PAVILLION CONJUGAL

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Evy

Encore sur le trajet qui me ramène chez moi, je consulte l'heure sur le tableau de bord. L'horloge numérique de ma minie Clubman indique dix-huit heures vingt-sept. Impatiente de rentrer à mon domicile, je ne cesse de tapoter le volant.

La belle voix de Julie Zenatti interprète d'une intensité tranquille "Et si je m'en sors" ce qui me permet de rester alerte et concentré sur la route. Bien qu'empressé à cause de la fatigue, je ne suis pas ravie de retrouver mon foyer.

Alors que j'effectue l'itinéraire de trente-cinq minutes qui me ramène rue des Houblonnières ; je pense à la forte probabilité de me retrouver seule une fois de plus dans notre pavillon Namurois. À cette pensée, une colère sourde me noue les entrailles. Avant, j'adorais cette splendide maison Art Déco au bord de la Meuse, futur cocon de notre bonheur conjugal. Aujourd'hui, je déteste cette demeure vide et bien trop grande de six chambres qui me rappelle constamment mon échec.

Cet enfer aurait pu être moins pénible, si j’avais de bon souvenir dans cette immense bâtisse, mais il n’en n’était rien. Le Pavillon aux façades blanches ne renferme que douleur et désillusion. Après quelques instants de flash funestes sur les circonstances de mes différentes pertes, je finis par arriver tant bien que mal chez moi.

Je ne prends pas la peine de mettre la voiture au garage. Épuisée, je stationne devant le portail, claque et verrouille les portières. Comme je le pensais, la maison est sombre et silencieuse. Encore une fois Stéphane n’est pas rentrée, il a de nouveau découché. Bordel, je n’ai pas besoin de l’appeler pour savoir qu’il a sans doute préféré passer la nuit dans notre duplex de Bruxelles.

Depuis trois mois, ses absences se font de plus en plus fréquentes et je ne sais pas du tout comment gérer cette situation. J’ai le sentiment d’avoir complètement oublié comment réagir face à tant d’humiliations. En franchissant enfin mon seuil, j’actionne l’interrupteur, dépose mon sac et mes achats sur la console d’entrée. Puis je me déchausse et me dirige vers la cuisine.

Je m’empare d’un verre et d’une bouteille de Sauvignon que j’ouvre puis prends la direction d’une méridienne située sur une terrasse d’hiver. Je sais que boire n’est sans doute pas la meilleure idée que j’ai eue, sauf qu’il me faut me détendre de toute urgence avant de finir par péter un plomb.

D’habitude, je ne suis pas de celles qui ont besoin d’un verre pour oublier leur problème. Je suis une femme de caractère même si je donne parfois aux autres l’impression d’être effacée. Stéphane dit que j’ai donné une facette de moi-même avant notre mariage qui n’a rien à voir avec celle que je suis véritablement.

Mais entre nous qui est parfaitement honnête sur ce qu’il est réellement !?

Personne !

Mon Dieu, si j’en viens à ruminer autant, c’est que ma situation est beaucoup plus pourrie que je ne le pensais. Je suis pathétique et seule. Offusquée de me retrouver dans une position aussi désastreuse, je me serre mon premier verre.

Les minutes s’engrènent et verre après verre, je plonge lentement dans un brouillard alcoolisé. Au cinquième verre bien que déjà soûle, je m’empare de la bouteille au sol et parcours mon intérieur en songeant à toutes les déceptions qu’elle renferme.

Flashback

Automne 2013

À l’époque Stéphane et moi venions de nous marier. Pour fêter l’événement, mes parents ont tenu à nous offrir cette magnifique maison de deux cent quatre-vingts mètres carré de style Art Déco en bord de Meuse.

Heureuse et euphorique à l’idée de commencer une nouvelle vie toute neuve, j’ai trouvé ce cadeau propice au commencement d’une union épanouie. Mes parents furent plus que ravis que je puisse trouver chaussure à mon pied si vite.

Issu d’un milieu bourgeois, j’ai reçu la meilleure éducation possible et pour eux Stéphane Mertens avait tout du gendre idéal. Intelligent, cultivé, élégant et de notre milieu, il était exactement ce que ma mère Eliane voulait pour sa fille unique.

Que dire sinon que notre rencontre a été tout à fait banal. Nous nous sommes rencontrés lors d’un vernissage de Goran Djurovic en janvier deux mille douze. Et comme dirait Sylvana au lieu de miser sur un réel attachement, j’ai trouvé que nous étions intellectuellement compatibles.

Nous avions une vision identique des choses. Il était charmant, bel homme et surtout, il cherchait une relation stable pour bâtir un foyer équilibré. Financièrement, il était à l’aise et construisait déjà une solide carrière.

Mais surtout, il était prêt à avoir des enfants, ce qui pour moi était essentiel. En construisant avec lui cette vie à deux, j’ai eu le sentiment de remplir un vide. À mon sens, tout était absolument parfait.

Or sauf erreur de ma part rien ne se déroule jamais comme on le souhaite.

À notre arrivée dans cette maison, nous étions pleins d’espoir et de rêves. Sauf qu’il se sont brisés un par un. La première déception vint seulement six mois après notre emménagement.

Cette année-là, nous avions déjà eu quelques déconvenues, mais aucune d’entre elles ne fut à la hauteur de celle-ci.

- Ah ! Chérie, te voilà. Je voulais te montrer les plans de la chambre d’enfant qu’Alexis à dessiner pour nous me dit Stéphane tout excité.

Il se rapproche de moi tout sourire et de pose un baiser léger sur mon front. Contente j'adresse à mon mari un regard rempli d’amour accompagné d’un petit sourire espiègle.

- Stéphane tu sait qu’il nous reste beaucoup de temps pour tout mettre en place.

Il secoue la tête, preuve qu’il est désaccord avec cette notion de « nous avons tout le temps ». Son expression dénote déjà ce qu’il pense. C’est troisième fois que nous avons cette discussion, mais je sens que nous sommes de nouveau à la case départ et que nous allons encore en débattre.

Il tente d'adopter un ton mielleux et prudent pour me ressortir le même discours que les fois précédentes. Mais en mon âme et conscience, je sais déjà que ma réponse se la même que les deux autres fois.

- Evy, je sais déjà ce que tu penses, mais je crois vraiment que tu devrais arrêter de travailler. Six mois ce n’est pas vraiment long et puis hôtesse d’accueil au siège social d’Ethias n’était pas ton plan de carrière. De plus, nous ne sommes pas dans le besoin et mon salaire suffit largement.

À peine finit-il sa phrase que je rétorque sèchement.

- Il ne s’agit pas de cela et tu le sais très bien.

Énervé et menaçante, je tente de reprendre mon souffle quand je me plie en deux. Une douleur lancinante déchire mes entrailles au point que je sois incapable de dire un mot de plus.

Stéphane me regarde un moment sans comprendre, jusqu’à ce qu’il pose ses yeux sur le bas ma petite robe blanche. Je suis le mouvement de ses pupilles et découvre du sang entre mes cuisses...

Des sanglots involontaires s’échappent de mes prunelles et je prononce les mots qui me hanteront.

- Non ! Mon bébé.

Fin du flash-back.

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