Chapitre IV – La Réhabilitation d’Andercius

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« Par la présente, je, soussigné Argos Ops, Oculus attaché à la capitale d’Imaginaria, certifie avoir autorisé M. Andercius Derco à reprendre ses fonctions d’enquêteur. »

(Extrait du certificat de retour en grâce de l’enquêteur Derco)

Andercius Derco était inquiet. Très inquiet. Même s’il avait choisi de retourner vers son supérieur, il appréhendait la façon dont il serait reçu. L’Oculus l’avait quand même mis à la retraite… Accepterait-il qu’il réintègre les rangs s’il se proposait de faire amende honorable ? Il arguerait qu’en ces temps troublés, le Guet avait besoin de tous les hommes disponibles. Ah, et il insisterait sur la sécurité des citoyens. Oui. Ça, ça plairait à son chef. D’autant plus que c’était la stricte vérité : il voulait aider les Imaginariens à surmonter la situation, en attendant qu’une solution à long terme fût trouvée.

Pour rejoindre le Guet, il avait reprit le VAELS par lequel il s’était rendu à la périphérie de la cité. À présent, assis dans la salle d’attente, son masque sur les genoux, il rongeait son frein, anxieux. Enfin, la porte du bureau de l’Oculus s’ouvrit.

Les yeux du HEM qui dirigeait les guetteurs se plantèrent dans les siens. Mal à l’aise, Andercius s’efforça de ne pas détourner le regard sous l’examen des prunelles saillantes où brillait une lumière rouge. Au bout d’un moment qui lui parut interminable, l’Œil du Conseil lui fit signe d’entrer, puis de prendre un siège.

S’asseyant à son tour, l’ancien chef d’Andercius, accoudé à sa table de travail, le regarda par dessus ses mains croisées.

— Pourquoi venez-vous me voir, Monsieur Derco ?

Aïe. Ça commençait mal. On ne l’appelait plus Ander’, évidemment, et ça, il s’y attendait. Mais de là à ce qu’on lui donne du « Monsieur Derco »… Déstabilisé par tant de froideur, Andercius bafouilla :

— Je… Je viens p… pour…

— Votre visite aurait-elle un rapport avec la famille Orbitane, par hasard ? Ne croyez pas qu’on ne vous a pas vu décoller avec la Conseillère de l’Environnement et ses filles après l’agression subie par ces dernières !

— Hein ? Non, je…

L’ex-enquêteur s’interrompit, désarçonné. Dire qu’il venait offrir ses services, et qu’avant même qu’il eût pu le faire, on cherchait à lui tirer les vers du nez au sujet des fuyardes ! Mais il ne parlerait pas d’elles, ni de l’endroit où il les avait laissées, ni du moyen par lequel elles avaient quitté la capitale. Il reprit ses esprits et, rouge de confusion, il reprit :

— Je viens juste demander humblement à réintégrer mes anciennes fonctions. Je veux dire, la cité est en état d’alerte, et vous aurez besoin de tous les bras disponibles, et…

— Parfait. J’allais justement vous le demander. Vous m’avez devancé, Monsieur Derco.

Ah. Vraiment ? Alors ça, c’était inattendu !

— Pour autant, ne croyez pas que vos bévues soient toutes pardonnées, enquêteur, poursuivit froidement l’Oculus. Vous m’avez déçu sur l’affaire des meurtres.

— Pourtant, intervint vivement l’interpellé, je vous rappelle que j’avais raison, finalement ! Perséphone Orbitane était innocente.

— Sans doute. Il n’empêche que vous avez contribué à la faire libérer contre mon ordre et que vous n’avez pas su trouver le coupable à temps. Qui plus est, en raison de ce manque d’efficacité, une jeune femme a été blessée, un appartement gravement endommagé avant que nos agents aient pu intervenir. Où a disparu Hélia Orbitane, d’ailleurs ? Où les avez-vous emmenées, elle et sa famille ?

Nom d’une bulle-monde, nous y voilà. La question que je redoutais.

Prenant son courage à deux mains, Andercius se redressa et affronta la volonté de son supérieur :

— Chef, je ne peux pas le dire. Si des oreilles indiscrètes traînaient, on pourrait leur faire du mal.

L’Oculus le fixa tandis qu’il s’efforçait de ne pas visualiser l’endroit où étaient ses protégées. Il venait de se rappeler qu’il avait tendance à semer ses pensées aux quatre vents sans le faire exprès.

Le silence s’éternisa. Mal à l’aise, Andercius se tortilla sur son siège.

— D’accord.

— Hein ?

— J’ai dit : d’accord. Gardez le secret si ça vous amuse. j’ai des préoccupations plus urgentes. Entre le sort d’une cité tout entière et un groupe de malheureuses cachottières en fuite, il n’y a pas à balancer.

