BILLET N°1

5 minutes de lecture


EVY

Perdue dans mes pensées et encore sous le choc de ces réminiscences, je reste littéralement figée quelques minutes. Mon visage, marqué par la douleur, est inondé de larmes chaudes et amères. Mon esprit tourmenté peine à occulter les souvenirs toujours aussi vivaces. À chaque fois que je crois vaincre mes démons, ils me reviennent de manière plus intense. De fait, je me retrouve submergée par des pensées intrusives qui me font suffoquer au point d'en souffrir physiquement. À chaque nouvelle grossesse, ma détresse toujours plus grande m’a laissé de graves séquelles. Aujourd'hui, il ne me reste plus rien hormis une grande culpabilité dans laquelle je me noie un peu plus chaque jour. Comme en apnée, je me sens sombrer, mais peu importe mes efforts, car j'ai l'horrible sensation de manquer d'air.

Mes plaies ne cicatrisent pas, elles sont bien plus béantes et purulentes qu’avant. Tout le monde me dit de laisser le temps faire son œuvre, mais pour moi, les choses s’étiolent au lieu de s’arranger. J'ai beau faire tout ce que je peux, le sentiment de perte me détruit. Les gens disent souvent que l’on ne se remet jamais de la disparition d’un enfant. Mais quand on perd quatre bébés comment refaire surface ? Comment simplement avoir envie de vivre ?

Telle une ivrogne, je continue de déambuler bouteille à la main. Ma démarche est lente, vacillante même et pourtant, je trébuche sans jamais me casser la gueule une seule fois. Ce qui je dois dire représente en soit un véritable exploit, vu à quel point je suis imbibée. Après tout, je ne suis pas une grande buveuse. Bien que branlante sur mes jambes longues et toniques, je monte à l’étage et finis par atteindre la chambre avec beaucoup de difficultés. L’appartement conjugal, l’espace où Stéphane et moi sommes censés dormir, représente une vaste farce à laquelle je fais face seule.

À ce stade, puis-je encore considérer cet endroit comme notre chambre ?

J’en doute sérieusement.

De colère, je bois une gorgée de vin à même la bouteille.

Ici, les couleurs sont douces et reposantes, mais elles ne m'apaisent pas pour autant. Je me rappelle avec précision ce jour de mai où nous avons décidé, Stéphane et moi, de repeindre les murs. En apparence, nous avions l'air si comblées et épanouies. Que maintenant ça a l'air presque risible. Irritée, je soupire de mécontentement, parce que ce temps, où nous coulions des jours heureux, me semble loin. L’espace moderne et le lit structural en fond bleu ciel et blanc sont là, tels de vieux objets figés dans le temps.

En réalité, le décor n’a pas une quelconque importance. Cet endroit n’est que la pâle copie de ce que nous sommes devenus, des étrangers l’un pour l’autre. Épuisée et alcoolisée, la résistance de mes membres faiblit au point que mes jambes ne portent plus mon corps. Tout habillée, je me laisse tomber sur le lit et me mets à sangloter. Je pleure la fin de mon mariage, mes enfants perdus, ma vie gâchée. Le reste de Sauvignon blanc est probablement en train de se répandre sur les draps, or je m’en fiche. Mes paupières trop lourdes et maculées de larmes finissent par se fermer d’elles-mêmes.

Je m’endors dans un brouillard alcoolique pour un sommeil sans rêve...

Le soleil de ce mois de septembre est léger et caché par de lourds nuages. Pourtant, la lumière m’aveugle. Je frissonne. J’ai froid. L’endroit où je suis à l’air glacial. J’entends comme un bruit de tambour dans ma tête. Mes yeux papillonnent, mais ont beaucoup de mal à s’ouvrir. Je finis par me souvenir, mais émerge difficilement, car j'ai un mal de tête carabiné. Je sens le fauve, rien de moins, et la gueule de bois que je me paye me salue. J’ai l’horrible sensation de m’être fait écraser par un bus, sauf qu’il va bien falloir que je me lève.

Bien qu’on soit dimanche, j’ai toujours de quoi faire. Après tout, je suis le genre de femme qui tient à la propreté de son intérieur. Je tente de mettre debout, mais la transition est dure.

Merde ! Pourquoi ai-je bu autant ?

Ma conscience me répond moqueusement.

( C'est ça quand on déprime, ma veille ! )

Pff ... Il ne manquait plus que ça, que je me parle à moi-même.

Las de cet auto-apitoiement, je me fais taire sauf que ce n'est une solution miracle pour sauvegarder le peu d’estime qu’il me reste. Je suis pathétique ! C'est comme vouloir quelque chose sans jamais pouvoir l'obtenir. La toucher du bout du doigt pour constater qu'elle fuit beaucoup trop loin pour que l'on puisse l'atteindre. Groggy, je me dirige vers la salle bain adjacente, laisse tomber mes vêtements et mes sous-vêtements au sol. Puis, avec empressement, entre dans la cabine de douche pour gommer les traces de la nuit.

Ce qui est sûr, c'est que je ne dois pas être très digne en ce moment. Les cheveux en bataille, l'haleine de poney, les cernes sous les yeux tel un lapin drogué aux stéroïdes ne doivent certainement pas me valoriser. Alors que l'eau tiède se déverse sur mon corps épuisé, j'essaye peu à peu de reprendre une apparence humaine. Je me délasse sous le jet afin de me détendre.

À la sortie de la douche, je suis requinquée. J'attrape mon peignoir, l'enfile et me rends au rez-de-chaussée afin de récupérer mon téléphone quand je tombe sur le paquet contenant le livre que j’ai acheté hier. Au lieu de me préoccuper du portable pour lequel je suis descendue, je me saisis du roman. Celui-ci m’échappe des mains et choit au sol. En le ramassant, je constate qu’un feuillet dépasse des pages. Curieuse, je l’extirpe sans m’attendre à ce que j’y trouve.

Billet n°1

Evy

J'ai attendu si longtemps et il y a tellement de choses que je voudrais te dire. La première, c'est qu'il y a cinq ans, ça aurait du être moi. Je peux t'aimer tellement mieux que lui. Je ne partirais pas en te laissant seule à l'aube.Trouve-moi, car je veux te toucher du doigt ; atteindre ton cœur pour mieux te garder. N'aie pas peur. Laisse-moi une chance d’atteindre ce degré de confiance, que je sois digne de toi. Sachant que je n'aurais pu être rien de plus, je n'ai même pas osé être ton ami. Aujourd'hui, je ne veux plus me taire. Et ce que je ne peux encore te dire, je laisse à ce livre le soin de le faire jusqu'au jour où je pourrais te dire :

- Viens, on s'aime.

PS : Tu t'es pointée comme un arc-en-ciel après la pluie ce vingt mars deux-mille dix. Comme la première violette au printemps, je t'ai aimée et bien plus encore. Si tu ne t'en souviens pas, je ferai de ta librairie préférée un autel du souvenir.

LJ

Surprise, je me laisse tomber sur le banc du hall d’entrée. LJ ? Je ne connais personne de ses initiales. Et puis d’ailleurs à quel moment ce mot a t’il pus être glissé là ? Je relis une fois, deux fois, trois fois touchée par la profondeur de ses quelques phrases.

Un sourire fleurit sur mes lèvres. Qui que soit cet homme, je n’arrive pas à croire que quelqu’un puisse m’aimer comme ça.

Moi.

Impossible !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Line In ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0