LIBRAIRIE MOLIÈRE

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EVY

En quittant la brasserie, le ciel est gris, mais il ne pleure plus ; ce qui facilite grandement mon ascension sur la nouvelle place. Un espace pavé qui, soit dit en passant, me déprime et me semble bien vide. Malgré la construction du nouveau centre commercial Rive Gauche situé sur la Place Verte, j'ai toujours l'impression qu'il manque quelque chose à cet endroit. 

Personnellement, j'aurais préféré y retrouver mon Café préféré, le Prince Baudouin, et les anciens bâtiments de la métropole carolorégienne qui ont été rasés. Mais il faut croire que la nostalgie qui m'habite n'est pas du goût de tout le monde, puisque les autorités communales ont davantage privilégié l'attrait économique à l’authenticité. 

De toute façon, je n'habite pas la ville de Charleroi, je ne viens ici que pour la librairie. Ce qui pour une raison que j'ignore rend mon conjoint complètement fou. Pour lui, cet engouement dérangeant que je ressens à l'égard de cet endroit est stupide. À chaque dispute, il ne manque pas de me rappeler à quel point cette lubie est d'une absurdité renversante.

Contrariée, je chasse mes sombres pensées en refoulant mon mari de mon esprit. Chose de plus en plus difficile, puisque notre mariage est l'objet de mes inquiétudes. Puis, je traverse le boulevard Joseph Tirou en diagonale et franchis les portes de la librairie. 

Ancien Hôtel des Postes, le bâtiment est plutôt imposant, même s’il ne m'intimide plus depuis longtemps. J'aime les grands espaces et on peut dire qu'ici, je suis servie. Son plafonds haut, ses moulures élégantes, ses colonnes de style antique et ses étagères à balcon perchées donnent un aspect romantique à l'ensemble que j'apprécie beaucoup. L'ambiance y est sereine et agréable, à tel point que je m'y sens comme dans un nid douillet. 

Bien qu'historiquement classé, on est bien loin de la librairie poussiéreuse. Moderne et agencée avec goût, l'enseigne est en constante évolution. Entre autres, ce que j'apprécie notamment, ce sont les événements littéraires qui y sont organisés. Chaque fois que je viens, j'ai l'impression de revivre. Les années défilent, le temps n'y est jamais figé. 

Alors que je me dirige vers mon rayon de prédilection, je salue au passage Jonathan, un des vendeurs. Il m'adresse un signe discret de la tête et un sourire espiègle. Ici, tout le monde me connaît donc personne ne s'étonne de me voir plusieurs fois par semaine dans le paysage. Encore un peu et je pourrais même faire partie du décor. Pour moi il n'y a rien de mieux que de me retrouver ici. 

En écrivaine amatrice et en lectrice compulsive, je consacre pratiquement tout mon temps libre à ces deux activités. Lire et écrire sont comme une seconde nature pour moi, se sont de vraies passions. Sylvana me répète constamment que je me comporte comme une petite vieille et que je ne vis pas assez. Sauf que je ne vois rien de vieillot dans mon comportement, bien au contraire. 

En réalité, je préfère les loisirs reposant et casanier. Je peux comprendre ce que mon entourage pense des divertissements que je m'octroie, mais peu m'importe. Je suis ce genre de femme posée qui aime peindre des aquarelles, faire de la broderie, écrire et lire. 

Après tout, j'ai toujours été une enfant très solitaire. Fille unique, je n'ai jamais connu le don du partage dans cet amour que l'on dit fraternel. D'ailleurs, c'est quelque chose qui m'a manqué et que j'ai toujours envié aux autres. Mais n'étant pas tellement sociable, je me demande si le fait d'avoir un frère ou une sœur aurait pu influencer mon comportement. 

De toute façon, ce rêve de fratrie n'a jamais été envisageable vu que ma mère a eu d’énormes difficulté à enfanter. J'ai pensé pouvoir me réaliser en fondant ma propre famille, mais à mon grand désespoir, l'histoire se répète. Mon désir de maternité est un vrai fiasco. En cinq ans de mariage, je me suis trouvée dans l'incapacité de donner à Stéphane le petit garçon qu'il souhaitait. 

Notre couple, déjà mis à rude épreuve par nos aspirations différentes, s'est brisé un peu plus à chaque fausse-couche. Alors que la colère de Stéphane augmentait, mon amertume grandissait au point que lors de mon dernier passage à l'hôpital, il n'a même pas pris la peine de venir. J'ai souffert seule de la perte de ce quatrième bébé, avec pour aide l'unique soutien de Sylvana.

À partir de ce jour, mon mari a abandonné la partie. Notre relation n'a fait que se dégrader depuis, mais pour une raison obscure, j'ai toujours espéré que nous nous sortirions de cette impasse. Sauf que ce n'est qu'un rêve idéaliste auquel il me faut à présent renoncer.

Quand j'ai épousé Stéphane, je l'aimais vraiment. Notre union n'a jamais été un engagement bancale, même si j'aurais dû comprendre qu’à la minute où il n'a plus voulu que je travaille que nous étions trop différents. Comme le dit ma mère. 

- Ma fille, parfois l'amour ne suffit pas toujours.

Naïve et rêveuse, je n'ai pas tout de suite compris ce qu'elle voulait dire. Mais avec le temps, j'ai eu plus d’une occasion de me réveiller. Après seulement un an de mariage, je me suis vite rendue compte que j’avais épousé quelqu'un que je ne connaissais absolument pas. 

Aujourd'hui, à trente-trois ans, Stéphane est un des grands ténors du Barreau de Bruxelles pour qui seul compte sa carrière et sa réussite. Tout ce qui est du domaine privé passe au second plan. En clair, je suis cette partie de sa vie qui passe après tout le reste. Mon seul refuge se situe ici, parmi les ouvrages qui eux ne m'ont jamais rabaissée. 

Je souffle de dépit, en m’apercevant avoir encore échoué dans ma tentative d’oubli. Toute la journée incapable de me détendre, j'en suis revenue à ma principale frustration. 

Mon conjoint ! 

Je repousse à nouveau mon ressentiment et me mets à fureter dans mon rayon favori quand je tombe sur une couverture qui attire mon attention. Elle est sobre et pourtant lumineuse à la fois. Ma curiosité piquée, je découvre un titre qui me parle sans que je ne sache pourquoi. 

" Viens, on s'aime."

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