— Oh. C’est que… je m’attendais à…

— Je sais ce à quoi vous vous attendiez, enquêteur Derco. Votre manque de confiance en mes compétences est stupéfiant, de a part de quelqu’un qui a lamentablement échoué dans la dernière mission que je lui ai assignée.

Andercius se ratatina sous le reproche. Néanmoins, il se risqua à interrompre son supérieur.

— Chef… Oculus ? L’androïde responsable des meurtres, qu’en avez-vous fait ?

Les androïdes, vous voulez dire ? Ils sont en cellule de confinement en attendant leur reformatage.

— Comment ça, les androïdes ? Chef, nom d’une bulle-monde, celui qui était au service des Orbitane est innocent !

— Il a commis des dégâts irréparables dans le logement de ceux qu’il était censé servir. Il est donc coupable à sa façon.

— Il les défendait ! Contre un tueur ! Ces dégâts ont été faits en sauvant deux vies, Oculus ! Si l’on se réfère à la loi, il était en légitime défense et il portait assistance à des personnes en danger. Donc, il devrait être récompensé, pas incarcéré !

— Vous auriez dû devenir avocat, Monsieur Derco, fit l’Oculus, un petit sourire amusé aux lèvres. Mais soit, j’accepte de signer un ordre de libération pour Six, androïde dévoué à sa famille.

Le cœur battant, Andercius se réjouit d’avoir su convaincre son chef. C’était presque trop facile !

— Cependant, reprit ce dernier, en échange, vous obéirez désormais à mes ordres sans plus poser de questions. De quoi aurai-je l’air si le premier enquêteur venu peut discuter mes ordres et obtenir gain de cause ? C’est la dernière fois, Derco.

Le quadragénaire réfléchit. En rappelant qu’il avait accepté sa requête, l’Oculus sous-entendait qu’il venait de bénéficier d’un traitement de faveur, mais que c’était exceptionnel. Il lui signifiait par là son retour en grâce mais ce n’était pas pour autant que l’enquêteur pouvait s’amuser à faire n’importe quoi…

— C’est bien compris, chef. Que dois-je faire ?

— Pour l’instant, rien. J’ai confié les investigations sur la chute du Dôme à Orked. Je vous ferai appeler dès que j’aurai quelque chose pour vous.

Sur ces mots, l’Oculus se désintéressa d’Andercius. Son regard vague, lui fit comprendre que son supérieur était en communication télépathique. Il s’éclipsa donc.

Tandis qu’il marchait vers son logement, bien protégé par son masque, l’enquêteur se sentait mal à l’aise, sans savoir exactement pourquoi.

C’est peut-être à cause de tout ce vide au-dessus de ma tête…

Il leva les yeux vers l’ouverture bleu azur qui se découpait entre les mâchoires acérée du Dôme brisé. Les dents de diamants irrégulières étincelaient dans le pâle soleil d’hiver. Mais non, ce n’était pas ça, le problème. Il trouvait cette vue plus poétique qu’effrayante.

Le froid, alors ?

Un frisson imperceptible le parcourut. Il aurait voulu souffler sur ses doigts raidis et douloureux mais son masque respiratoire l’en empêchait. Cependant, comme il se concentrait sur cette sensation, il se rendit compte qu’il se sentait plus… vivant, grâce à ça. Ses ancêtres avaient-ils ressentis la même chose, une fois les bulles-mondes évanouies ?

Ou alors, c’est parce qu’il n’y a personne dans les rues…

Les Imaginariens étaient tous cloîtrés chez eux. Il n’y avait personne. La cité ressemblait à un décor factice attendant que les acteurs entrent en scène. Oui, ça, c’était effrayant. Ça et le silence.

Andercius s’arrêta et laissa son regard errer sur les façades impeccables à l’éclat plus vif que jamais, sur le sol de résine végétale et de gravier clair. Enfin, ses yeux se fixèrent sur le Pilier, avec ses absurdes arabesque baroques qui scintillaient au soleil au-dessus des plus hautes maisons arbres. Tout paraissait tellement faux, tellement vain, tellement prétentieux en comparaison du ciel infini au-dessus de lui…

— Allons bon, voilà que j’fais de la philosophie de comptoir, bougonna l’homme, gêné par ses propres réflexions.

Que lui arrivait-il donc ? Il fit mine de reprendre sa marche, hésita, se ravisa. La tête penchée, il écouta.

Bizarre, bizarre…. Depuis quand peut-on entendre le silence ?

Il se concentra davantage. Il n’entendait pas le silence, non… Il entendait un bourdonnement lointain, comme si une des ruches cybernétiques du cimetière avait été installée à proximité.

Voilà, c’est ça qui me fous les jetons depuis tout à l’heure ! Pas le silence, pas le vide, pas le Dôme brisé, non. Mais ce bruit bizarre qui me suit dans la rue !

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