Retour vers le Dollhouse

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Lazlo repoussa le cadavre du Mince. Faute de gravité, le corps alla se plaquer contre une paroi latérale avec une lenteur exaspérante. La tête du mort ballottait affreusement. Ses grands yeux vides semblaient pourtant toujours fixer l’âme du second du Cabriolet. Même si le danger était passé, son cœur battait toujours à une vitesse inquiétante. Un indicateur clignotait dans un coin de son exovision. Son interface lui conseilla de faire une séance de yoga, ou de méditation yalgoht.
« Ce n’est pas vraiment le moment. » soupira-t-il.
À sa mort, Le Mince avait craché beaucoup de sang. Celui-ci s’était aggloméré en épaisses bulles, qui voletaient dans le couloir. En constatant que deux d’entre elles avaient atteint sa combinaison, et qu’une autre avait touché son cou, il eut une grimace de dégoût. Prish’ta se propulsa jusqu’à lui en esquivant habilement les amas carmin flottants.
« Quand on rentrera au Dollhouse, tu devrais aller à l’infirmerie pour inspecter ça. En attendant, va prendre une douche, ça te fera du bien.
Lazlo hocha subtilement la tête.
— Ne bouge pas, ordonna Prish’ta.
L’Alash’tarien préleva un petit échantillon du sang dans le cou de Lazlo.
— C’est bon. Allez, va te nettoyer. Prish’ta tendit la main vers le couloir.
Il activa son pouvoir télékinétique pour rassembler tout le sang et l’évacuer par le conduit des déchets.
— Oui, d’accord, répondit Lazlo, réalisant soudain qu’il était pétrifié depuis tout à l’heure.
— Ne t’inquiète pas, je ferai un rapport à… Oh, salut, Tanya.
La capitaine avait une expression de désespoir gravée sur le visage.
— Un troisième Vaisseau mort, hein ? J’aurais dû m’en douter en voyant un nouvel appel de R^lash.
— Il m’a sauté dessus, fit le second du Cabriolet, la voix presque coupable.
— Ne t’inquiète pas, je te crois.
Lazlo passa devant elle et s’arrêta devant l’écoutille qui menait aux cabines de l’équipage.
— Tu ne devais pas nous ramener au Dollhouse ?
— Je m’en occuperai, après avoir prélevé quelques échantillons sur notre ami ici présent, fit Prish’ta. Il sortit quelques kits supplémentaires du sac qu’il portait toujours en bandoulière. Les écailles du petit Alash’tarien avaient pris un joli aspect cuivré, à cause de l’excitation liée à l’enquête en cours.
— Bien, je m’en vais de ce pas m’assurer de la coopération de Cicatrice, vu que ces colliers de passivités n’ont plus l’air suffisants. »

