventre. Lui, il ne pourrait jamais. Pas comme ça en tout cas.

Une évolution possible.

Il chassait toujours la pensée avec force et frayeur, mais un jour, en se réveillant, il se sentit horriblement perdu. Hugin n’était pas loin. Il n’était jamais loin. Alors il le rejoint tout en se maudissant d’avoir besoin d’autant de contact pour si peu d’échanges. Il fit de son mieux pour provoquer le désir afin que son esprit puisse rejoindre celui de son amant et ce fut seulement là qu’il put souffler, soulagé. Tremblant comme une feuille, il avoua néanmoins :

Une envie de changement.
Une évolution possible.
Une meilleure communication.

Le flash qui lui répondit contenait de la joie, une méthodologie complète et l’envie de communiquer avec lui qui venait de tous les corbeaux en même temps. Il se sentit submergé un instant, mais suivant son amant jusqu’au centre du vaisseau. Dans la lumière tamisée, il remarqua que tous les corbeaux avaient cessé de bouger pour l’observer. Là, au centre, Hugin le déposa et gentiment, sans plus y réfléchir, Matthew débuta.

Il caressa le sol avec toute la tendresse dont il pouvait se sentir capable et aussitôt, la surface mua. Elle était similaire à la peau de son corbeau et elle avait visiblement les mêmes propriétés de changement de formes. Un bras en sorti et ses doigts tentaculaires vinrent le caresser. Tout son corps fut cajolé, mais bientôt, les appendices se concentrèrent sur son visage. Deux fines branches entrèrent dans ses oreilles, le rendant sourd au monde extérieur. Peu importe, les corbeaux ne faisaient jamais de bruits en dehors de l’affreux croassement qui résonnait parfois. Deux autres pénètrent le bas de ses narines sans chercher à s’enfoncer, pour son plus grand soulagement. Puis, un autre bras appendice apparu, ce n’était pas un bras, mais un sexe très similaire à celui de son amant au repos. Hugin était déjà près de lui, le caressant tendrement et l’invitant d’un simple geste à ouvrir la bouche. A peine détendit-il la mâchoire que le sexe s’installa sur sa langue. C’était une sensation étrange, invasive mais il n’avait pas le moindre goût pouvant réveiller ses papilles gustatives. Les bras de Hugin le rassuraient et il le saisit de l’une de ses mains, recherchant son contact apaisant. Un autre bras, appartenant au vaisseau était apparu à l’arrière de son corps. Le gémissement de l’humain fut étouffé par le sexe envahissant lorsque les doigts dégagèrent son urètre et le pénétrèrent tranquillement. La tige qui venait de s’insérer en lui était fine, mais il remua sous l’inconfort et l’angoisse. Hugin était toujours là, immobile. Enfin, un sexe supplémentaire vint se frayer en lui, s’enfonçant sans douceur jusqu’au fond de ses chairs.

Il n’y avait aucune connexion. Rien. Hugin avait transmis l’idée qu’il y aurait une connexion. Les différentes prises sur son corps remuèrent lentement et finalement, son amant se pencha jusqu’à le recouvrir. Ses doigts pincèrent ses tétons et sa peau glissa le long de son cou, amoureusement. Presque aussitôt la connexion se fit.

Une communauté aimante, heureuse de l’accueillir.
Un tout.
Un vaisseau emplit de vies et de personnalités.
Un vaisseau avec une identité.
Anciens. Aïeux. Ancêtres.
Une compréhension du corps de l’être humain.

Dans son nez et ses oreilles, les doigts semblèrent enfler. Il ne pouvait plus respirer. Il grimaça mais Hugin avait commencé à caresser son pénis, entretenant la flamme. Le sexe épais dans sa bouche gonfla à son tour s’enfonçant dramatiquement dans sa gorge, le faisant s’étouffer et se révulser. C’était fini, il ne pouvait plus respirer, pourtant un air étrange enflait dans ses poumons. Un air noir.

Essence des corbeaux.
Ce que nous sommes.
Ce que tu deviens.

La panique reflua devant la vague d’amour et d’acceptation profonde qui émanait de ces pensées. Ce fut à ce moment-là que le sexe dans sa bouche mua, s’hérissant de picot qui vinrent le blesser. Il voulut reculer mais il s’empala seulement davantage sur le sexe dans son rectum qui prit la même forme. Impossible de crier. Impossible de se dégager. La connexion se rompit un instant, puis son ventre s’alourdit peu à peu et les caresses de Hugin firent le reste.

Acception profonde.
Modification mineure.
Une communauté heureuse.

Il se perdit dans cette connexion. A ce moment-là, il se sentit pour la première fois de sa vie totalement à sa place. Pour la première fois, il avait une famille. Son esprit se tourna vers ses enfants dans le ventre de Hugin et le contact, complet, lui permit de les effleurer. Les prémisses de consciences se tournèrent vers lui, finissant de le bouleverser.

***

Le vaisseau était toujours aussi sombre, mais les lueurs légères lui permettaient de voir parfaitement ses enfants. Nihisis son fils était monté sur le dos de Hugin et il y dormait, parfaitement blotti. Hugin était toujours aussi tendre et délicat envers lui, mais envers les petits, c’était d’autant plus exacerbé. Naeria, leur fille, jouait sur le lit pour enfant venant de la Terre. Sa sœur feuilletait l’un des livres pour enfants, celui qu’elle aimait le plus. Leurs petits avaient des caractéristiques parfaitement humaines. Deux yeux, une bouche, un petit nez en trompette, deux oreilles. Néanmoins, leurs esprits ne rencontraient aucune difficulté à se tendre vers le vaisseau ou n’importe quel corbeau. Avec lui, ils parlaient le plus souvent et parfois, il venait effleurer sa conscience en frôlant ses mains.

C’était le cadeau des anciens. Il fallait un contact physique mais il n’avait plus à être aussi intime et le plus léger contact lui permettait de gérer parfaitement les communications se connectant simplement à leur communauté.

Une main collée à son amant, observant avec tendresse leur enfant, il ne pensait plus du tout à sa planète. Son monde, c’était ce vaisseau à présent. Son monde c’était eux.

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