Chapitre V – Maor

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« Je pense d’autant plus être qualifié pour ce poste que, passionné par les androïdes, je me suis longuement documenté à leur sujet. Vous trouverez ci-joint une copie des diplômes assertant de mes connaissances approfondies dans le domaine de la mécanique et de l’électronique, ainsi que dans la science des I.A. En annexe se trouve aussi un extrait de ma thèse, Émotions ou réactions artificielles ? Une étude de la personnalité des androïdes. »

(Maor Robtic, Lettre de motivation)


Quelque part dans le dédale des catacombes imaginariennes, se trouvait une prison spéciale pour les androïdes. Elle était suffisamment éloignée du centre d’incarcération classique pour éviter une réaction en chaîne en cas de faille dans la sécurité.

Le gardien, Maor, était un HEM très sophistiqué. Il était fier de ses yeux capables de voir à travers les murs épais comme des fortifications médiévales, de ses muscles renforcés par des fibres synthétiques d’une puissance inégalable et du brouilleur magnétique intégré à sa main droite, très utile pour paralyser les droïdes quand il lui fallait entrer dans leurs cellules.

Actuellement, il avait à sa charge trois prisonniers.

L’un croupissait là depuis bien longtemps déjà. Parfois, Maor entendait l’être mécanique, à moitié fou, taper dans les murs avec une violence inouïe. En revanche, ce dangereux prisonnier ne prononçait jamais un mot. Le geôlier avait pour instruction de le laisser confiné sans jamais lui rendre visite. Il se contentait donc de vérifier quotidiennement, à distance, les sécurités de la cellule. Enfin, presque. Parfois, aussi, il l’observait à travers la porte blindée. Son aspect dépenaillé, sa peau synthétique déchirée par endroits, révélant le réseau complexe des circuits et des câbles habillant son squelette, son crâne chauve mis à nu, le carcan métallique emprisonnant ses mâchoires… Tout en lui le fascinait. Cet androïde devait avoir une histoire passionnante, pour être aussi amoché ! Hélas, il ne la connaîtrait jamais.

Les deux autres lui avaient été amenés récemment. Il leur avait laissé les menottes électromagnétiques, car on l’avait averti que ces deux-là pouvaient changer de forme. C’étaient des modèles incroyables ! Il n’avait encore jamais vu leur pareil. Sans doute des S10.5… Pour autant qu’il le sût, il n’en existait plus beaucoup dans le monde et c’étaient les seuls programmés pour la métamorphose. C’étaient des prototypes pensés par des ingénieurs militaires, à l’origine, et ce bien avant l’ère des Bulles-mondes. Quelle aubaine pour lui d’avoir de tels spécimens sous sa garde !

Il comptait bien les étudier sous toutes les coutures lors d’une période de mise en veille forcée – déclenchée artificiellement via des ondes particulières activées à heures fixes dans les geôles.

Comme le gardien entamait sa ronde en sifflotant dans les couloirs métalliques, un message télépathique lui parvint. Et pas n’importe quel message ! C’était une communication de l’Oculus en personne. Un tel honneur était rare ! Il s’immobilisa dans une attitude respectueuse.

Gardien Maor, vous allez recevoir une visite du contingent de guetteurs associé à la sécurité du Conseil. Ils viennent récupérer l’un des droïdes amenés plus tôt. Il s’agit du dénommé Six. Recevez-les convenablement et confiez-leur le prisonnier concerné. Ils seront munis d’un ordre de libération en règle.

Aussi soudainement qu’il s’était introduit dans ses pensées, l’Oculus coupa la communication, sans attendre de réponse.

Maor secoua la tête, avant de se diriger lentement vers la cellule de Six. Ce n’était pas très loin : la troisième porte sur la droite à partir de sa position actuelle… Le gardien était un peu déçu : il aurait bien aimé avoir le loisir de l’étudier en détail pour parfaire sa culture en robotique. Dommage… Enfin bon, il lui resterait l’autre, même s’il était le moins sophistiqué des deux… C’était toujours ça !

