PROLOGUE

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Evy

L'air est rafraîchissant et moite. La pluie glaciale de ce matin de septembre a déversé des trombes d'eau sur le boulevard Joseph Tirou. À l'ombre de la brasserie "Le Royal", je m'octroie le temps de déguster la deuxième tasse de café que l'on vient tout juste de me servir. Il fait froid et la météo plus que maussade est en accord parfait avec mon humeur sinistre.

En réalité, je me cache dans la pénombre tel un animal blessé. Assise seule à une table côté vitré, je rumine de sombres pensées alors que j'observe les gouttes de pluie former des arabesques sur la paroi transparente. C'est singulier comme cette eau semble sans le savoir retracer sa propre histoire. Comme si ses formes abstraites et éphémères écrivaient un alphabet incompréhensible à ma petite perception humaine.

Songeur, mon regard renaît sur le reste de mon breuvage chaud et mes prunelles dérivent sur une page du manuscrit que j'écris en secret depuis des mois. À dire vrai, ce n'est pas réellement un manuscrit, mais plutôt un carnet vintage à reliure marron qui abrite mon écriture scolaire. Émus, mes doigts redessinent distraitement les lettres noircies avec l'espoir qu’elles seront un jour publiées.

Être publié un rêve pour l’instant hors de ma portée. Non par manque de persévérance, mais sans doute à cause d'une grande mésestime intérieure.

D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours écrit. Je possède de nombreux journaux comme celui-ci dans lesquels je laisse libre court à mon imagination. Or, cela ne fait que deux ans que je prends l'écriture vraiment au sérieux. Pour être honnête, ma vie n'a vraiment rien d'excitante.

Bientôt trentenaire, mon quotidien est d'une banalité affligeante. Encore hôtesse d'accueil chez Ethias, l'entreprise qui m'a embauchée il y a sept ans, je n'ai pas évolué d'un pouce. Ma vie est comme figée dans une routine cauchemardesque. Je me lève le matin sans véritable but, en essayant de supporter un mariage dans lequel je suis coincée depuis cinq ans.

Une union qui ne m'apporte que ressentiment et colère. Désert sentimental, détresse maternelle et dégoût de soi ... Mon mari, quant à lui, représente le summum de mon amertume, puisque notre relation se résume à un lien de façade que je ne prends plus la peine d'entretenir. Ses constantes moqueries ainsi que son indifférence exacerbée ont fini par tuer le peu d'affection qui me restait pour lui.

Stéphane est de ces hommes insensibles qui dénigre systématiquement tout ce que je fais et particulièrement ma passion pour la lecture et l'écriture. Pour lui, c'est une perte de temps, parce que je ne serai jamais un Maxime Chattam, une Amélie Nothomb ou un Stephen King.

Sa virulence n'a d'égale que sa méchanceté. Avant, ses propos agissaient sur moi comme des flèches empoisonnées. Maintenant, je suis comme le pergélisol d'un lac sibérien. Aussi gelée et froide qu'un cryosol pratiquement imperméable. Pareil à un individu privé de tout sentiment.

Je me grommelle doucement quelques mots de reproche en essayant de comprendre pourquoi je pense davantage à la verve de mon conjoint. Puis, je lève les yeux sur la paroi vitrée de la brasserie et admire mon propre reflet. Très atypique, je ne me trouve pas particulièrement belle.

Vous êtes vous déjà imaginé une rousse sans son teint de porcelaine ?

Je suppose que non. Pourtant, c'est exactement moi.

Métisse aux yeux vert, mes cheveux bouclés roux dorés représentent une véritable source de désespoir. Bien que ma meilleure amie Sylvana trouve mon apparence très exotique et sensuelle. Cela ne me rassure pas du tout car je suis loin d'être de son avis. Je me souviens très bien m'être fait appeler poil de carotte par le passé.

Avec le temps, je n'aurais pas dû m'en inquiéter, mais les années de lycée ont été plutôt traumatisantes en ce sens pour moi. Il faut dire que les adolescents ne sont pas gentils entre eux. Donc, même si je ne dois pas prendre la mouche après tout ce temps, c'est bien plus compliqué que cela quand votre mari ne vous touche plus depuis neuf mois.

Vous avez bien entendu, Stéphane ne me touche plus depuis neuf mois et moi, je reste marié avec lui sans le tromper. Je ne sais pas si je suis simplement pathétique ou sotte. En tout état de cause, les deux options ne sont pas très éloignées l'une de l'autre.

C'est triste, mais ce n'est pas le plus malheureux. Mon existence se résume à un nombre de possibilités qui se sont toutes cassé la gueule. Malgré tout, je paye le prix de mes erreurs passées, car rien ne semble vouloir aller mieux.

Je souffle, regarde l'heure puis décide de me rendre à la librairie Molière avant de rentrer chez moi.

Si je dois décrire un lieu magique, c'est bien celui-ci. Cet endroit est immanquablement bien plus qu'un ami de longue date. Il est mon confident depuis très longtemps, bien avant que Sylvana ne débarque dans ma vie et s'y obtienne une place.

Vous vous demandez certainement comment, un bâtiment, peut-il s'acquitter de confident ?

Je vais vous confier un secret. Je n'ai jamais eu d'ami ou de meilleure ami donc je n'ai pas trouvé mieux que de me confier à un vieux bâtiment datant de 1907. Au moins, j'étais certaine que mes secrets étaient à l'abri de toute révélation. Mais à vingt-six ans, Sylvana s'est glissée dans mon cœur, elle est arrivée tambour battant dans mon existence et n'est plus repartie.

Au début, j'ai essayé de l'éloigner de moi autant que possible vu l'abondance de mes expériences désastreuses. Sauf que cette femme est aussi têtue qu'une mule. Elle m'a dit sans détour que toutes mes tentatives pour l'envoyer balader représentaient une preuve que j'avais besoin d'elle. Et en y réfléchissant à présent, je me rends compte à quel point elle a eu raison d'insister.

Mais pour en revenir à la librairie, mon premier confident, il est ce qui se rapproche le plus d'un journal intime. J'y ai écrit et lus beaucoup d'histoires.

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