* * * * *

M-0 Flare en main, Tanya ouvrit l’écoutille qui menait à la zone de stockage des Vaisseaux. Elle fut presque surprise d’y trouver Cicatrice, qui somnolait paisiblement dans son tube. Sans le quitter des yeux, elle déploya une des tables harnais qui servaient à la détention physique des criminels, en cas de défaillance des colliers de passivité. Le grand plateau, contenant de nombreuses astreintes, avait la capacité de tenir un Archiviste Colop énervé. Les Colop étaient les mammifères proto-intelligents les plus forts physiquement de la galaxie, qui présentaient une compatibilité avec le processus de vassalisation. Tanya guida Cicatrice, jusqu’à la table, il se laissa attacher sans opposer de résistance.
« Promets-moi que tu ne vas pas développer une force surhumaine et te libérer de ces liens, murmura Tanya. J’ai vu trop de films où ça se passait comme ça. »
Cicatrice poussa un grognement, ce qui fit sursauter Tanya. Elle recula de quelques pas et braqua son arme sur le criminel, qui se mit aussitôt à ronfler. La capitaine ne put retenir un petit rire. Elle connecta son exovision à la table, pour afficher une alerte en cas de rupture d’un des liens. Au moment où elle rouvrit l’écoutille pour retourner dans le couloir, elle vit le cadavre du Mince être projeté avec force contre la paroi du fond du couloir. Bientôt, elle entendit cinq claquements métalliques. Elle passa la tête par l’écoutille et la rentra aussitôt. Un barreau d’appui arraché, projeté à grande vitesse par les pouvoirs de Prish’ta, s’encastra autour de l’épaule gauche du Mince. Trois autres vinrent immobiliser ses membres libres, et un dernier le ceintura. Les barreaux s’étaient enfoncés de plusieurs centimètres dans le métal de la paroi. Elle savait que les pouvoirs de Prish’ta étaient impressionnants, mais elle venait d’en découvrir une nouvelle facette.
« Eh bien ! Qu’est-ce qu’il se passe encore ?
— Il m’a mordu ! geignit Prish’ta. Tanya remarqua alors qu’un des bras de l’Alash’tarien était dans la bouche du Mince. Elle se rapprocha du petit humanoïde.
— Ça va ? Il cligna des yeux deux fois de suite, rapidement, ce qui équivalait à un hochement positif de la tête.
— Ça repoussera, j’ai connu ça souvent, en quatre révolutions. Je suis plus inquiet pour… ça. Il tendit le bras vers le Mince, qui gigotait pour essayer de se dégager de ses entraves.
— Il pourrait causer d’importants dégâts dans le vaisseau, avec les outils contenus dans ses prothèses.
En réfléchissant à voix haute, Prish’ta tournait comme l’aiguille d’une horloge dans le couloir.
— Je m’en occupe.
Tanya dégaina son M-0 Flare, puis visa la tête du criminel qui explosa après que les cinq faisceaux d’énergie l’eurent frappé. Elle fit faire un moulinet au pistolet avant de le ranger dans son étui.
— Je vais programmer la trajectoire du retour, repose-toi, » dit-elle à l’Alash’tarien, visiblement secoué.

* * * * *

Tanya se retrouva seule dans la cabine de pilotage. En trois ans, elle n’avait eu que des incidents mineurs, et ne comprenait pas comment tout avait pu dégénérer aussi vite. Elle n’avait plus aucune raison de croire en la culpabilité de Dean, mais n’avait aucune autre piste, pour l’instant. Elle soupira en pianotant sur la console de Prish’ta la trajectoire qui les conduirait au Dollhouse.
« ¡ ¡ Tap^mal Ana˅cut ¡ ¡ » s’exprima l’interface.
Elle s’installa sur son fauteuil de capitaine et passa la main sur son crâne rasé. Elle connaissait le prix d’un Vaisseau au marché noir. Si elle allait sur une station contrôlée par les rebelles Tüül=, elle pourrait en plus tirer de Cicatrice un montant qui couvrirait de loin ce qui lui manquait pour compléter le financement de son projet. La glace qu’elle avait en stock avait elle aussi une grande valeur. Sa seule certitude était que R^lash la rattraperait avant qu’elle ne finisse de remplir son formulaire d’inscription à l’Académie. Alors qu’elle hésitait à programmer une nouvelle destination dans l’ordinateur, son second entra sur le pont.
« Comment ça va, capitaine ? demanda Lazlo.
Son visage d’ange avait perdu de son innocence, de sa jeunesse.
— Je te retourne la question, fit-elle pour ne pas lui parler de ses doutes fugaces.
Lazlo ne répondit pas et s’installa sur son siège. Après avoir constaté que la destination était programmée, il déclencha le propulseur principal du Cabriolet d’un mouvement vers l’avant de son gant de réalité virtuelle.
— Je vais retourner à ma cabine, voir ce que l’analyse du collier a donné. Coupe les communications avec l’extérieur, j’en ai marre de me faire harceler par R^lash.
— Bien sûr, » dit-il, exécutant immédiatement l’ordre d’un mouvement du poignet.
L’icône du Kondo-Bandalorien disparut enfin de l’exovision de Tanya. Elle poussa un soupir de soulagement et se rendit à sa cabine.