À côté de l’épais battant constitué d’un alliage plus résistant que les blindages classiques, une petite niche s’ouvrit quand il s’arrêta devant, et une console supportant un mini terminal holographique en sortit. Maor l’activa en chuchotant le mot de passe du jour :

— Bananier et pommes sautées !

C’était très étrange, comme association de mots. Mais bon, ce n’était pas lui qui faisait les mots de passe, et son collègue avait un sens de l’humour assez obscur…

Aussitôt, une projection en 3D d’un labyrinthe sphérique s’alluma, un point lumineux clignotant à sa périphérie. Concentré, la langue pointant légèrement entre ses lèvres, le geôlier manipula l’hologramme de sa main modifiée jusqu’à ce que le voyant parvînt au centre du dédale virtuel.

La porte s’ouvrit, dévoilant une pièce obscure tapissée d’un revêtement qui absorbait la lumière et réfléchissait les ondes télépathiques afin d’isoler complètement son occupant. Au plafond, des appareils émettaient d’autres types d’ondes destinées à interférer avec les circuits des prisonniers.

Le chanceux qui allait retrouver la liberté était debout en plein milieu de sa geôle, très calme, les yeux fixés sur l’issue.

— Bonjour l’ami ! Six, c’est bien ça ? J’ai une bonne nouvelle pour vous !

Maor s’interrompit pour laisser sa déclaration enjouée faire son effet. Synthétiques ou non, ses « protégés » avaient le droit à un peu de bonne humeur, tout de même ! Il leur parlait toujours avec familiarité et gentillesse, persuadé que cela ne pouvait pas leur faire de mal. Quand il en parlait à des amis, s’ils lui objectaient que des « robots » – quel vilain mot ! – n’avaient pas d’émotions, il haussait les épaules. Si l’on était capable de leur conférer une personnalité artificielle, qui savait s’ils n’avaient pas aussi des émotions artificielles ? Peut-être qu’un peu de sympathie et de bonne humeur, à terme, ferait réfléchir ses androïdes déviants et les amèneraient à corriger eux-même les bugs dont ils souffraient.

Six ne répondit pas à ses cordiales salutations. Il se contenta de le toiser, le visage inexpressif. En même temps, les ondes ne devaient pas l’aider à réagir de façon convenable !

Maor s’approcha de lui et lui ôta ses menottes.

— Voilà ! Sous peu, vous serez libre ! C’est formidable, non ? Vous allez pouvoir retrouver la famille que vous serviez, mon vieux ! Nous allons juste attendre votre escorte et vous pourrez partir.

Son interlocuteur cligna des yeux mais ne dit rien, se contentant de se masser les poignets en un geste très humain. Intéressant. Le geôlier n’avait jamais repéré ce genre de comportement chez ses rares pensionnaires. Il prit mentalement des notes sur la réaction indéchiffrable de ce Six.

Un bruit de porte, des voix.

Maor leva un index, la tête penchée.

— Ah, voilà l’équipe chargée de vous escorter vers la liberté ! Ils n’ont pas perdu de temps, dites donc. Vous en avez de la chance ! s’exclama-t-il, jovial.

Une demi-heure plus tard, le gracié était dans les rues de la capitale, devant le passage emprunté par les Orbitane. Sans un regard en arrière, il s’y engagea, le regard résolu.

***

Dans son bureau, l’Oculus fut interrompu dans son travail par une communication joyeuse.

Bonjour ! Comme convenu, le dénommé Six a été confié aux bons soins de vos hommes d’élite ! À l’heure qu’il est, il doit avoir retrouvé les siens, je pense ! Bon, je vous laisse, vous avez sûrement plus important à faire que de m’écouter. Tous mes respects, Oculus !

Un sourire imperceptible vint étirer les lèvres de l’Oculus. Il se leva et se tourna vers la fenêtre. Le regard fixé dans la direction de l’endroit où on avait relâché Six, il murmura :

— Bonne chance...

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