* * * * *

Comme elle le redoutait, le collier de passivité d’Onze-Carré n’avait rien à lui apprendre. Pendant la connexion neurale, il se mettait en veille, ne faisant plus que surveiller les constantes médicales du porteur. Il n’avait détecté aucune variation notable pendant les douze heures de travail, à part la fatigue physique. Elle fit subir la même analyse au collier du Mince, qu’elle avait ramassé au passage. Celui-ci s’était mis en route alors que le criminel forçait l’ouverture de son tube. Tanya vérifia, les cinq doses de tranquillisants étaient vides.
« Qu’est-ce qui a bien pu se passer pour que mes Vaisseaux se transforment en zombie de l’espace ? » murmura-t-elle.
Elle avança jusqu’à son armoire personnelle. Elle en sortit une bouteille de bière. Elle en commandait régulièrement à Brandy, l'homme à la tête du marché noir sur le Dollhouse. Elle s’allongea dans son canapé et dégusta sa boisson, le regard perdu sur les murs vides de sa cabine. Tanya avait dû s’assoupir, car elle sursauta quand Lazlo lui annonça qu’ils s’approchaient du Dollhouse. Elle se dirigea vers le pont, juste à temps pour entendre Tor˅lo˅e, le coordinateur principal du vaisseau de R^lash, enjoindre le Cabriolet à amarrer au dock C.
« Le dock C ? Étrange, d’habitude, nous sommes toujours au H… » souligna Prish’ta, de sa voix à nouveau sifflante.
L’Alash’tarien était assis à sa place de navigateur. Son membre avait déjà repoussé. Il lui manquait juste ses écailles. Sans celles-ci, son bras ressemblait à une longue cuisse de grenouille. Il manœuvra le Cabriolet jusqu’au flanc tribord du Dollhouse. Le vaisseau de R^lash faisait la taille d’une petite lune, il était pourtant minuscule à côté d'Hypathie, la géante gazeuse. Un nuage d'astéroïdes entourait la planète, suite à la destruction d'une de ses lunes deux mille ans plus tôt. De leur point de vue actuel, le Dollhouse rappelait une tête d’oiseau. Les moteurs à plasma classiques ne pouvaient pas alimenter un vaisseau de cette taille. À l’arrière de celui-ci, dans le crâne, une « lune-noire », faite d’antimatière, ternissait l’espace alentour. Un nombre inhabituel de bâtiments faisaient la queue devant le dock C. L’écran affichait les identifiants des plus proches : la Jeep, le Quad et le Minibus. Ils étaient maintenus en respect par une quinzaine de chasseurs en formation relâchée. L’un des petits monoplaces s’approcha du Cabriolet.
« C’est Kolom-Batur, capitaine, informa Lazlo. Il demande une communication privée.
— Privée, privée ? s’étonna-t-elle, ne comprenant pas pourquoi son amant voudrait une discussion de ce genre à ce moment précis.
— Non, juste en ondes courtes portées.
— Bien, passe-le sur l’écran principal. »
Le visage arrondi du Noplock, gravé de ses tatouages métalliques, apparut bientôt. Signe de surprise, ses paupières tertiaires s’ouvraient et se refermaient rapidement. Tanya savait que Kolom-Batur adorait ses cheveux, il était probablement très déçu de leur disparition.
« Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda-t-elle.
Elle ne cacha pas son inquiétude. Le Noplock, comme tous ceux de son espèce, était un empathique, et, même par écran interposé, saurait lire ses vrais sentiments.
— Ils mettent tous les vaisseaux humains en quarantaine. Le Carriage et l’Ambulance ne répondent plus. »

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